Urgence climat, la guerre du golf n’aura pas lieu

Par Antoine Guy, 18 mai 2023 à 08:21

Polis

L’actualité récente s’est fait l’écho d’actes isolés de vandalisme sur des golfs. Des sécheresses préoccupantes frappent nos territoires, et des activistes en herbe veulent alerter sur les méfaits supposés des golfs sur la ressource en eau, sur le manque de vertus de leurs pratiques, voire des joueurs. Bashung réécrirait-il de nos jours « Gaby, tu veux qu’jte chante la mer, le long des golfs pas très clairs » ? Les moutons noirs de l’écologie broutent-ils forcément sur les greens ? SophiaMag a rencontré Guy Talpe, superintendant de golf durant trois décennies sur la Côte d’Azur. Il aime à se définir « médecin du gazon ». Nous l’avons interrogé sur les évolutions de l’univers du golf à l’aune du changement climatique.

Précipitations irrégulières. Barrer entre sécheresses et inondations


Au royaume du golf, le changement climatique s’est invité comme ailleurs. Depuis trente ans, ce professionnel averti et systématique a compilé les relevés de ses stations météo. « J’ai remarqué des cycles de dix ans environ, écrits par les anciens », dit-il. En 1995, les stations de sports d’hiver manquaient d’eau et ont inauguré leurs premiers canons à neige. « Puis sont arrivées des précipitations annuelles de l’ordre de 800 mm, en particulier les épisodes dramatiques de 2015-2017 avec plus de 1 000 mm, une pluviométrie gigantesque », continue-t-il. La normale dans nos régions s’établit autour de 700 mm. Elle affichait en 2022 un très faible 350 mm. « Plus grave que les quantités, on déplore l’irrégularité. Nous avons connu des périodes sèches longues et puis soudain des précipitations de 700 mm en 4 mois, beaucoup trop importantes pour que les sols puissent les absorber », ajoute-t-il. Il précise ensuite : « Il faut se rendre compte des échelles. 1 mm correspond à 1 litre par m2, soit 10 m3 à l’hectare. Pour un golf de 50 hectares, 10 mm de précipitations correspondent à 5 000 m3, soit 5 000 tonnes d’eau qui tombent du ciel ! »


Les professionnels des espaces verts globalisent les variables météo par un indicateur clé dit « d’évapotranspiration », exprimé en mm et qui conjugue la pluviométrie, la température, le vent et les radiations solaires au niveau des plantes. Depuis 2015, l’ETP bat tous les records des trente dernières années, avec moins d’eau mais surtout plus de vent, plus de soleil, et des hautes températures. En hiver l’ETP vaut à peu près 0, en été, 5 mm par jour et si le vent souffle, grimpe à 8 ou 9 mm. « Au-delà des chiffres, nous constatons que la forêt souffre, les végétaux changent, les graminées traditionnelles sont de plus en concurrence avec des espèces mieux adaptées à la chaleur ».



Adapter les espèces sur le green : sport et climat ne sont pas incompatibles


En « Golfie », il existe deux classes de graminées, les C3 et les C4. Les C3 traditionnelles demandent 400 gr d’eau pour fixer 1 gr de carbone. Leur rendement de photosynthèse est idéal à 25 °C, au-delà, elles entrent en stress, sont sujettes aux maladies et deviennent moins compétitives avec d’autres espèces. Les C4, comme les cynodons ou les paspalums, fixent bien le carbone vers 30 °C et ne nécessitent que 300 gr d’eau pour fixer 1 gr de carbone (pour mémoire, un cactus se satisfait de 50 gr). Les C4 prennent le dessus sur les C3 quand la température monte. Elles nécessitent moins d’eau mais présentent pour les joueurs un « port » moins efficace, c’est-à-dire un roulage pour la balle nettement moins intéressant. C3 contre C4, à cause du réchauffement climatique, la querelle entre écologie et sport s’invite aussi dans l’herbe… une guerre du golf.


