Cocteau, retour en son Bastion historique

Par Viviane Le Ray, 28 février 2024 à 13:04

Arts en scène

Le 11 octobre 1963 s’éteignait Jean Cocteau, que d’aucuns qualifieront de touche-à-tout de génie. L’artiste laissait dans son sillage une œuvre importante, diverse, composée de peintures, de dessins, de céramiques et d’écrits… Dans ses dernières années, la question du devenir de son art fut pour lui une préoccupation majeure. La Ville de Menton lui apportera la solution en lui offrant le cadre de son Bastion datant du 17e siècle, pour y créer son musée personnel. L’accrochage de l’exposition de ce retour aux sources est tout naturellement baptisé : « Je reste avec vous… »

« Au Bastion, mes dessins et toiles respireront mieux qu’entassés à Milly et dans les caves de Masséna. De la terrasse où je ferai la mosaïque, on a le sentiment d’être en pleine mer. La France à droite et l’Italie à gauche. En bas les baigneurs et les joueurs de boule. Situation magnifique. » (Jean Cocteau, Le Passé défini VI, p. 336).


Soixante ans après la disparition de l’artiste, Jean Cocteau retrouve son accrochage initial


L’accrochage historique imaginé par celui que la presse de l’époque avait surnommé « Prince des poètes » rend un vibrant hommage à l’artiste tutélaire de la cité en faisant sien l’adage qu’il avait souhaité voir gravé sur sa tombe : « Je reste avec vous… » Au Bastion, dans cet écrin où Cocteau en personne assura l’accrochage, il a été choisi d’exposer certaines de ses œuvres les plus emblématiques. Pastels multicolores, tapisseries monumentales, peintures, céramiques originales composent la collection de ce véritable « musée testament ». On y retrouve en particulier la célèbre série des Innamorati, dessins dans lesquels s’incarne à merveille l’inspiration méditerranéenne de l’artiste. Le rez-de-chaussée fait la part belle aux œuvres graphiques colorées créées pendant sa période Côte d’Azur : à Saint-Jean Cap Ferrat hébergé chez son amie Francine Weisweiller (dans sa villa Santo Sospir), à l’hôtel Welcome de Villefranche, le temps de la création de sa chapelle, et bien entendu à Menton… Jean Cocteau sera élu à l’Académie française en 1955.


Une intéressante sélection de pastels et de céramiques


Des pastels issus des thèmes caractéristiques de cette période méditerranéenne : Faunes, Arlequins, Gitans ; deux tapisseries monumentales de la collection historique du Bastion, Judith et Holopherne et L’ ge du Verseau sont mises à l’honneur. Au premier étage, la fameuse série des Innamorati en vingt dessins au crayon, à la cire sur papier noir, raconte les aventures romantiques et burlesques d’un jeune couple dans le décor d’un port typique de la Côte d’Azur. Une œuvre réapparaît littéralement - elle n’était plus exposée depuis bien longtemps - l’impressionnant portrait du poète par Mac’Avoy, qui chaque hiver séjournait au Cap Estel, et qui surtout immortalisa Cocteau dans la villa Santo Sospir, en le faisant poser au milieu des fresques dont il a recouvert les murs… Les poteries, assiettes, céramiques sont exposées tout autour de l’étage, dans les vitrines en fer forgé conçues tout spécialement pour elles : assiettes, coupes et vases sont décorés à la manière « d’un tatouage sur une peau », y côtoient les objets modelés aux formes de créatures mythologiques, qui comme chacun le sait, étant tant chères à Jean Cocteau.


Le Bastion : « musée-testament » du poète


En septembre 1957, Jean Cocteau se voit proposer par la Ville de Menton d’installer son tout premier musée dans le Bastion, fortin abandonné datant du 17e siècle. Il en supervise la restauration, le décore de mosaïques de galets créées selon la méthode traditionnelle mentonnaise et il sélectionne, avec le soin qu’on imagine, les œuvres qui seront exposées pour l’éternité… La disparition de Cocteau en 1963 laisse le projet en suspens, mais, grâce à l’aide de son légataire et ami Édouard Dermit, le musée sera achevé trois ans plus tard selon les directives laissées par Cocteau. Aujourd’hui, le musée Jean Cocteau-le Bastion présente les œuvres issues de cette collection originelle, à laquelle est venue s’ajouter en 2005 la très importante donation Séverin Wunderman (quelque 750 œuvres) présentées dans des expositions renouvelées plusieurs fois par an. Dans l’attente de la réouverture du musée éponyme, fermé depuis près de trois ans en raison d’une inondation catastrophique, le Bastion est redevenu l’écrin de Jean Cocteau.


Parution d’un coffret de trois livres


A l’occasion des 60 ans de la disparition du poète et de la célébration des 80 ans des éditions du Rocher paraît un coffret de trois livres : La Belle et la Bête. Journal d’un film. Chronique d’une année de tournage (1945-1946), et de l’amitié amoureuse avec Jean Marais ; les poèmes Appoggiatures et Paraprosodies suivis du Théâtre de poche (illustré par l’auteur) ; Le foyer des artistes rassemble une série d’articles publiés par la revue Comoedia pendant l’occupation allemande. Cocteau écrit sur « ce qui sort de vif à Paris » : expositions, pièces de théâtre, films, livres, concerts. (Éditions du Rocher)




Jusqu’au 17 juin, Le Bastion, Quai Napoléon III, Menton

Ouvert tous les jours de 10h à 12h30 et de 14h à 18h, sauf le mardi

Parution magazine N°44 (mars, avril, mai)

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