Malin ou bénin ?
L’IA en appui au diagnostic précoce

Par Magali Chelpi-den Hamer, 31 mai 2024 à 16:08

La Relève

Stéphanie Lopez est ingénieure en mathématiques appliquées et docteure en informatique. Depuis 2018, elle pilote le projet LungScreenAI, un projet d’IA en santé dont la finalité est d’assister les radiologues dans la détection et caractérisation de la malignité des nodules pulmonaires sur les scans thoraciques. La rédaction l’a rencontrée pour faire le point sur six ans de projet.

Preuve que l’idée initiale était bonne, LungScreenAI est aujourd’hui testé dans une étude clinique portée par le CHU de Nice (le projet Da Capo, co-porté par les professeurs Marquette et Hofman). C’est une des briques technologiques qui vise à mettre en place une plateforme numérique fiable pour retracer le parcours clinique des patients, de l’incitation au dépistage du cancer du poumon à une prise en charge efficace.


La genèse…


Stéphanie Lopez s'est spécialisée dans l'application à la santé après son doctorat. Elle a construit cette appétence suite à différents stages réalisés pendant son cursus d'école ingénieur en mathématiques appliquées, notamment au Centre hospitalier Princesse Grace de Monaco et dans les laboratoires Galderma sur Sophia Antipolis où elle travaille sur de la classification d’images en lien avec les mécanismes d’attention. Elle rencontre la société Therapixel en 2017, une startup issue de l’Inria spécialisée dans l’imagerie médicale. La société venait de participer à deux challenges internationaux, le Digital-Mammography Dream Challenge qu’elle a gagné en présentant un projet sur le dépistage du cancer du sein, et le Kaggle Challenge où elle venait de défendre un autre projet autour du dépistage du cancer du poumon. Après l’obtention de son prix, Therapixel a poursuivi sa R&D en interne sur le cancer du sein. Concernant le cancer du poumon, la société a noué un partenariat avec le CHU et l’université de Nice pour développer un outil similaire.


Le projet LungScreenAI est né de ce partenariat pour permettre à la brique technologique de la société de bénéficier à la recherche académique. L’université venait d’obtenir le label Initiative d’excellence, et donc les financements associés, ce qui a permis de sécuriser un financement conséquent dès le début du projet. En 2018, un premier financement de l’IdEx (100 000 €) permet de recruter Stéphanie Lopez en tant que pilote du projet et un appui de la Maison de la Modélisation, des Simulations et des Interactions (25 000 €) permet d‘acheter les serveurs de calcul nécessaires au projet. Un financement d‘AstraZeneca en 2020 (200 000 €), obtenu avec le soutien des radiologues du CHU, sert à compléter l’équipe et à prolonger le projet, les résultats préliminaires ayant été convaincants. Suivra un appui du CHU de Nice en 2021 (80 000 €) et un second appui de l’IdEx (50 000 €). Un co-financement du département des Alpes-Maritimes en 2022 permet de renouveler les serveurs de calcul. En termes opérationnels, une bascule se fait en 2020 avec la subvention d’AstraZenaca qui permet d‘accélérer le développement et d‘envisager des pistes industrialisables.


Concrètement, une preuve de concept a été développée en 2019 à partir de données extraites du National Lung Screening Trial (NLST), une étude randomisée de grande envergure portant sur plus de 50 000 sujets américains. Cette étude a été publiée en 2011 et a montré une réduction de 20 % de la mortalité par cancer pulmonaire chez les patients dépistés par scanner par rapport aux patients dépistés par radiographie thoracique. Ces résultats ont eu des impacts sociétaux notables puisque depuis 2012, aux États-Unis, un dépistage annuel par scanner est effectué chez les sujets à haut risque de cancer pulmonaire.


Très vite, il a été nécessaire de contextualiser l'outil aux caractéristiques des patients français. On peut en effet avoir des variations de pays à pays. Cela a été le point des départs des démarches réglementaires. Stéphanie Lopez mettra trois ans pour obtenir l’autorisation de la CNIL pour travailler sur des données du CHU de Nice. Elle nous explique le déroulé entre la POC et le projet actuel : « Quand nous travaillions sur la preuve de concept, l’étude américaine était déjà préstructurée. Les résultats étaient présentés sous forme de tableaux, avec les numéros de coupe et le positionnement du lobe. Dans le projet LungScreenAI, les données n’étaient pas préstructurées. C’est compliqué de se retrouver dans une cage thoracique quand on ne connaît pas la morphologie du poumon ! Il m’a fallu huit mois, aidé de deux radiologues experts qui ont été mis à disposition par le CHU, pour associer image, numéro de coupe et positionnement du lobe à la vérité terrain. »


