Eiffel à Grasse,
plaidoyer pour une ingénierie audacieuse au service de tous
Polis
Gustave Eiffel © DR
Pour le centenaire du décès de Gustave Eiffel, IESF Côte d’Azur a organisé avec Jérôme Viaud maire de Grasse, et le soutien de la Communauté d'Agglomération du Pays de Grasse, une commémoration et un concours ouvert aux élèves ingénieurs de la région pour promouvoir ces filières qui peinent à susciter des vocations. Vidéos, conférences, expositions, remise de prix … le 23 novembre, point d’orgue de cette initiative, a mis un coup de projecteur sur la mobilité par le rail, l’innovation par la science, la créativité en technologie, dans les pas de la modernité audacieuse d’Eiffel, ADN de la carrière de cet ingénieur d’exception.
Eiffel : l’histoire a surtout retenu sa « Tour »
Le 27 décembre 1923, Gustave Eiffel, ingénieur, scientifique, industriel … et visionnaire de renom disparaissait à 91 ans. Nous commémorons cette année le centenaire de son décès. On lui attribue cette phrase prophétique : « Je vais être jaloux de cette tour. Elle est plus célèbre que moi. » Effectivement, la notoriété de l’homme s’est quelque peu effacée derrière celle de sa « Tour », une vieille dame de 134 printemps mais à la santé toujours de fer, que 7 millions de visiteurs viennent découvrir chaque année. Depuis 1889, date de son ouverture, 300 millions de curieux s’y sont pressés, lui décernant de facto le prix du monument payant le plus visité au monde, et la classant sur le podium de nos plus célèbres vitrines nationales, aux côtés du Louvre, de Notre-Dame et de Versailles … pour notre plus grande fierté gallo-républicaine.
Eiffel : la construction métallique tous azimuts
Peu en revanche connaissent vraiment la biographie d’Eiffel, certes père de la « Tour », mais aussi enfant terrible de la révolution industrielle qui a fait progresser la construction métallique, l’aéronautique1, et l’ingénierie moderne entre la fin du 19e et le début du 20e siècle. Durant cette période où la vapeur, le charbon, l’acier puis l’électricité régnaient sur des empires en pleine croissance, Eiffel, candidat malheureux à l’école polytechnique finalement diplômé de Centrale, boulimique de travail, découvreur des potentialités de son époque, invente la construction métallique rivetée préfabriquée. Les modules assemblés sur le site du chantier à l’aide de rivets2 chauffés à plus de 1000 °C sont réalisés à l’avance en atelier avec une précision extrême. Une évidence aujourd’hui, mais une révolution à l’époque : gain de temps, de matière, et d’énergie, lui assurant une belle longueur d’avance sur ses concurrents. Qui se souvient qu’il a également conçu les 46 mètres de l’armature métallique de la statue de la liberté pour soutenir sa peau en cuivre ?
Eiffel meneur d’hommes, jettera les bases du management industriel dont seront héritiers les Citroën, les Dassault, les Michelin, les Peugeot … cette grande lignée de capitaines d’industrie qui développeront au 20e nos fleurons actuels : travaux publics, métallurgie, énergie, aéronautique, automobile, construction navale et ferroviaire, … Il suffira aux 300 ouvriers d’Eiffel de vingt-six petits mois pour ériger les 320 mètres de ce Meccano de 18 000 pièces et de 10 000 tonnes, qui accueillera les premiers curieux le 31 mars 1889 en tant que « clou » de la 5e exposition universelle de Paris, célébrant le centenaire de la prise de la Bastille.
Un patrimoine ferroviaire Eiffel à Grasse
Gustave Eiffel fût surtout l’homme du développement du rail, si l’on en croit le nombre de ponts3 ferroviaires (Müngsten en Allemagne, Hacho en Espagne, Viana Do Castelo au Portugal, San Michele en Italie, Long-Bien au Vietnam …), de viaducs (Garabit, Tardes, Maria Pia à Porto …), de gares (Budapest, Izmir en Turquie), et de bâtiments (la Poste centrale de Saïgon, grande verrière du Lycée Carnot à Paris …) sortis de ses bureaux d’études et de ses ateliers.
On lui doit, dans notre région, la coupole de l’observatoire du Mont Gros à Nice, et à Grasse, le pont Sainte-Anne (détruit en 1944) et le viaduc de Font-Laugière, à l’est de la ville. Ce dernier, ouvrage « Eiffel » anciennement utilisée par la ligne « Central-Var4 » des Chemins de fer de Provence, reliant Nice à Meyrargues (Bouches-du-Rhône) via Grasse et Draguignan, a été converti en pont routier en 1988, et modernisé avec deux voies en 2012.
