Fusion de l’hydrogène, Voyage au centre de l’ITER , au pays des superlatifs
Énergivores
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Le modernisme, né au XIXe siècle du mariage des révolutions scientifique et industrielle, postule pour croître, qu’il disposera d’une source d’énergie accessible, bon marché et quasi illimitée. Le couple hydrocarbure / électricité a rempli à merveille ce rôle « nécessaire et suffisant » jusqu’à ce que l’effet de serre cloue les émissions de CO2 aux piloris de l’urgence climatique et de la prise de conscience écologique. L’avenir dépend de l’emploi à grande échelle d’une énergie décarbonée. La réponse existe, c’est le SOLEIL.
En 1920, des physiciens (Eddington au Royaume-Uni, Perrin en France, postulent que la fusion de l’hydrogène est à l’origine de la production d’énergie du soleil et des étoiles. Hans Bethe, dix ans plus tard, en formulera l’équation. Des noyaux légers d’hydrogène fusionnent en noyaux plus lourds, dégageant ainsi une énorme quantité d’énergie récupérable. Toute l’ambition du projet ITER réside dans ce défi, dont le succès devrait faire mentir le mythe d’Icare. Une fois terminé, ITER mettra à disposition de l’humanité la maîtrise de la fusion de l’hydrogène, une source d’énergie illimitée, bon marché, et surtout complètement décarbonée, garantissant l’abandon des combustibles fossiles, et capable de répondre à la demande exponentielle en électricité de très bientôt 10 milliards de Terriens.
Le deutérium est un isotope 2 de l’hydrogène dont le noyau possède un proton et un neutron. Le noyau de tritium, autre isotope du même hydrogène, se compose lui d’un proton et de deux neutrons, soit un total de deux protons et de trois neutrons. Quand ces deux cousins font la fête et se combinent, ils forment alors un atome d’hélium (4He) dont le noyau se compose de deux protons et de deux neutrons. Comme rien ne se perd, rien ne se crée mais tout se transforme 4., il plane après fusion un neutron de trop, que la réaction va éjecter avec une formidable énergie (proportionnelle à E=mc2). Tout l’intérêt d’ITER et de la fusion tient à ce dernier neutron à très haute énergie qui va chauffer de l’eau, animer des turbines à vapeur et entraîner des génératrices électriques.
Univers-ITER
Plus facile à dire qu’à faire… La fusion (la petite sauterie entre le deutérium et le tritium), comme dans le soleil, nécessite comme piste de danse un plasma sous vide porté à la bagatelle de 150 millions °C. Comment créer un tel plasma, le monter à cette température et surtout comment construire une enceinte de confinement capable de lui résister ? Aucun matériau connu n’en est capable. La réponse est venue des physiciens russes au début des ann.es 1950 avec l’invention du Tokamak 5 par Igor Tamm et Andreï Sakharov.
Les particules constitutives d’un plasma sont charg.es et donc confinables dans un champ magnétique à haute intensité. A l’intérieur du Tokamak, le plasma où va se réaliser la fusion sera sustenté. dans le vide grâce à des champs magnétiques très intenses et ne sera jamais en contact avec un quelconque élément solide, qui ne résisterait pas une microseconde à de telles chaleurs. On peut déjà en conclure qu’outre la maîtrise de la physique des plasmas à très haute température, les concepteurs d’un Tokamak comme ITER devront maîtriser les champs magnétiques intenses, donc la supraconductivité. par le refroidissement de matériaux proche du zéro absolu… et faire coexister au sein du même expérimentateur la chaleur du soleil avec le froid maximal. Le cryostat est le ‘thermos’ qui isole la machine (et donc le syst.me magnétique ultra-froid) de l’environnement extérieur.