Le professeur Padovani du CHU et le docteur Yann Diascorn, qui exerce depuis à l’Institut Arnault Tzanck, ont été des ouvreurs de porte clés pour acculturer la jeune ingénieure au milieu radiologique et plus largement médical. Dans le dépistage du cancer du poumon en effet, le radiologue n’est pas le seul acteur. C’est lui qui lève l’alerte mais la suite de la prise en charge est déterminée par une réflexion collégiale au sein d’un espace de concertation pluridisciplinaire qui réunit radiologues, pneumologues et chirurgiens thoraciques. S’il y a suspicion de malignité, faut-il opérer ? Faut-il faire une biopsie, une résection, une imagerie complémentaire ? Rien d’anodin avec des séquelles psychologiques et/ou physiques possiblement sérieuses dans un contexte où un patient sur deux est un faux positif. Un diagnostic précoce affiné permettrait d’arrêter de stresser des patients en les rappelant pour des examens complémentaires invasifs inutiles.


En termes d’infrastructure, les serveurs sont hébergés au CHU de Nice, dans le même endroit que les données traitées anonymisées, pour faciliter l’interopérabilité entre la plateforme du projet Da Capo du CHU et l’interface LungScreenAI. Sensible à l’aspect ergonomique des outils numériques, Stéphanie Lopez pense sa solution en termes d‘usage. Il faut que cela soit utile aux radiologues et aux professionnels de santé qui sont impliqués dans la levée de doute et la continuité du parcours de soin. Le mécanisme d’intégration d ‘un outil numérique dans la pratique d’experts médicaux n’est pas à prendre à la légère.


Le dépistage systématique du cancer du poumon est-il à l’ordre du jour ?


Si rien n’est encore acté, cela commence à être d’actualité. Le cancer du poumon est le cancer le plus meurtrier en France et n’est toujours pas systématiquement dépisté à ce jour dans l’Hexagone. En 2016, la Haute Autorité de Santé a même rendu un avis défavorable craignant un bond soudain d’activité qui se serait révélé ingérable en pratique (pas assez de radiologues, parc d’imagerie inadapté, incertitude sur les cancers induits et crainte d’une explosion des coûts dans un contexte général où la tendance est plutôt à freiner les dépenses).


Publiée en 2020, l’étude randomisée néerlando-belge Nelson va dans le même sens que l’étude américaine, neuf ans après la publication des résultats NLST. La mortalité par cancer du poumon semble significativement plus faible chez les patients à haut risque qui ont subi un dépistage par scanner que chez ceux qui n'ont subi aucun dépistage. Sur un plan scientifique, la tendance est donc en faveur d’un dépistage organisé, d’autant plus que l’imagerie a atteint ces dernières années des niveaux d’irradiation très bas sur l’organisme. La Haute Autorité de Santé révise son jugement. Avis favorable pour lancer des études de faisabilité. L’étude Da Capo à Nice surfe sur la vague.


Quel avenir pour LungScreen AI ?


En collaboration avec l’incubateur PACA Est et la Société d’Accélération du Transfert de Technologies SATT Sud Est, plusieurs pistes sont actuellement pesées pour analyser les meilleures stratégies de valorisation des différentes briques technologiques du projet. L’étude clinique montrant un réel intérêt pour les praticiens, la fonction d’aide au diagnostic à destination des radiologues est une voie intéressante à continuer de suivre. D’autres usages sont à l’étude.


Il y a six ans, LungScreenAI était pionnier en matière de détection de malignité pour les cancers du poumon. Avec les récentes évolutions règlementaires, la concurrence s’accélère. La société britannique Optellum fait partie des concurrents sérieux avec un produit déjà mis sur le marché. Plus près de nous, sur Sophia Antipolis, Median Technologies se positionne. Il est intéressant de noter que les MedTech semblent segmenter leurs solutions par organe, en place d’adopter une approche holistique. Stéphanie Lopez plaide pour un libre accès local borné : « Cela permettrait de ne pas réinventer la roue à chaque fois. Beaucoup de choses peuvent en effet être mises en commun. Au niveau des briques technologiques, l'enjeu est de promouvoir plus d'apprentissage par transfert. Concrètement, on apprend sur un domaine et on l'applique à un autre. Par exemple, quelqu'un qui travaille sur le dépistage de pathologies cardiaques peut trouver des résonnances dans mon travail et affiner mon modèle en ajustant les paramètres propres à son application. Le milieu de la santé est concurrentiel mais si l’on veut être fort, ensemble, au niveau français et européen, tout ça peut se faire en bonne intelligence, par exemple en contractualisant un retour en termes de quote-part de valorisation d’actif. » Elle poursuit : « D’ici cinq ans, on assistera peut-être à un déplacement de l’IA. La finalité des intelligences artificielles en santé est peut-être plutôt d’affiner la compréhension des modèles humains avec pour finalité d’extraire des profils de patients pour une médecine encore plus personnalisée. Cela permettrait certainement de lever des biais dont on n’a pas encore conscience. »


On ne peut que souhaiter que ces six ans de projet trouvent leurs voies de valorisation idoines.

Parution magazine N°45 (juin, juillet, août)

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