Santé humaine, Santé animale
Je t’aime... moi non plus

Par Antoine Guy, 5 juin 2024 à 15:28

Planète bleue

La connaissance du vivant ayant progressé de manière fulgurante depuis quelques décennies, le paradigme de SANTÉ a subi l’équivalent d’une mise à jour 2.0. Les silos du passé, santé végétale, santé animale et santé humaine, ont été réunifiés dans un concept global baptisé One Health, apanage des séquenceurs ADN, des débusqueurs de molécules, des chasseurs de virus et des cueilleurs de bactéries grouillant par millions autour des forteresses cellulaires. Richard Thiéry, directeur de l’ANSES Sophia Antipolis, nous a éclairés sur les avancées de cette union avec et contre nature.


ANSES, une réunification d’agences, à l’image de sa nouvelle mission


Quand la question posée concerne la « santé » au sens large, c’est-à-dire à l’échelle d’un pays de 70 millions d’âmes, voire d’un continent de 450 millions d’individus, il est impossible de s’exonérer d’une rencontre avec l’ANSES. Derrière cet acronyme, pour Agence nationale de SÉcurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, se cache un établissement public indépendant regroupant plus de 1 400 collaborateurs répartis en 9 laboratoires sur l’Hexagone. L’histoire de ce vaisseau est ancienne et explique pourquoi il est aujourd’hui affrété par cinq armateurs : les ministères chargés de la Santé, de l’Environnement, de l’Agriculture, du Travail et de la Consommation. L’arbre généalogique de l’ANSES impressionne. La fusion le 1er juillet 2010 de l’AFSSA1 avec l’AFSSET2 a porté l’ANSES sur les fonts baptismaux. L’AFSSA créée en 1999 après la crise dite de la vache folle, et l’AFSSET résultat de l’élargissement en 2005 des missions de l’AFSSE3 (créée en 2001), ont, elles aussi, de multiples illustres ancêtres qu’il serait laborieux de détailler ici.


Retenons simplement que le temps a fédéré ces multiples organisations étatiques depuis le milieu du 20e siècle, actant ainsi du fait que dans nos sociétés mondialisées, la santé s’envisage désormais non plus sectorisée mais comme un concept global et systémique : alimentation, environnement, travail, tout est lié. L’OMS définit la « santé » comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. » « L’ANSES, rappelle Richard Thiéry, travaille sur la santé des plantes, sur la santé des animaux, sur la santé humaine dont la santé au travail, dans une approche dite ″one health″ ou ″une seule santé″. Du fait de son champs de compétences vaste, l’ANSES est également présente sur les scènes européenne et internationale au cœur de nombreux projets et de groupes d’experts. Nous sommes laboratoire de référence pour l’OMSA4, Organisation mondiale de la Santé animale, pour de nombreuses maladies. » L’ANSES assure quatre missions nationales : évaluer les risques sanitaires (au travers de comités d’experts nommés pour cinq ans), surveiller et alerter, produire et mettre à disposition des connaissances, enfin examiner des demandes d’autorisation de mise sur le marché (produits vétérinaires, phytosanitaires…). La préoccupation est globale, les défis sont multiples, les quêtes se transversalisent. L’ANSES s’adosse sur des compétences variées : médecins, biologistes, vétérinaires, biochimistes, agronomes, ingénieurs… Bienvenu au cœur du « vivant » ! Un autre marqueur de taille : l’adresse du siège de l’ANSES est celle de l’ENVA, l’École nationale vétérinaire Alfort, célèbre et vénérable institution installée à Maisons-Alfort (94) depuis 1766 !


Zoonoses

Quand l’agent pathogène fait le mur et franchit la barrière de l’espèce


L’ANSES de Sophia se préoccupe d’un premier sujet, une zoonose5 appelée fièvre Q6. Due à la bactérie Coxiella burnetii, elle cause des avortements chez les ruminants domestiques, une réelle inquiétude dans une région historique de pastoralisme. En sa qualité de zoonose, « Q » contamine malheureusement aussi l’homme par voie aéroportée (inhalation), pouvant entraîner des avortements chez les femmes enceintes. Cette maladie sous-estimée a frappé en 2002 dans la région de Chamonix, plus récemment en 2014 dans la Drôme, et fait l’objet d’investigations approfondies en Guyane française où un nombre significatif de cas a été recensé. Mais c’est aux Pays-Bas, entre 2007 et 2010, qu’une épizootie caprine de fièvre Q a déclenché une épidémie touchant plus de 2 000 cas humains, et causant six décès.


Les zoonoses sont virales, bactériennes, parasitaires, à transmission directe ou via l’alimentation (salmonellose, campylobactériose) et l’eau (cryptosporidiose). « 60 % des maladies infectieuses chez l’homme viennent de l’animal - la rage, la maladie de la vache folle et plus récemment le désormais célèbre Covid », rappelle Richard. Il s’agit d’exemple du « franchissement de la barrière de l’espèce ». Le virus, avec il faut le reconnaître une malignité certaine, mute, s’adapte pour se rendre compatible avec son nouvel hôte. On parle alors d’une nouvelle « stratégie virale ». Un vocabulaire guerrier imagé mais qui en dit long sur la complexité de ce qui se passe et qui n’est pas sans rappeler le cheval de Troie.