L’exigence sportive présente cependant des intérêts. Il y a trente ans, le golfeur désirait avant tout une esthétique verte et visuellement irréprochable, ce qui impliquait des arrosages fréquents, des engrais et des pesticides. Les sols gorgés d’eau, en étant meubles avec un gazon trop poussant, freinent les balles. L’évolution de la demande pour un jeu sélectif a entraîné la diminution des pratiques d’arrosage pour garantir des sols fermes et rapides, même si les fairways apparaissent « jaunes », inconcevable dans le passé. « Aujourd’hui cet aspect jaune est même recherché car il signifie surface rapide et sélective », note Guy un brin moqueur. 



Nouveau monde et vieille Europe : deux approches s’affrontent


La planète golf hésite de plus en plus entre un modèle américain s’appuyant sur des budgets colossaux, s’éloignant de l’écologie, et un modèle européen, plus vertueux, cherchant à concilier les contraintes climatiques avec les exigences de la compétition. « Les USA, forts de leurs 16 000 golfs et des revenus associés, ont imposé pendant pas mal d’années leur vision, leurs machines, leurs intrants, même s’ils ont contribué à des avancées », résume Guy. Quelles que soient les précipitations, les sols doivent pour être sélectifs, rester durs. Pour ce faire, on a limité la proportion d’argile et de limon en apportant des sables à la granulométrie très spécifique, rendant dans certains cas les sols inertes, dépourvus de ce complexe argilo-humique nécessaire au développement de la biodiversité. La saturation des surfaces par les engrais a entraîné une sensibilité maximale aux champignons et aux maladies, nécessitant le suremploi de pesticides, rendant les sols encore plus inertes. Ce modèle est remis en cause aujourd’hui : le cercle vicieux façon serpent qui se mange la queue où la solution à un problème en crée automatiquement un autre.


La gestion raisonnée des golfs privilégie de plus en plus des traitements respectueux des sols, une préservation des arbres, des plans d’eau, et de zones à proximité en jachère. Ces zones dites « humides » absorbent les excès d’eau pour les relâcher en période de pénurie, abritent des batraciens et toute une biodiversité d’insectes, d’oiseaux, de rongeurs. Elles piègent le carbone et leurs graminées sont de très bons pièges à nitrates. « Les études montrent qu’il n’y a pas de lessivage des sols au niveau de nos golfs s’ils sont gérés de façon raisonnée. Les bonnes pratiques de ces dernières années démontrent une réelle diminution des pollutions et de la consommation d’eau », déclare-t-il. Il évoque en complément la tendance à la « REUSE », la volonté des élus, comme bientôt sur le golf de Cannes-Mandelieu, d’utiliser des eaux usées non potables mais suffisamment dépolluées à des fins d’arrosage. La réglementation bouge « enfin » dans ce sens.




Expérience terrain en vraie grandeur : enseignements et progrès


Osant une analogie qui peut surprendre avec la compétition automobile, Guy explique combien le golf sert aujourd’hui de laboratoire d’expérimentation et de progrès : sélection des graminées pour leurs racines profondes, leur consommation d’eau et leurs qualités sportives, optimisation des fréquences d’arrosage sur des sols abritant une désirable biodiversité, équilibre entre utilisation des eaux de surface et des eaux profondes, nombreux projets de REUSE. « Le golf est le seul sport sur gazon qui propose tant d’avancées. Je suis médecin du gazon, en recherche constante d’équilibre : de l’eau ni trop ni pas assez, les bons nutriments ni trop ni pas assez, les bonnes variétés pour garantir le court et le moyen terme, des apports raisonnés d’intrants, une bonne coopération avec les arbres, les plans d’eau, le vent et la lumière… collaboration et harmonie avec la nature, à l’image des médecines holistiques », conclut Guy.


Il ne semble pas si évident qu’il faille croiser le fer avec le golf, et désigner là un autre bouc émissaire de l’éco-irresponsabilité. Au contraire, la tendance en Europe évolue très vite vers la pratique d’une harmonie avec la nature frappée du sceau du bon sens… une évidence qui swingue !

Parution magazine N°41 (juin, juillet, août)

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