Au cœur d’une autonomie retrouvée, des exosquelettes…

Par Emmanuel Maumon, 7 juin 2024 à 15:58

La Relève

Si la valeur n’attend pas le nombre des années, cela est particulièrement vrai pour Mathieu Merian. A 22 ans, il a déjà créé deux entreprises : My3D et Somanity. Cette dernière truste les récompenses avec son exosquelette qui doit permettre de remarcher aux personnes souffrant de handicap moteur. Rencontre avec Mathieu Merian pour évoquer son parcours hors norme et nous parler de Somanity.

Mathieu Merian, avant de parler de Somanity et de l’exosquelette que vous développez, pouvez-vous retracer votre parcours, déjà assez fourni malgré votre jeune âge ?


Depuis mon plus jeune âge, je suis passionné par l’électronique. Une passion héritée de mon grand-père, ingénieur dans les usines de torpilles de Saint-Tropez. J’ai monté ma première imprimante 3D à 12 ans. Lors de mon année du Bac, j’ai compris que je voulais m’orienter dans la biomécanique et la technique quand j’ai réalisé une prothèse de bras pour un ami à moi qui était amputé. J’ai commencé un IUT en génie électrique et informatique industrielle à Lyon, mais j’ai été viré car on n’aimait pas trop les entrepreneurs à l’époque. Du coup, je me suis retrouvé en école de commerce à Sophia Antipolis, à la recherche de compétences qui me manquaient dans la partie un peu plus business. Dans le même temps, j’en ai profité pour monter ma première société, My3D, une société qui a joué le rôle d’accélérateur de particules pour Somanity.

Au départ de votre aventure, vous avez bénéficié d’un accompagnement de la part de SKEMA Ventures, l’incubateur de votre école de commerce. Cet accompagnement vous a-t-il été utile ?


Cet accompagnement nous a été fort utile et il se poursuit encore aujourd’hui. SKEMA Ventures nous accompagne notamment pour fournir des prévisionnels financiers qui soient parfaitement carrés. Moi, mon job c’est de donner une vision, d’être avec mes ingénieurs et mes équipes. Ce n’est pas de faire des business plans et je n’aime pas particulièrement cela. De plus, l’équipe de Skema Ventures nous a donné des avis précieux sur les différents process que nous avons développés en toute autonomie.


Rendre les exosquelettes accessibles au plus grand nombre


Peut-on maintenant présenter Somanity ?


C’est une entreprise dont le projet est né en 2021. Nous concevons des exosquelettes pour des personnes atteintes d’un handicap moteur. L’idée est venue d’une discussion avec un ami atteint d’une sclérose en plaques. Un soir, il m’a dit que pour qu’il puisse remarcher normalement il lui faudrait le même type d’exosquelette que l’on commence à voir dans les films. Nous avons regardé sur internet et nous nous sommes rendu compte qu’ils coûtaient extrêmement cher. Dès lors, j’ai voulu créer une société qui fabriquerait des exosquelettes imprimés en 3D, donc beaucoup moins onéreux. Aujourd’hui, notre société emploie dix-quinze personnes, avec plusieurs ingénieurs travaillant sur de l’ingénierie embarquée et du biomédical. Nous avons aussi deux chargés de projet qui veillent à mettre tous les engrenages dans le bon sens et que le train reste sur les rails.


Pouvez-vous nous décrire votre exosquelette et son fonctionnement ?


Il faut voir l’exosquelette un peu comme une armure d’Iron Man, mais beaucoup plus allégée. Pour qu’une personne atteinte de handicap moteur puisse mettre ce dispositif sur elle. Afin de répliquer l’usage d’un muscle, nous avons des moteurs positionnés au niveau des genoux, des chevilles et des hanches. Cela permet à des gens qui sont normalement en fauteuil roulant de pouvoir se tenir debout et de marcher. Pour l’instant, l’exosquelette fonctionne avec un joystick. Nous aimerions aller à terme vers un fonctionnement cérébral avec une technologie similaire aux AirPods d’Apple. Pour l’instant, nous préférons faire au plus simple et au plus fonctionnel pour nos clients.


Un exosquelette à 10 000 euros


Des exosquelettes de ce type existent déjà, mais ils coûtent près de 250 000 euros. Votre objectif est de les proposer à 10 000 euros. Par quel prodige y arrivez-vous ?


