Modéliser l'Océan pour comprendre le changement climatique

Par La rédaction, 26 juin 2025 à 22:51

Planète bleue

UNOC oblige, on ne pouvait décemment pas travailler la thématique Climat & IA sans parler d’Océan. Comment les satellites observent-ils les mers ? Et surtout pourquoi ? Avec quelle finalité ? L’ouvrage de Laurent Bopp et Marina Lévy, L’Océan en 30 questions, édité par la Documentation française, répond à ces questionnements et à 27 autres tout aussi fondamentaux. Les deux océanographes, tous deux chercheurs au CNRS, arrivent à expliquer simplement comment l’Océan module le climat de la Terre. Nous reprenons ici certains de leurs chapitres en encourageant le lecteur à aller plus loin dans ce petit précis bien pratique.

Comment l’Océan module-t-il le climat de la Terre ?


Dans de nombreuses régions du monde, les conditions météorologiques se caractérisent par des contrastes saisonniers modérés, avec des hivers doux et des étés frais, et par des précipitations régulières, fréquentes tout au long de l’année, souvent sous forme de bruines ou de pluies faibles. Dans ces zones, le climat est dit « océanique ». L’Océan stocke de la chaleur en été pour la restituer en hiver, et génère l’humidité ambiante par l’évaporation constante des eaux de surface.


Par sa capacité à transporter des quantités de chaleur importantes, l’Océan joue un rôle clé dans le climat. La circulation océanique - en particulier les courants de surface qui transportent les eaux chaudes de l’équateur vers les pôles - redistribue la chaleur entre zones chaudes et zones froides. Sans elle, les différences de moyenne de température entre l’équateur et les pôles seraient au moins deux fois plus importantes.


La quantité de carbone séquestrée dans l’Océan varie selon les conditions climatiques, influençant en retour la concentration de CO2 atmosphérique et l’intensité de l’effet de serre. Il y a 20 000 ans, un océan plus froid stockait des quantités de carbone considérables, réduisant de fait le contenu de dioxyde de carbone de l’atmosphère et amplifiant les fortes variations climatiques entre périodes glaciaires et interglaciaires.


Comment mesure-t-on les propriétés de l’eau de mer ?


La première image globale des propriétés physiques et chimiques de l’Océan date des années 1990, grâce au programme d’observation WOCE (World Ocean Circulation Experiment). Pendant près d’une décennie, des navires océanographiques ont sillonné l’Océan du nord au sud et d’est en ouest. A intervalles réguliers, des échantillons d’eau ont été prélevés et analysés. La dimension internationale de WOCE a permis d’aboutir à une cartographie tridimensionnelle des caractéristique moyennes de l’Océan.


Les flotteurs Argo, sous-marins, dérivants et autonomes, mesurent, eux, en continu la température et la salinité et, pour certains, des paramètres optiques et chimiques. Ils remontent régulièrement à la surface pour transmettre les données glanées par le biais des satellites. Le programme Argo a permis de collecter des millions de profils depuis les années 2000, et aussi de détecter des signaux liés au changement climatique. En mars 2025, on comptait près de 4 160 flotteurs uniformément répartis dans l’Océan.


Autre équipement, les « gliders », ces drones sous-marins qui peuvent être déployés dans des zones d’intérêt spécifiques, comme les tournillons océaniques. Ils collectent des données avec une grande précision spatiale.


Peut-on simuler l’Océan ?


La réponse est oui, grâce à la modélisation numérique. Inspirée de la modélisation météorologique, la modélisation numérique a émergé dans les années 1970 quand des équations se sont mises à décrire l’évolution de quantités physiques, chimiques et biologiques comme la température de l’eau, la salinité, les courants marins ou encore, la biochimie (pH, CO2, nutriments, phytoplancton…).


L’utilité des modèles numériques est de décrire et de comprendre l’évolution de l’Océan à différentes échelles temporelles. Le centre Mercator Océan, un acteur clé de l’océanographie opérationnelle, développe un jumeau numérique pour aider à la gestion du milieu marin et des infrastructures maritimes, la pêche, la navigation… En science du climat, les modèles numériques simulent l’évolution de l’Océan, de ses écosystèmes et de ses interactions avec l’atmosphère sur des décennies, voire des siècles. Ces modèles sont cruciaux pour saisir et anticiper les effets dus au changement climatique (élévation du niveau des eaux, acidification, évolution des stocks halieutiques…) et ainsi définir des politiques d’adaptation.


