Prix Pierre Laffitte, 7 ans de réflexion(s), 10 doctorants à suivre

Par La rédaction, 1 décembre 2023 à 08:56

La Relève

Le prix Pierre Laffitte a été pensé pour insuffler une réflexion sociétale dans les travaux de recherche de doctorants en deuxième année de thèse. Pour pousser à ne pas perdre de vue la traduction de ces travaux en applications industrielles utiles. La 7e édition a eu lieu le 12 octobre dernier sur le campus de Mines Paris - PSL. Retour sur les travaux d’une jeunesse à suivre…

L’automne est l’occasion d’un rassemblement un peu particulier dans le centre historique de la technopole de Sophia Antipolis. Depuis sept ans, sur le campus sophipolitain de Mines Paris - PSL, un jury de chercheurs interinstitutionnel et interdisciplinaire mène le délicat exercice de sélection et de classement de trois travaux de recherche doctorale en cours parmi dix thèses d’excellence menées par des doctorants azuréens.[1] C’est à l’initiative du professeur Elie Hachem que, chaque année depuis 2016, dix doctorants sont sélectionnés pour présenter publiquement l’état d’avancée de leurs travaux en s’obligeant pour l’exercice à chercher à maximiser leur connexion au monde.



Donner - Recevoir - Rendre, la genèse du prix


C’est dans un état esprit très maussien que le professeur Hachem a parachevé l’idée. « Lorsque j’étais doctorant, j’ai eu des difficultés à obtenir des financements pour ma thèse. L’École des Mines soutenait entièrement certaines thèses en mathématiques appliquées. J’ai donc postulé et j’ai été retenu. Soulagé des pressions matérielles, j’ai pu me consacrer pleinement à mes travaux et j’ai décroché deux prix prestigieux en fin de thèse.[2] Je me suis intéressé naturellement au modèle qui avait permis ma réussite. J’ai ainsi découvert la vision de Pierre Laffitte et le couplage recherche-industrie qu’il avait instauré. Alors j’ai voulu lui rendre hommage. Nous nous sommes rencontrés et je lui ai demandé l’autorisation de créer un prix à son nom. C’est le début de cette aventure. »


Donner – Recevoir – Rendre. Toute la genèse du prix Laffitte est basée sur ce triptyque qui régule les rapports sociaux. Penser une recherche orientée par l’industrie sans vendre sa liberté de chercheur, pari largement réussi au sein de l’écosystème des Mines après 56 ans de pratique de recherche partenariale. En ciblant les doctorants en 2e année de thèse, le prix force à prendre du recul et à recentrer les travaux sur les questions d’impact sociétal et environnemental et sur la notion de bien commun. Cet exercice oblige aussi à sortir la tête des algorithmes et des modélisations 3D et à se projeter, en tant que jeune chercheur, sur sa contribution propre à la société qui l’a aidé à se réaliser. Pour mieux réajuster parfois. Dans cet éternel va-et-vient entre théorie et pratique.



Dix finalistes à suivre


Cette édition n’était pas en reste. Les dix finalistes ont présenté leurs travaux dans des champs aussi divers que l’astrophysique ou les interactions fluide-structure. Fabiola Antonietta Gerosa, doctorante à l’Inria et au laboratoire Joseph Louis Lagrange (Unité mixte de recherche de l’Observatoire de la Côte d’Azur, du CNRS et de l'Université Côte d'Azur), nous a initiés de manière très pédagogique aux planétésimaux, ces particules solides en suspension dans le gaz autour des étoiles qui en s’agrégeant forment les planètes (et l’eau). Ses travaux sur l’étude des turbulences trouvent plusieurs possibilités d’application dans l’industrie. Emilie Gentilini, doctorante à l’Institut de Chimie de Nice de l’Université Côte d’Azur, a présenté ses travaux, menés en collaboration avec les laboratoires Servier, sur les nouvelles méthodologies de synthèse de médicaments par catalyse à l’or. Ses recherches ouvrent la voie à une approche tridimensionnelle dans la fabrication des médicaments, ‘escaping from flatland’ pour reprendre ses termes. Aurèle Goetz, doctorant au Centre de mise en forme des matériaux de l’École des Mines de Paris, a projeté son auditoire dans le cerveau de Madame X pour analyser une rupture d’anévrisme aux allures de balle de golf. Aurait-on pu l’éviter avec une autre technique ? La case ‘impact sociétal’ est ici largement cochée. Par une modélisation fine en 3D qui reconstitue les interactions fluide–structure (flux de sang-stent, pour le dire de façon plus imagée), l’application industrielle immédiate est une endoprothèse sur mesure dont le maillage et la porosité vont varier en fonction des caractéristiques du patient. Reste à trouver le modèle économique de ces unités de production à la carte.