Il faut être honnête, 10 000 euros, c’est du reste à charge pour le patient. Nous parvenons à ce coût car nous avons levé les principaux verrous technologiques sans avoir à lever énormément de fonds au début. Nous avons développé un exosquelette en étant riches d’esprit, mais en étant pauvres dans nos portefeuilles. Cela nous a obligé à redoubler d’ingéniosité, à faire des choix techniques sur des pièces qui sont génériques et à faire de l’assemblage technique sans obligatoirement mettre de l’innovation partout.


Vous cherchez également à limiter le poids de votre exosquelette. Cela est-il destiné à faciliter les déplacements des utilisateurs ?


L’exosquelette étant autoportant, l’utilisateur ne va pas ressentir le poids. La réduction du poids sert surtout à faciliter la maintenance et l’entretien. Elle va aussi avec la réduction du coût parce qu’on essaye de limiter la matière. Cela permet également d’avoir un exosquelette beaucoup plus design que ceux qui existent aujourd’hui. Nous présenterons notre version finale d’exosquelette en mai à VivaTech. Nous cherchons à ce qu’elle soit légère, avec des jointures moteur qui se voient moins. Notre volonté est aussi de faire quelque chose de beau pour répondre à la volonté des personnes atteintes de handicap avec lesquelles nous avons collaboré pour développer notre exosquelette. Elles voulaient quelque chose de joli et personnalisable, qui ne ressemble pas à un dispositif médical. Votre voiture, vous pouvez la customiser et choisir la couleur. Pourquoi cela ne serait pas le cas pour un dispositif qui coûte parfois le prix d’une belle Porsche ?


Des applications dans d’autres domaines que le médical


Avec votre technologie, outre le domaine médical, vous visez d’autres secteurs comme le spatial, la défense ou l’industrie. Quels types d’applications pouvez-vous apporter à ces secteurs ?


Nous pensons qu’il est encore un peu trop tôt pour la défense. L’industrie est un domaine sur lequel nous réfléchissons, plus particulièrement pour des charges très lourdes ou pour de la formation. Nous voulons donner la possibilité d’utiliser un exosquelette dans un milieu métavers pour pouvoir évoluer dans une situation virtuelle. Cela permettrait, par exemple dans le nucléaire ou l’industrie pétrolière, de former des gens à évoluer avec des contraintes dans un environnement virtuel avant de les envoyer sur le terrain.


Quelles sont aujourd’hui les perspectives de développement de Somanity ?


Nous souhaitons sortir un premier dispositif médical assez rapidement, d’ici un an sur la partie rééducation. Nous travaillons pour cela avec des centres de rééducation et des kinés. Nous sommes d’ailleurs disposés à en accueillir d’autres qui se porteraient volontaires pour expérimenter notre exosquelette. Ensuite, sur les premiers dispositifs, nous envisageons avec notre micro-usine de sortir jusqu’à 200 exosquelettes par an. Dans un second temps, nous pourrions lancer une phase d’industrialisation avec une production de beaucoup plus d’exemplaires.


Pour atteindre ces objectifs, vous envisagez de réaliser une levée de fonds. De quel montant et avec quels types de partenaires ?


Nous cherchons à lever 3 millions d’euros avec plusieurs partenaires et nous sommes ouverts à toutes les propositions. Nous hésitons encore à faire entrer du corporate parce que ce sont des gens qui disposent de vrais atouts dans leur manche avec une puissance de feu en termes de R&D, d’équipe ou de RH. Ce que nous recherchons avant tout dans nos investisseurs, ce sont des gens qui, comme nous, pensent que les dispositifs médicaux sont trop chers et pas adaptés aux personnes atteintes de handicap moteur. Si le patient est souvent au centre de business model, pour beaucoup d’entreprises il n’est pas au centre du design et de la façon dont nous voulons entreprendre. Quand on entreprend dans le médical, il faut faire avant tout des produits qui doivent servir aux gens et non pas les intérêts des actionnaires.


Comptez-vous continuer à vous développer au sein de Sophia-Antipolis ?


Oui car déjà c’est une région qui nous a beaucoup donné et nous souhaitons rendre à la région ce qu’elle nous a donné. Par ailleurs, c’est un écosystème très favorable aux startups et un territoire très dynamique. De plus, la Côte d’Azur offre un cadre de vie incomparable pour les équipes. Je préfère beaucoup travailler avec des arbres et le soleil qu’avec un métro à côté. C’est aussi un territoire d’innovation avec une belle French Tech et de belles écoles notamment d’ingénieurs. Favorisons donc cette innovation et ce tissu économique pour montrer que Sophia Antipolis demeure la technopole européenne qu’elle a toujours été.

Parution magazine N°45 (juin, juillet, août)

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