Util-ITER
Depuis le premier Tokamak russe, d’autres sont nés dans les décennies suivantes : le TA-2000 de France en 1957, le TFTR à Princeton aux USA en 1982, le JET d’Euratom en 1983, le JT-60 japonais en 1985, le Tore Supra de CEA-Euratom en 1988, le KSTAR en Corée du Sud opérationnel depuis 2008. Le Jet et le TFTR ont démontré. la faisabilité. de la fusion deutérium/tritium mais avec un ratio négatif. Ils produisaient moins qu’ils ne consommaient pour allumer le feu (ou le plasma). ITER atteindra un ratio positif de 10, soit 50 MW de chauffage injecté pour 500 MW de puissance restituée. Il apparaît effectivement que la chambre de confinement doit avoir une taille minimale pour proposer un rendement positif, et seul ITER à ce jour avec ses 830 m3 est en mesure d’y arriver. Comment s’approvisionner avec les deux isotopes nécessaires. l’alimentation d’ITER ? Le deutérium se trouve facilement. l’état naturel, par exemple dans l’eau de mer à raison de 33 gr par m3 qu’il suffira de distiller. Le tritium n’existe quasiment pas. l’état naturel. Il peut être en revanche produit par irradiation du lithium avec des neutrons, ce qui tombe bien puisque que la fusion émet des neutrons. Les équipes d’ITER mettent au point des modules tritigènes pour sa propre production de tritium. Son besoin en deutérium et tritium se monte à 125 kg de chaque combustible annuellement, à comparer avec les 2,7 millions de tonnes de charbon requises pour une centrale thermique de même puissance. Rappelons que la fusion à la mode ITER produit une quantité. d’énergie quatre millions de fois supérieure aux combustions d’hydrocarbures équivalentes, et qu’en cas de succès, le prix du KW/h obtenu sera divis. par deux par rapport à celui des centrales nucléaires à fission. La loi de la conservation de la mati.re nous permet d’estimer qu’un peu moins de 250 kg d’hélium sortiront annuellement du Tokamak. Enfin lors du démantèlement, 9 % des matériaux présenteront une radioactivité. nécessitant moins de 100 ans d’attente avant recyclage. Un très beau bilan énergétique, financier et écologique.
Human-ITER
ITER est n. officiellement en 1985 au sommet de Genève, de parents américains et russes. Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev, en pleine perestroïka., scellèrent le commencement de la fin de la guerre froide par un engagement sur une collaboration internationale pour le bénéfice de toute l’humanité. : la fusion de l’hydrogène dans un plasma, ou comment offrir aux Terriens la source d’énergie alternative aux hydrocarbures fossiles, rebattant les cartes d’une géopolitique planétaire à bout de souffle dont la guerre froide fut un des tristes corrélats. Les sept membres d’ITER sont la Chine, l’UE, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud, la Russie et les USA, soit 50 % de la population mondiale pour 85 % du PIB de la planète. Le 28 juin 2005, le site de Cadarache en France est choisi unanimement. L’accord définitif d’implantation d’ITER est signé à l’Elysée le 21 novembre 2006 en présence du président Chirac. Aujourd’hui, le génie civil est réalisé à 80 % et 74 % des tâches nécessaires à la production du premier plasma sont accomplies. Selon la feuille de route en vigueur, ce premier plasma sera allumé courant 2026, et les opérations de fusion à pleine puissance se dérouleront à partir de décembre 2035.
ITER tient à la fois de la tour de Babel et du chantier de la grande Pyramide. Le principal hall d’assemblage, contigu au puits d’assemblage du Tokamak, ressemble à une cathédrale de science-fiction tout droit sortie de Blade Runner ou du Cinquième élément.
Les habitants-fourmis des lieux, baptisés les «Itériens», de 35 nationalités différentes mais échangeant tous en anglais, sont au nombre de 1 200 salariés environ (chercheurs, ingénieurs, sous-traitants directs sous statut de droit international) plus les presque 3 000 ouvriers en charge du BTP. Sur cette concession de 180 ha octroyée à ITER par la France, la plateforme principale de 42 ha (60 terrains de football) abritera tous les bâtiments dont le Tokamak a besoin : unité d’alimentation électrique de 400 000 volts, unité cryogénique pour la supraconductivité., unité d’évacuation de la chaleur, halls d’assemblage divers, en particulier pour les bobinages d’électro-aimants et le Cryostat (bouclier thermique entre le plasma et les autres organes de l’enceinte), salle de contrôle et bâtiments administratifs… une ruche industrielle et technologique.