« Attention, l’environnement ne va pas bien ! » alertent les abeilles


La deuxième préoccupation de l’ANSES de Sophia concerne la santé des abeilles, ces agents pollinisateurs cruciaux au plan environnemental. « Les abeilles sont des indicateurs de la santé de l’environnement, et donc indirectement de la santé des hommes », commente Richard. « L’ANSES est laboratoire européen de référence sur ce sujet », ajoute-t-il. Actuellement, les abeilles souffrent surtout des assauts d’un acarien venu d’Asie du Sud-Est, le varroa7, qui se nourrit de son tissu adipeux et de son hémolymphe. Depuis une dizaine d’années, elles subissent de plein fouet la prédation du frelon asiatique, invité indésirable arrivé de Chine. Ce glouton, moins pollinisateur que colonisateur, se positionne en vol stationnaire devant les ruches, se rue sur les abeilles qui passent à sa portée, pour ensuite gaver ses congénères restés dans le nid. Enfin, les abeilles sont très affectées par les pesticides, la monoculture, les variations de température et d’hygrométrie imposées par le changement climatique. En bref, nos chères productrices de miel vont mal car l’environnement va mal, nous dit l’ANSES. Écoutons-les.


Et si l’animal résistant à un agent pathogène pouvait nous révéler son secret ?


« Les chauves-souris sont des réservoirs à virus, mais restent globalement asymptomatiques. Nous n’avons cependant pas vraiment d’exemple où l’immunité au moins apparente d’une espèce nous a permis de trouver une thérapie », déclare Richard. La pathogénie étudie comment l’agent pathogène infecte son hôte et pourquoi ses mécanismes de défense sont insuffisants pour combattre l’agression. La plupart du temps tout se joue au niveau des récepteurs cellulaires qui empêchent ou non le virus de franchir la membrane. Le virus, quand il réussit à forcer la membrane, détourne ensuite la machinerie cellulaire à son profit pour se reproduire. « Aujourd’hui, on sait bien faire des vaccins. Grâce aux dernières technologies de séquençage (NGS, pour Next Generation Sequencing), la compréhension des structures moléculaires des virus (entre autres) est beaucoup plus rapide. L’évaluation de la présence métagénomique (identification globale du contenu génomique) par comparaison avec des banques de données virales est grandement facilitée, permettant ainsi de savoir plus exactement à quel ennemi on a affaire », explique Richard. La stratégie vaccinale consistera ensuite à stimuler le système immunitaire hôte ou à réduire les symptômes (ce fut le cas des vaccins Covid).


La Santé, une orientation très moléculaire


Une guerre silencieuse et secrète où s’affrontent des millions d’entités nanométriques se livre dans le labyrinthe de nos cellules. Les mécanismes d’agression, de parasitage, de détournement cellulaire sont plutôt connus. Les signatures ADN de ces délinquants profiteurs aussi. C’est un facteur d’espoir. En revanche, ces candidats aux intentions peu louables enclins à malmener notre santé semblent très nombreux et cette chasse au « cas par cas » confirme que la partie est loin de se terminer. « L’IA pourra-t-elle y jouer un rôle ? Sûrement, mais il est encore un peu tôt pour le dire », conclut Richard. Coluche, dans un sketch, se demandait « s’il y avait une vie avant la mort ? ». L’ANSES tente d’y répondre tous les jours, et c’est semble-t-il passionnant.


Le même humoriste lançait aussi : « Tiens, la réponse est contenue dans la question ! » Ce n’est pas faux non plus. Les réponses aux questions sur la santé se tapissent au cœur du vivant lui-même, mais ne se laissent vraiment pas débusquer facilement. Cela se saurait.




1 Agence française de Sécurité sanitaire des Aliments (dont l'Agence nationale du Médicament vétérinaire).


2 Agence française de Sécurité sanitaire de l'Environnement et du Travail.


3 Agence française de Sécurité sanitaire environnementale.


4 Ou WOAH pour World Organisation for Animal Health.


5 Maladie infectieuse passée de l'animal à l’homme. Les agents pathogènes zoonotiques peuvent être d'origine bactérienne, virale ou parasitaire, ou peuvent impliquer des agents non conventionnels et se propager à l’homme par contact direct ou par les aliments, l’eau ou l’environnement. Ils représentent un problème majeur de santé publique dans le monde entier en raison de notre relation étroite avec les animaux.


6 Q pour « Query » et non pour le Géo Trouvetou fantasque pourvoyeur des gadgets de 007.


7 Le varroa est une espèce d'acarien parasite de l'abeille originaire de l'Asie du Sud-Est, où il vit aux dépens de l'abeille asiatique Apis cerana qui résiste à ses attaques, contrairement à l'abeille européenne Apis mellifera. Ayant colonisé quasiment toutes les zones où l’abeille domestique Apis mellifera est présente, la varroose est un problème d'ordre mondial.

Parution magazine N°45 (juin, juillet, août)

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