Comment crée-t-on un nouveau sport ?
L’exemple du Raqball

Par Magali Chelpi-den Hamer, 1 mars 2023 à 20:12, Sophia Antipolis

Infovrac

Un grand zeste de personnalité, un soupçon de créativité, 400 grammes de curiosité, une pincée de bon sens, voilà pour l’essentiel la recette d’un sport, sans compter les pièces rapportées fiables triées sur le volet. Le Raqball célèbre cette année ses dix ans. Peu savent que son origine est sophipolitaine. 

Ce n’est pas tous les jours qu’un nouveau sport est inventé. Et c’est encore moins souvent qu’un sport est inventé sur Sophia Antipolis. Le Raqball a émergé de la tête de Chris Oven un jour caniculaire de juillet en regardant un panneau de sens interdit. C’était il y a dix ans. Aujourd’hui, ce coup de chaud a largement porté ses fruits puisque le sport est reconnu localement, nationalement et qu’il commence à s’internationaliser. Il a bâti ses institutions (la fédération française de Raqball et la fédération internationale), il a créé son équipementier (la start-up RZBALL), il a conceptualisé ses propres normes techniques et sécuritaires (R2.0). Et il a surtout eu la chance de trouver une équipe qui ne le laisse pas tomber, à commencer par Valérie Manhajm.


Prenez plein de « raqqets », prenez une balle, faites deux équipes, et éclatez-vous. Le but du Raqball est de tirer dans la « targget » et de se faire des passes en « drib’up » ou en « ground » pour y arriver. S’il faut reconnaître que la « dream team » ne s’est pas foulée sur le lexique, la simplicité du jeu est en soi attirante. Et surtout ça prend auprès d’une diversité de publics.


La force de son inventeur aura été de tout de suite réaliser l’idée. Il le dit lui-même, « on est tous dotés de milliards d’idées non converties. Après on peut tomber dans le regret. Moi, ce n’est jamais mon cas. Ma force, lorsque je sens que l’idée est bonne, c’est que je vais tout de suite dans la réalisation. » Chris s’est donc attelé à la fabrication du premier prototype. « J’ai acheté du bois, des rideaux de douche, un hamac. J’ai fait les premières raquettes en PVC et je suis allé acheter des balles. Après il a fallu tester ». C’est en avril 2013 que pour la première fois, le Raqball se confronte à son potentiel public. Une rencontre franco-libanaise sur deux jours organisée par l’UNSS a donné l’occasion à Chris de présenter son jeu. Non sans trac. Le premier jour, il interpelle un gamin d’une dizaine d’années pour tester son prototype. Le garçon appréhende facilement la raquette, commence à lui faire des passes, et… Vous connaissez la suite.


Au-delà de l’historique romancé, créer un sport est avant tout technique, administratif et assurantiel, et il nécessite des reins solides en termes d’investissement financier. Pour comprendre pleinement les enjeux, deux entrées : l’entrée par les institutions régulatrices du sport, et l’entrée par les équipementiers, les deux ayant leur propre modèle économique. C’est la startup RZBALL COMPANY qui démarre le bal des institutions raqball-isées début 2017. Car pour développer la pratique d’un sport, il faut, d’une part, des joueurs, et d’autre part, des équipements et un lieu où pouvoir pratiquer l’activité. La bonne taille de terrain par exemple, qui s’adapte partout, même dans les zones tendues au niveau foncier. L’équipe tranchera pour du 20x10. L’idée d’un équipement mobile ensuite, qui puisse être facilement mutualisé entre différents profils d’usagers. La commune de Breil-sur-Roya a par exemple acheté un kit de Raqball pour équiper le tennis municipal et les écoles breilloises pendant le temps du périscolaire. Le kit alterne d’un lieu à l’autre. Un défi de taille a été de faire rentrer un panneau de 2,80 m dans une valise de 1,37 m. Défi relevé haut la main par le back office, Thomas Clauss, en contact direct avec le bureau d’études néerlandais Alskar, spécialiste de la mise en série d’équipements sportifs. Côté design, le BE n’a rien inventé. L’équipe lui a fourni un cahier des charges précis, basé sur le hamac et le rideau de douche initial, et bien entendu amélioré depuis. Alskar a en revanche permis de professionnaliser le prototype, d’une part, par le matériel utilisé, à haute valeur technologique, et d’autre part, en intégrant des aspects de normes. Raqball a donc ainsi créé ses propres lois, plutôt à l’endroit d’ailleurs, et a su naviguer les systèmes de manière très agile. Le BE a créé des normes pour normaliser les panneaux et pour la sécurité dans les écoles, et l’Apave les a certifiées. Le terrain mobile est devenu un RB2.0 et du côté de l’équipementier, on commence à protéger les brevets.


Une fois l’étape du bureau d’études passée, il a fallu lever suffisamment de fonds pour permettre la production de l’équipement en série et la création des structures. RZBALL a reçu l’appui de la Banque publique d’investissement (BpiFrance) ainsi que celui de la Région, et l’autre partie a été amenée par ses propres actionnaires. Ensuite il a fallu faire du sourcing et trouver les sous-traitants qui allaient fabriquer les objets. L’aluminium est acheté aux Pays-Bas, les balles au Royaume Uni, la visserie en France. L’assemblage du produit fini se fait dans un E.S.A.T. de proximité à Antibes. Rien n’a été laissé au hasard.


Aux manettes de cette stratégie depuis 2015, Christophe Lehmann. C’est à partir de la rencontre entre les deux Chris que les changements de marche s’accélèrent. On passe du tâtonnement utile au business. Dans la foulée de création de RZBALL se crée la fédération internationale fin 2017 pour déposer un règlement et protéger le nouveau sport. C’est un avocat expert belge, qui a travaillé à la Commission antidopage, qui dépose le premier règlement officiel de Raqball au Tribunal fédéral de justice de Bruxelles. L’expérience a en effet montré que bien des sports ont été interprétés différemment en fonction des contextes, s’ils n’avaient pas de fédération internationale chapeau, parfois avec de grandes incohérences, les fédérations sportives communiquant finalement assez peu de pays à pays. La création de cette fédération internationale permet à la fois de protéger le sport effectivement, et à la fois de capter la manne des licences, une fois la dynamique des clubs enclenchée.


Un an après la création de la fédération internationale de Raqball, c’est la première fédération nationale qui est créée sur Valbonne fin 2018 et les premiers clubs loisirs suivent. La commercialisation des kits a commencé en mai 2021 et aujourd’hui, 50 sites en France sont équipés d’au moins deux valises, majoritairement des communes de moins de 5 000 habitants. La première cible pour l’entreprise continue d’être les écoles primaires, c’est son pari, et dans cette stratégie, les communes sont de facto amenées à jouer un rôle non négligeable dans le développement et la diffusion de cette nouvelle pratique sportive. Après tout, ce n’est pas qu’une question de goût pour l’activité, c’est aussi et surtout une question d’accès aux bonnes infrastructures. Frédéric Branger ne me contredira pas. Il n’y a rien de culturel à ne pas pratiquer quand on n’a ni terrain ni équipement. Pour faire décoller le Raqball à l’international, Frédéric est en pourparlers avancés avec le Canada et d’autres pays prospects sont également scrutés. L’équipe est aujourd’hui en recherche de partenaires sérieux pour attaquer son virage étranger. Nous ne pouvons que lui souhaiter pleine réussite dans ce projet. Sportivement.


Parution magazine N°40 (mars, avril, mai)

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