"Le Tokamak d’ITER avec sa chambre à vide, ses bobines de champs et tout le reste accuse 23 000 tonnes sur la balance, soit 3,5 tour Eiffel"
L’assemblage au dixième de millimètre de ces modules gigantesques nécessite de titanesques portiques de levage pesant 1 500 tonnes, certains fournis par la France, d’autres par la construction navale coréenne, spécialiste du secteur s’il en est ! A lui seul, le Tokamak avec sa chambre à vide, ses bobines de champs et tout le reste accuse 23 000 tonnes sur la balance, soit 3,5 tour Eiffel… Ici on ne joue pas au lego. ITER est vraisemblablement le projet actuel mobilisant le panel le plus large au monde de technologies de pointe : protection parasismique, soudage, technologies du vide, cryogénie, magnétisme, chauffage radiofréquence, conversion électrique, neutronique, contrôle commande, métrologie, accélération des faisceaux d’ions, purification des matériaux, séparation des mélanges gazeux, etc. ITER ne peut être le fait d’un seul pays et nécessite absolument cette taille d’association internationale. Soulignons que les connaissances acquises pendant l’aventure seront la propriété de tous. Elles sont à la disposition des pays membres, et du reste de l’humanité.. Bel ADN pour ce projet !
Egal-ITER et Par-ITER
Les membres d’ITER contribuent avant tout en nature (valorisé dans une unité monétaire virtuelle inventée pour ITER !), et dans des proportions égalitaires . C’est ainsi que récemment le Japon a livré par voie maritime à Fos-sur-Mer un des 18 éléments qui vont constituer le Tokamak. Ces pièces, véritable orfèvrerie industrielle, de 360 tonnes environ, sont les bobines de champ supraconductrices (la totalité des aimants supraconducteurs d’ITER p.se 10 000 tonnes), où s’insèrent aussi les légions de capteurs et toute l’ingénierie complexe nécessaire. Elles sont transportées la nuit en convoi exceptionnel selon un trajet routier entre Fos-sur-Mer et Cadarache, entièrement réaménagé par la France (110 M€ investis) pour supporter ces charges et ces gabarits (la pièce + la remorque + le bâti de protection pèsent au total environ 800 tonnes). Ces chargements commencent à arriver d’Europe, des USA, de Chine, d’Inde, de la Corée : bobines de champs poloïdal et toroïdal, solénoïde central, éléments du Cryostat, secteurs de chambre à vide, éléments
de refroidissement, divertor …
On estime que le coût global de construction et des fournitures en nature de chaque
membre s’élèvera à € 20 milliards, ce qui, comparé par exemple aux € 90 milliards du tunnel sous la Manche, reste ‘normal’. A cela il faudra ajouter € 300 millions/an de frais d’exploitation et € 800 millions de démantèlement, car ITER a vocation en tant que démonstrateur, à être demonte. Les retombées économiques sont importantes :
€ 7,1 milliards de contrats passés depuis 2007 dont € 4,3 milliards pour les entreprises françaises (et dont € 3 milliards pour Sud-Paca). Les retombées immatérielles en connaissances et expertises sont d’ores et déjà inestimables.
Prior-ITER
ITER est peut-être à mi-parcours, et du chemin avec obstacle reste à parcourir avant que ces neutrons libres ne viennent chauffer les parois du Tokamak. Le succès d’ITER, qui reste un expérimentateur, est une étape incontournable pour préparer les futurs réacteurs de fusion commerciaux qui devraient se répandre sur la Terre dans le dernier tiers du siècle. Le rêve est beau : une énergie illimitée, bon marché, zéro carbone, accessible à toute l’humanité. A-t-on finalement déjà mené pareil projet au service de notre planète et de toute la biosphère ? Nul prophète ne peut encore se prononcer : utopie plaisante ou apologie du génie humain ? … Mais si ce petit soleil brille un jour dans son Tokamak, l’histoire retiendra que cela s’est passé à Cadarache, en France, à deux heures de route de Sophia… déjà une très belle occasion de «sITERation» !
Pour aller plus loin...
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