Commémoration Eiffel : inspirer l’innovation dans la mobilité chez les futurs ingénieurs
Évoquer la figure de Gustave Eiffel consiste à prendre conscience de la modernité de son travail, eut égard au nombres impressionnants d’ouvrages qu’il a réalisés pour que des trains franchissent à l’horizontale des vallées. Innovation, inventivité, savoir-faire industriel, capacité à repousser des limites, audace … autant de qualités chez cet entrepreneur qui ont contribuées au développement du rail, rejoignant involontairement le développement durable, sujet majeur s’il en est pour les ingénieurs d’aujourd’hui.
La délégation IESF en Côte d’Azur (IESF-CA), en partenariat avec la ville de Grasse a organisé le 23 novembre, une journée de commémoration au Palais des congrès de Grasse. Elle a débuté par une présentation des multiples réalisations d’Eiffel dans le monde à des classes de troisième, puis par une exposition de modèles réduits en Meccano des ouvrages mythiques d’Eiffel. Tandis que les élèves ingénieurs présentaient durant toute la journée leurs projets dans le cadre du « Concours Eiffel 2023 », Jérôme Viaud, maire de Grasse, a inauguré l’exposition « Eiffel ce n’est pas que la Tour ». Les visiteurs ont découvert les travaux d’Eiffel éparpillée dans le monde grâce à une vidéo réalisée par IESF-CA. En fin de journée, Jérôme Viaud et Jean-Pierre Loubinoux, directeur général honoraire de l’Union Internationale des Chemins de Fer ont remis, en présence des membres du jury, les prix du concours Eiffel 2023. Jean-Pierre Rozelot, Président IESF-CA a ensuite présenté et remis à la ville de Grasse une maquette 3D du pont ferroviaire Eiffel de Grasse.
Enfin, pour clore cette journée riche et dense, Jean-Pierre Rivet chargé de recherche CNRS à l’observatoire de Nice a donné une conférence enthousiasmante intitulée « Eiffel, le savoir-fer ».
Eiffel : Héritage, inspiration, exemplarité
Depuis 2004, du haut de leurs 343 m (un peu plus que la tour Eiffel), les haubans du viaduc de Millau contemplent les méandres du Tarn. Ses mensurations records (2460 m de longueur, point culminant du tablier à 270 m) ne seront dépassées qu’en 2013 par celles du pont Jia-Shao en Chine, plus long de 220 m. Au-delà de son immense contribution à l’économie aveyronnaise, cet ouvrage emblématique démontre au monde, comme « la Tour » en 1889, l’excellence de l’ingénierie française.
Marcel Dassault professait « qu’un bel avion est un avion qui vole bien ». Quand des femmes et des hommes bien décidés à relever un défi regroupent leurs talents, marient sciences, technologies et amour immodéré pour le bel ouvrage, l’enfant nait beau, durable, admirable même. N’est-ce pas dans ce creuset où l’art et la technique se fondent qu’émerge l’innovation, ce graal tant recherché de nos jours ? Depuis plus de cent ans, Gustave Eiffel continue de livrer magistralement sa réponse à la question. CQFD.
Pour aller plus loin...
IESF & PMIS : Promotion des Métiers de l’Ingénieur et du Scientifique
En 1889, au moment de la construction de sa tour, Eiffel est le 5e président d’IESF, Société des Ingénieurs et Scientifiques de France créée en 1860. Aujourd’hui IESF existe plus que jamais au travers de ses 1 500 bénévoles et de ses 24 représentations régionales. Elle rassemble plus d’un million d’ingénieurs, 200 000 chercheurs et 150 des plus grandes Associations d’Alumni d’ingénieurs et scientifiques en France. Sa vocation multiple et fédérative lui assigne les tâches de représenter la profession auprès des pouvoirs publics et des entreprises, de rassembler, soutenir, valoriser les filières ingénieurs et scientifiques françaises dans nos territoires et à l’international.
[1] En 1912, Eiffel préoccupé par la tenue au vent de ses ouvrages, se lance dans l’aérodynamique expérimentale en construisant la soufflerie d’Auteuil. Précurseur, cet équipement encore en activité aujourd’hui et les connaissances accumulées par Eiffel, serviront à l’aéronautique naissante et à l’industrie automobile.
[2] La soudure au chalumeau oxyacétylénique ou à l’arc électrique n’existait pas encore. 40 équipes de riveteurs, à raison de 4200 rivets par jour, en poseront 2,5 millions pour assembler la tour.
[3] 16 ouvrages d’art Eiffel sont encore en service aujourd’hui.
[4] Connues aussi pour être une des deux lignes du « Train des Pignes », l’autre étant la ligne Nice-Digne remise en exploitation depuis le 1er janvier 2014.
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