Du côté du Centre d’Incendie et de Secours de Valbonne…

Par Antoine Guy, 2 mars 2024 à 16:24

Polis

Incendies, inondations, accidents de la route, secours aux personnes, protection des biens et de l’environnement… la to-do list du pompier en 2024 impressionne, requiert un panel de connaissances étendu, de l’aisance en technologie, du savoir-faire avec des engins spécialisés, du recul en psychologie et enfin une appétence pour servir la collectivité. Visite au Centre d’Incendie et de Secours de Valbonne Sophia Antipolis à la rencontre des soldats du feu qui restent trop souvent dans l’ombre. 

En pénétrant sur le site du Centre d’Incendie et de Secours de Valbonne Sophia Antipolis, le bel alignement des véhicules vermillon et chromés, la calandre prête à jaillir des hangars, rappelle exactement celui d’une chambre d’enfant, là, juste à côté des lits superposés, entre le bateau pirate et le grand carton débordant de Lego tout mélangé. Mais ici, ils sont bien réels, opérationnels, aussi rutilants qu’impressionnants. Les Sophipolitains connaissent bien l’endroit… « Tu sais, dans le virage, là où il y a les pompiers, sur la route de Biot ! » Écrire un numéro spécial de SophiaMag sur le « Risque » obligeait à un détour chez les sapeurs-pompiers, ou plus exactement chez les femmes et les hommes du SDIS 06, Service d’Incendie et de Secours des Alpes-Maritimes.


Nous avons rendez-vous avec le lieutenant Ivan Gaignebet, chef de centre depuis février 2021. Ce jeune cinquantenaire enthousiaste confesse volontiers avoir cédé plus jeune au chant des sirènes, celles des fameux camions rouges bardés de tuyaux, d’équipements scintillants au soleil maralpin, de gyrophares bleus, et coiffés de la non moins fameuse grande échelle. « Je suis arrivé chez les pompiers via le volontariat en 1990. Trois ans plus tard, je devenais homme du rang à la caserne Fodéré, près du vieux port de Nice », explique-t-il. Ensuite, après un concours réussi de sous-officier, des mutations successives à Cannes, à Grasse, et deux concours d’officier également primés, pour passer lieutenant de deuxième classe puis de première classe, il prend logiquement le commandement de la structure de Valbonne Sophia Antipolis. « J’ai bien sûr au quotidien surtout des fonctions de management, mais en opération, je cordonne 3 à 4 véhicules. Auparavant je n’en commandais qu’un seul. J’interviens maintenant sur des théâtres qui requièrent ces moyens », ajoute-il. L’homme a donc l’expérience du terrain.


Une tradition marquée par le volontariat et l’ADN du « service »


Chez les pompiers, le volontariat, plus qu’une tradition, incarne un mode de vie et même une spécificité du recrutement. Porter secours, assurer les missions de sécurité civile nécessite un état d’esprit, une motivation qu’il convient d’éprouver dans le concret des situations réelles, un noviciat non pas en soutane mais casqué, en quelque sorte.


Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le CIS de Sophia emploie 10 sapeurs-pompiers professionnels pour 50 pompiers volontaires (dont 9 femmes). À l’échelle du département, l’effectif total du SDIS 06 flirte avec les 5 000 personnes, se répartissant à peu près comme suit : 1 500 professionnels, 500 administratifs et… 3 000 volontaires. « En général, on est d’astreinte 24 heures d’affilée puis en repos 48 heures. L’engagement est bien réel. L’exigence également. Les volontaires, bien qu’ils soient payés à la vacation, doivent concilier leurs missions avec leur métier. Leur désir louable de rendre service à la collectivité se ressent sans ambiguïté », souligne Ivan. Bien sûr tous ne resteront pas, à cause de raisons familiales, professionnelles… et leur fidélisation demeure un défi.


