L’éblouie

Par Frank Davit, 2 juin 2024 à 20:42

Arts en scène

Elle porte si souvent nos regards à incandescence devant ses expositions d'anthologie. Cet été, la Fondation Maeght a soixante ans et s'offre un nouveau rendez-vous au zénith, sous le signe de Bonnard et Matisse. Deux frères Lumière pour une reine Soleil...

Ses grâces s'effeuillent en majesté à l'ombre des pins et des chênes qui lui font un ramage à fleur de ciel. La Fondation Maeght a élu domicile à Saint-Paul de Vence il y a soixante ans. Á l’écart sur sa colline mais emblématique de la mythologie du village, elle s'est enracinée dans le paysage et y a fait éclore un formidable alhambra de jardins, de fontaines, de mosaïques et d’œuvres d’art, où tout n'est qu'art et beauté, luxe, âme et volupté. Pas d’autre moyen de dire les choses la concernant que sur le mode de l’éloge car ici, on vibre avant tout sur une échelle du plaisir d’être là qui se mesure à l’aune d’une magnitude de l’inouï ! La Fondation est une vamp, un envoûtement à vue, une institution. Soixante printemps dans le feuillage de son histoire et toute une histoire de l’art moderne qui bruisse dans ses rameaux d’effeuilleuse de la beauté. Elle est la divine, un écrin d’émotions et de sensations au cœur des plus palpitantes aventures de la création millésimée 20e siècle et, depuis 1964, année de son ouverture, elle n’a cessé de prodiguer ses bonheurs en cultivant son goût des fulgurances et des dissonances artistiques. « Paris est une fête », a écrit Hemingway. La Fondation en est une aussi. Faites vos jeux !


Poétique de la modernité


Miró, Picasso, Braque, Bonnard, Matisse, Chagall, Bacon, Freud, Otto Dix, Christo, Giacometti, Rauschenberg, Calder, Chillida… Peintres, sculpteurs, ils sont si nombreux à être passés par les cimaises de la Fondation. Car oui, comme cela se pratiquait à l’époque, ce sont les messieurs qui tenaient alors le haut du pavé dans le monde des arts. En cela, l’éden rêvé par les époux Marguerite et Aimé Maeght et transformé en réalité par l’architecte Josep Lluís Sert sous la forme d’une oasis luxuriante reflétait l’esprit d’un temps où les choses de la culture allaient de pair avec les affinités électives d’une aristocratie de l’art adoubant (ou pas) ses pairs. L’ouverture d’un lieu tel que la Fondation Maeght s’inscrivait dans cet air du temps innovant, marqué par une soif de casser les codes esthétiques, d’inventer d’autres visions du monde, de laisser libre cours à une poétique de la modernité, tout en privilégiant une certaine éthique mâle du geste créateur. Les géants de l’art moderne y avaient leur rond de serviette en quelque sorte et nombre d’expositions présentées sur place au fil du temps invitaient aussi d’autres grands, de la littérature, de la poésie, de la danse, de la musique. Tout était prétexte à abolir les frontières entre les arts, à tisser des uns aux autres la matière d’éblouissements iconoclastes, nouveaux. Dans la légende de son âge d’or, la Fondation Maeght fut le creuset de cette effervescence éblouie…


Par une belle soirée, le 28 juillet 1964…


Le jour tant attendu arrivait enfin ! « Une soirée féérique est prévue, se souvient Yoyo Maeght dans son livre La Saga Maeght. Ella Fitzgerald et Montant vont chanter… Au milieu d'invités divinement habillés, le smoking est de rigueur et les robes longues encore plus belles que dans les magazines. » Et puis, arrive le moment solennel où André Malraux, qui était alors le ministre de la Culture en exercice, va ouvrir les portes du lieu, avec une clé d’or. La Fondation Maeght vient d’être inaugurée sous les flashs des photographes. Pour un peu, on se croirait via Veneto à Rome, dans une scène du film de Fellini La Dolce Vita, dans un tourbillon de mondanités et d’ondes dionysiaques. Á cet instant, nul ne le sait encore, ce sont les portes de la postérité qui s’ouvrent devant la Fondation. Elle va devenir un intense foyer de rayonnement du monde des arts et sait aujourd’hui encore jouer de toutes ses séductions pour le rester.


Deux phénix pour l'exposition Amitiés Bonnard-Matisse pour les 60 ans de la Fondation

du 29 juin au 6 octobre...


L’un comme l’autre, chacun différemment, ils ont voulu irradier leur art à la lumière du sud. Pierre Bonnard et Henri Matisse furent pour ainsi dire des chercheurs d’or, cet or immatériel serti au ciel azuréen. Bonnard à la façon d’un sismographe enregistrant les variations lumineuses de la danse des jours. Matisse à la façon d’un système solaire dans une énergie créatrice rayonnante. Les deux peintres, artistes phénix qui avaient établi leurs pénates par ici, au Cannet pour Bonnard, entre Nice et Vence pour Matisse, sont à l’honneur cet été dans le cadre de la nouvelle exposition de la Fondation Maeght. Y sont évoqués le respect et l’estime que se témoignaient les deux hommes, leurs liens avec la famille Maeght, et, au-delà, le génie propre à chacun de ces deux maîtres du 20e siècle à travers tableaux, photos, autoportraits et prêts d’œuvres exceptionnels accordés pour l’occasion. L’exposition s’intitule « Amitiés, Bonnard-Matisse pour les 60 ans de la Fondation Maeght ».


En grande pompe pour une grosse pointure de l’art : quand la Fondation Maeght célèbre son soixantième anniversaire, elle ne fait pas les choses à moitié ! L’exposition Bonnard et Matisse sera au premier plan des festivités mais d’autres réjouissances viendront également accompagner ce calendrier festif, au gré d’une programmation de concerts, représentations de danse, projections de films et lectures. De nouvelles salles d’exposition, résultant d’un chantier d’extension de la Fondation mené par l’architecte Silvio d’Ascia, seront inaugurées dans ce contexte.


La Fondation Marguerite et Aimé Maeght est la première fondation en France dédiée à l’art moderne et contemporain. Elle est reconnue d’utilité publique par décret ministériel du 15 mai 1964. Depuis 1981, Monsieur Adrien Maeght, fils de Marguerite et Aimé Maeght, est le président du conseil d’administration de la Fondation. Celui-ci est composé de onze membres dont des représentants du ministère de la Culture, de la direction des musées de France et du ministère de l’Intérieur ainsi que quatre membres de la famille Maeght et quatre personnalités qualifiées. La Fondation Maeght est dirigée par Nicolas Gitton depuis 2018.

Parution magazine N°45 (juin, juillet, août)

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