Action Innocence Monaco, une ONG chien de garde au cœur de la jungle internet

Par Viviane Le Ray, 1 mars 2023 à 22:56, Monaco

La Relève

Louisette Levy-Soussan Azzoaglio préside depuis vingt ans la branche monégasque d’Action Innocence dédiée à la protection des enfants et des adolescents, livrés trop souvent seuls face à la toile et ses diverses tentacules… Toute jeune, se sentant une vocation d’infirmière, elle travaillera à l’hôpital de Monaco avant que le destin, qui a plus d’un tour dans sa besace, ne la fasse croiser le chemin de la princesse Grace dont elle assurera le secrétariat pendant 19 ans. Après le décès tragique de la princesse, elle se tournera vers le monde associatif. Nous proposons à nos lecteurs un entretien croisé avec Caroline Murat, l’une des chevilles ouvrières de l’association, véritable chien de garde en ligne, dont l’équipe au cours des vingt dernières années a rencontré près d’un million de jeunes pour les informer et les protéger.

Madame Levy-Soussan Azzoaglio, dans la pratique, comment fonctionne l’ ONG monégasque Action Innocence ?


Louisette Levy-Soussan Azzoaglio : Notre conseil d’administration est composé de dix collaborateurs issus de tous horizons : banque, expertise comptable, ressources humaines, communication, événementiel, justice, avocats, médecins, psychologues, en lien avec Europol et Interpol. Ce qui nous distingue d’autres associations, c’est que le travail de prévention sur le terrain est fait par des experts psychologues. Depuis 2002, Action Innocence est engagée aux côtés des jeunes, mais au fil du temps, l’association s’est aussi engagée de plus en plus auprès des parents pour les informer des dangers d’internet. Le pivot de notre action n’est pas de diaboliser internet mais d’attirer l’attention de tous sur les dérives qu’une mauvaise utilisation de cet outil peut entraîner volontairement ou pas.


Caroline Murat : Nous avons souhaité avoir un personnel formé à recueillir la parole de l’enfant, à détecter les agressions sexuelles, le harcèlement. Des psychologues formés pour transmettre les informations aux équipes éducatives… Nous organisons des cessions auprès des enfants, des parents, et formons les équipes qui vont intervenir en milieu scolaire tant à Monaco qu’en France ou en Europe. Parmi notre panel de questions établi à poser à son enfant : « Si je regarde maintenant ton Insta, serais-tu à l’aise avec ce que je vais voir ? » est sans doute une des plus importantes…


Action Innocence est en quelque sorte « une école dans l’école » ?


C.M. : C’est une école dans l’école pour sensibiliser à déceler les situations de harcèlement. Ce sont des formations de quatre heures, nous réunissons tout le staff de l’école ou du collège, nous enseignons une méthode pour agir, nous donnons aussi régulièrement des conférences sur un thème bien précis, par exemple le 23 mars prochain nous parlerons « Sexualité et numérique » avec l’intervention d’experts. Nous organisons dans l’année trois réunions de parents sur Monaco et ensuite dans les établissements scolaires. Le grand problème c’est le manque d’informations des parents, beaucoup ne connaissent pas même la possibilité d’installer le contrôle parental sur le téléphone de leur enfant… Malheureusement, la seule chose qui fonctionne avec les parents c’est de leur faire peur. Dernièrement nous leur avons parlé longuement du suicide d’un jeune garçon de 13 ans en France…


L.S.A. : Pour se construire, un enfant a besoin d’un encadrement, il a besoin qu’on lui pose des interdits, aujourd’hui force est de constater que bien souvent ce n’est pas le cas. Les parents ne sachant plus poser des limites à l’accès aux réseaux sociaux, souvent dépassés par une technologie qu’ils ne maîtrisent pas eux-mêmes… C’est pourquoi cette année pour célébrer nos vingt ans de travail et relayer notre message « OUI A INTERNET, NON A SES DANGERS » nous avons fait appel à six personnalités du monde du sport, de la chanson et d’internet qui ont accepté de participer à notre action de sensibilisation devant les nouvelles dérives des réseaux sociaux de plus en plus préoccupantes, en y associant leur image : Benoît Badiashile, Didier Deschamps, Grigor Dimitrov, GMK, Jenifer, Stefanos Tsitsipas représentent à eux six plus de 10 millions de followers… Cette campagne de communication réalisée par l’agence Complus a été dévoilée en décembre 2022 en Principauté, déclinée en affiches papier et numériques et en un spot vidéo projeté lors de notre traditionnelle vente aux enchères d’arbres de Noël.


La Principauté a la réputation d’être un pays quelque peu à l’abri de la violence en général, avez-vous quelques chiffres comparatifs avec le pays voisin ?


C.M : Globalement, détrompez-vous, nous sommes sur les mêmes statistiques que la France, 10 % de nos jeunes sont harcelés, un élève par classe… Aujourd’hui nous attirons particulièrement l’attention sur les jeux vidéo, auxquels les parents pensent moins, pourtant le CSA (devenu ARCOM) a établi par rapport au contenu des pictogrammes à l’instar de ceux des programmes TV et cinéma. Il y a souvent dans les contenus de ces jeux du sexe, de la drogue, c’est une vraie question. A Monaco 55 % des jeunes passent plus de deux heures sur internet, 49 % en France. 42 % ont un logiciel de contrôle, à Monaco, 34 %. 37 % des enfants cachent leur webcam, idem en France. 41 % communiquent leur nom, 27 % chez nos voisins. 22 % ont vu des vidéos choquantes, 24 % en France. A Monaco, 48 % ont reçu des propositions de rencontre dans la vraie vie, 39 % en France… Pour revenir aux jeux vidéo : une course de voitures peut s’avérer être des voitures volées, voire cacher de la drogue, très souvent les parents ignorent le pictogramme, plus grave, ils ne visionnent pas le jeu vidéo offert à l’enfant !


L.S.A : Le contrôle des parents est indispensable, un jeu comme « un, deux, trois soleil » a fait des ravages, en septembre les enfants y jouaient dans toutes les cours d’école, alors que ce jeu était interdit aux moins de 18 ans via le pictogramme sur la boîte ! Le « contrôle parental » devrait systématiquement être installé… Un bémol, le choix du mot « contrôle » est à mon sens mauvais, il résonne comme une « surveillance omniprésente » chez l’enfant : « accompagnement parental » serait plus adapté… Les jeux peuvent être d’une violence extrême. Nous vivons l’époque de la banalisation de la drogue, du sexe, de la violence, de la perte des valeurs…


C.M : Un enfant de huit ans n’a pas la maturité pour se défendre c’est la responsabilité des parents qui trop souvent ont démissionné par méconnaissance des dangers et aussi parce qu’ils sont dépassés par la connaissance de leurs enfants de ces outils à la fois utiles, incontournables dans nos vies, mais aussi démoniaques selon l’usage qu’on en fait… Action Innocence a mis au point avec la Brigade des mineurs un logiciel de traçage, a placé un référent dans chaque établissement scolaire, et guide les parents dans leur dépôt de plainte.


Nous, parents, que pouvons-nous faire concrètement ?


L.S.A. : Rejoignez-nous et faites partie de notre réseau ! Pour nous aider à sensibiliser aux dangers en ligne qui menacent les jeunes et soutenir nos actions de prévention, connectez-vous à nos réseaux sociaux et partagez notre contenu, afin de nous aider à atteindre encore plus de parents, de jeunes, d’enseignants pour que chacun connaisse les informations de base de la sécurité en ligne.


Parution magazine N°40 (mars, avril, mai)

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