Les volontaires suivent des parcours de formation, se soumettent aux obligations de maintien de leur forme physique, prennent pour certains des responsabilités dans l’organisation. « On investit beaucoup sur nos volontaires. Ils signent la charte du volontariat, précisant leurs droits et devoirs. Mais trop de contraintes et on finira par les perdre, pas assez d’attention et ils n’iront pas au bout de leur engagement », résume-t-il. Le lieutenant Gaignebet aime l’idée que l’engagement volontaire chez les pompiers puisse se substituer à une forme de service national, celui qui a disparu ou celui qui va peut-être émerger dans quelques années. Des individus au service du collectif pour « prévenir, protéger, secourir » … un mantra qui résonne dans une société « qui a plus tendance à l’individualisme et qui manifeste plus d’exigences qu’au début de ma carrière », note-t-il. Le CIS de Valbonne accueille des jeunes dès 14 ans, le samedi matin, pour les initier à ce beau métier de service… sur le principe du volontariat !


Des moyens, des performances, des résultats


Avec un budget avoisinant les 200 millions d’euros co-financé par le Département et les communes à des ratios respectifs d’environ 60 et 40 %, avec 76 sites quadrillant le territoire et plus de 1 200 véhicules d’intervention de différents types, le SDIS 06 est une grosse machine animée, nous l’avons déjà mentionné, par 5 000 femmes et hommes au service des habitants du territoire. Il traite annuellement environ 400 000 appels, réalise en moyenne une intervention toutes les 5 mn, soit plus de 100 000 au total, et assure les secours de 90 000 personnes, dont 90 % en moins de 20 mn. Les missions du SDIS 06, organisme sous la double tutelle du conseil départemental et de la préfecture des Alpes-Maritimes, sont décrites dans le Code général des Collectivités territoriales.


Son premier rôle régalien et exclusif : la prévention, la protection et la lutte contre les incendies. Ensuite, le SDIS 06 assure des missions partagées avec le SAMU et les forces de police : la prévention et l’évaluation des risques de sécurité civile, la préparation des mesures de sauvegarde et l’organisation des moyens de secours, la protection des personnes, animaux, biens et environnement, les secours et soins d’urgence (domicile, route, voie publique, entre 70 et 80 % des interventions).


Le CIS de Sophia traite pour sa part une moyenne de trois interventions par jour. Cette sollicitation opérationnelle classifiée plutôt comme « faible » ne doit pas masquer cependant l’autre face de l’activité inhérente à la gestion du risque : l’anticipation et la prévention.


Pompiers, bon œil


Dans l’inconscient populaire, les pompiers luttent avant tout contre l’incendie. En fait, cet engagement dépasse à peine les 3 % de leurs opérations à l’échelle départementale, justement parce qu’un très gros travail de prévention en amont est réalisé. Le SDIS et ses partenaires, dont le service départemental FORCE 06 et Météo France, s’appuient désormais sur de l’imagerie satellite adossée à de l’IA qui les renseigne sur les zones les plus risquées où le stress hydrique de la végétation est maximal. « Un feu ne démarre jamais spontanément au cœur d’un massif. Hormis la foudre, l’origine est toujours anthropique », rappelle Ivan. « FORCE 06 réalise un très gros travail de débroussaillage et d’entretien des bords de route, un service très précieux en prévention incendie. Pour les riverains des zones forestières, il existe aussi des OLD, Obligations légales de Débroussaillage, qui sont des précautions pour retarder au maximum la propagation du feu. »


La lutte contre le feu, combat très codifié, suit un plan stratégique sous forme d’un Ordre d’Opérations départemental Feux de Forêts et d’Espace naturel. Ce document précise les zones à risque, spécialement en été, pour guider le déploiement des véhicules de surveillance sur le terrain. À Sophia, il est établi avec les mairies un PCS, Plan communal de Sauvegarde, qui s’applique en cas d’incendie, en particulier pour l’évacuation de la technopole, un territoire occupé en journée par 40 000 salariés et peuplé de 9 000 habitants résidentiels en permanence.


Le feu se chasse, comme un gibier. Le SDIS 06 mobilise sur l’ensemble des zones risquées des véhicules pour patrouiller et intervenir au plus près. « Plus on intervient vite, plus on maîtrise le feu. On veut éviter la situation de crise nécessitant l’engagement de moyens considérables sur de longues durées », martèle Ivan. Plus facile à dire qu’à faire. Ces prépositionnements requièrent des ressources matérielles et humaines importantes, une rotation des emplois du temps, un quadrillage préventif rigoureux. « Nous avons la chance de disposer de trois hélicoptères bombardiers d’eau stationnés à Sophia », souligne Ivan qui parle alors de moyens de « frappe » contre l’incendie. Ce vocabulaire indique que nous sommes en guerre, qu’ici on livre bataille grâce à des moyens idoines. Nous ne jouons plus dans la chambre du petit enfant du début de l’article.