Les modèles numériques s’appuient sur un maillage tridimensionnel de l’Océan. Chaque maille représente un volume d’eau défini par son épaisseur verticale et par son étendue en latitude et longitude. Plus les pixels sont fins, plus ils sont nombreux, ce qui décuple les calculs. L’usage des supercalculateurs est ainsi nécessaire pour traiter des milliards d’opérations. Augmenter la résolution permet de voir des phénomènes de plus en plus ténus, tels que des changements abrupts de topographies, de température ou la turbulence des courants.




Encadré 1 - Des données centralisées en accès libre

La base d’informations océanographiques mondiale World Ocean Database (WOD), en accès libre, rassemble près de 27 299 jeux de données collectées au cours de 237 525 campagnes par 1 529 instituts de recherche (chiffres 2024). Elle comporte 3,13 milliards de profils de température , é,2 milliards de mesures de salinité, 692 millions de mesures de l’oxygène et 4,5 millions de mesures du plancton. La première donnée collectée date de 1792. La densité d’observations est très inégale. L’hémisphère Sud, et en particulier l’océan Austral, difficile d’accès mais particulièrement important pour le climat, est bien moins étudié que l’hémisphère Nord. Le nombre d’observations diminue aussi rapidement avec la profondeur.


Le couplage entre un modèle d’Océan et un modèle d’atmosphère permet de représenter les principaux phénomènes qui régissent l’évolution du système climatique (l’interaction entre vents et courants, le cycle de l’eau, le cycle du carbone).


Encadré 2 – Le rôle d'ACRI-ST dans la mission SMOS

La société sophipolitaine ACRI-ST est impliquée dans la mission SMOS (Soil Moisture and Ocean Salinity), une mission conjointe ESA / CNES / CDTI du programme Earth-Observation. Le satellite a été lancé le 2 novembre 2009. L’objectif de cette mission spatiale est de fournir des cartes d’humidités des sols (SM) et de salinité des océans (OS), deux variables clés dans les cycles océans/atmosphère et dans la surveillance du climat et des transferts surface/végétation/atmosphère.


Un Centre Aval de Traitement des Données SMOS a été développé par le CNES en collaboration avec ACRI-ST, l’IFREMER, le CESBIO et le LOCEAN. Son rôle :

- produire et distribuer les produits SMOS de niveau 3 et de niveau 4 à partir des produits de niveau 2 du centre de mission situé dans le centre ESA de Villafranca

- retraiter, au besoin

- proposer des améliorations des chaînes de traitements du niveau 0 au niveau 2 en aidant si possible à l’affinage des problématiques de calibration

- fournir des services et un support aux utilisateurs

- développer, tester et valider les algorithmes des chaînes de traitement de niveau 3 et de niveau 4, en collaboration étroite avec la communauté scientifique.


Encadré 3 – Lancement de l’Alliance Space4Ocean

L'Alliance Space4Ocean, initiée par le CNES, est une coalition internationale axée sur l'action visant à connecter le secteur spatial avec les acteurs marins et maritimes afin de renforcer les efforts de préservation, de conservation et de protection des océans. Fondée sur la science et exploitant les données spatiales, les mesures in situ et des modèles numériques avancés, l'Alliance entend répondre aux défis majeurs des océans et des zones côtières, et contribuer aux cadres politiques mondiaux. Elle a été officiellement lancée à l’Observatoire de Nice, lors de la 3e Conférence des Nations Unies sur les océans (UNOC3).


Les objectifs de l’Alliance :

- Renforcer la collaboration entre les communauté spatiales et maritimes

- Combler les lacunes en matière d’observation et d’exploitation 

- Renforcer les capacités en promouvant les meilleures pratiques et en élargissant l’accès aux données d’observation

- Soutenir le développement d’indicateurs océaniques locaux, régionaux et mondiaux fondés sur des données probantes

- Soutenir la fourniture de services opérationnels répondant aux enjeux océaniques les plus critiques

- Protéger la biodiversité marine via une surveillance renforcée des aires marines protégées et une surveillance renforcée pour lutter contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée

- Evaluer les réponses des océans et des côtes au changement climatique, aux catastrophes naturelles et aux événements extrêmes

- Promouvoir des pratiques durables dans les domaines de la pêche, de l’aquaculture, de l’énergie maritime et du transport maritime décarboné

Lutter contre la pollution

- Développer des outils pour gérer les écosystèmes côtiers soumis à des pressions anthropiques croissantes.

Parution magazine N°49 (juin, juillet, août)

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