S’adapter aux besoins d’un village du 15e et en même temps à ceux des startups du 21e siècle


Le village de Valbonne est aujourd’hui habité par 13 000 âmes. « Ses architectes du 15e siècle n’ont pas prévu la circulation de nos camions, ni les espaces nécessaires pour déployer une grande échelle rotative. Nous devons nous adapter », commente Ivan, un rien espiègle. Il qualifie aussi le réseau routier local « d’assez accidentogène », enfin la technopole, même si le gros des entreprises appartient au secteur tertiaire, abrite des entités à risque comme des datacenters stratégiques (Air France par exemple), ou celles qui stockent du GPL et d’autres produits dangereux similaires. « Les relations avec les entreprises de Sophia sont riches », déclare le lieutenant Gaignebet. « Elles nous sollicitent pour des évaluations de risques, des audit sécurité, notamment quand elles reçoivent du public ou qu’elles peaufinent leurs plans de continuité d’activité. Nous élaborons aussi avec elles des « fiches réflexes ». Elles recensent les informations cruciales pour les primo-accédants en cas de sinistre : plan des bâtiments, accessibilité, localisation des produits à risques et moyens de coupure des énergie », confie-t-il. Ces fiches archivées dans les camions sont en plus transmises aux opérationnels juste avant le départ en intervention.


D’autres entreprises, dans le cadre de leur politique RSE ou de leur plan Santé et Qualité de Vie au Travail (SQVT), nous sollicitent pour des formations aux gestes de premier secours et aux bonnes pratiques en cas de sinistre. « Cette appétence citoyenne dans les entreprises est une bonne nouvelle et nous aide à faire progresser la résilience des populations », dit-il. La technologie contribue aussi à édifier cette résilience. Récemment, le SAIP mis en place par le gouvernement, Système d’Alerte et d’Information aux Populations, prévient sur l’imminence d’un danger météo ou d’une autre nature. Les réseaux sociaux méritent vraiment le qualificatif de « sociaux » grâce aux applications comme « Staying Alive » ou « SAUVLife ». Elles alertent leurs abonnés formés aux premiers secours si dans un périmètre proche une personne fait un malaise.


Un métier qui, comme tant d’autres, évolue


Les matériels sont beaucoup plus techniques. Les désincarcérations lors des AVP (Accident sur la Voie publique) sont plus dangereuses à cause des nouveaux types de carburant (hydrogène, GPL). Dans les bâtiments, les nouveaux matériaux isolants favorisent les très hautes températures dans des lieux confinés où les risques de back-draft et d’embrasement généralisé sont de plus en plus forts. Le lieutenant Gaignebet imagine pour les prochaines décennies la spécialisation des sapeurs-pompiers, soit en « lutte incendie », soit en « secours aux personnes », un modèle déjà en vogue aux USA. « En parallèle les populations sont plus exigeantes, plus impatientes, souvent à juste titre. Ceci doit faire partie de nos motivations à s’adapter », pense-t-il.


Trouver la bonne position du curseur, entre Anticipation et Opération


Le risque, quel qu’il soit, reste le produit d’un aléa par une gravité. « On le jugera acceptable si le bénéfice perçu dans un certain contexte reste supérieur aux dommages subis si le risque advient », synthétise-t-il. Combattre le risque nécessite de limiter au maximum l’aléa par l’anticipation et la prévention, de minimiser la gravité en organisant la riposte si la crise survient. « Notre couverture risque est très bonne. Nos méthodes sont d’ailleurs imitées à l’étranger. Nous pouvons en revanche progresser sur la résilience des populations, qui sont toujours par définition les premières sur le lieu d’un sinistre. Nos marges de progrès existent dans la sensibilisation et la pédagogie vers nos concitoyens », explique encore le chef de centre Gaignebet.


Les risques et les enjeux sont connus. Le succès de la protection civile, bien qu’orchestré par les sapeurs-pompiers, repose aussi en grande partie sur nos prises de responsabilité individuelles. Prenons-en conscience.

Parution magazine N°44 (mars, avril, mai)

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