Maxence Lalis, doctorant à l’Institut de Chimie de Nice de l’Université Côte d’Azur, explore le monde sensoriel des odeurs et la manipulation de matière dans un contexte où les marges de manœuvre s’amenuisent de plus en plus et où la règlementation exponentielle tend à étouffer les industriels. L’enjeu de maîtrise des coûts ici est certainement l’élément le plus important de ses travaux de modélisation. Emil Marinov, doctorant au Centre de recherche pour l’hétéro-épitaxie et ses applications, travaille sur une technologie alternative à la PIC, qui domine actuellement le marché, pour produire des semi-conducteurs en utilisant des metasurfaces dites ‘actives’ en utilisant la technologie de télédétection par laser (lidar). L’enjeu est d’importance puisqu’un objectif stratégique est de renforcer le poids européen dans le secteur de production des semi-conducteurs. En termes d’applications industrielles, plusieurs pistes s’inscrivent dans le secteur automobile. Vincent Meslier, doctorant au CEMEF et au CEA, a clôturé la matinée en présentant ses travaux sur les cellules photovoltaïques. Ses travaux cherchent à comprendre la dégradation des propriétés mécaniques et d’adhésion de l’encapsulant de la cellule photovoltaïque pour développer une méthodologie qui permette d’augmenter la durée de vie des nouvelles générations de modules.


David Paulovics, doctorant à l’Institut de Physique de Nice, a ouvert l’après-midi en présentant ses travaux sur la propagation du gel. Comprendre cette dynamique est une gageure en soi au vu de la complexité des mécanismes naturels impliqués. Dans le domaine aéronautique notamment, plusieurs pistes d’applications industrielles sont possibles. s’intéresse aux questions de prospective énergétique, et notamment à l’intégration des systèmes de production d’énergie renouvelable dans les réseaux actuels. Comment vont se coupler, concrètement, les mix énergétiques ? Quels sont les enjeux de stockage longue durée pour les énergies renouvelables et quelle est la faisabilité technique et économique ? C’est tout l’impact de la variabilité saisonnière qui est passé au peigne fin dans ses travaux afin d’établir des approches de gestion pour sécuriser - et verdir - l’approvisionnement énergétique. Sarah Vigoureux, doctorante au laboratoire Géoazur, une unité de recherche pluridisciplinaire rattachée à l’Université Côte d’Azur, à l’Observatoire de la Côte d’Azur, au CNRS et à l’IRD, a présenté ses travaux sur le développement d’une méthodologie opérationnelle de prévision pluie-débit-inondations sur les fleuves côtiers du sud-est de la France. Appuyés par le Syndicat mixte pour les inondations et la gestion de l’eau (SMIAGE) ainsi que par l’entreprise Novimet, ses travaux font d’abord le bilan des caractéristiques spatio-temporelles des forts épisodes de pluie de ces dernières années pour mieux comprendre les conditions menant aux phénomènes extrêmes. Le deuxième objectif est de proposer des modèles de prévision de pluie et de débit quasiment en temps réel pour informer les acteurs publics impliqués dans la gestion de crise du territoire. Julia Wagner, doctorante au centre Procédés, Energies renouvelables et Systèmes énergétiques de l’École des Mines de Paris, a clôturé les présentations des finalistes en présentant ses travaux sur la caractérisation de nouveaux matériaux d’anode de batterie au lithium. Partant du constat que le marché des batteries lithium-ion est en train d’exploser au vu de l’impact de la règlementation européenne dans l’industrie automobile, Julia Wagner s’est intéressée aux substances chimiques éternelles qui sont en voie d’interdiction mais pour autant encore utilisées largement dans la fabrication des électrodes de batteries. La solution qu’elle développe est une batterie dite ‘tout-solide’ et l’objectif de sa thèse est de développer les nouveaux matériaux qui pourront en être les constituants.


Belle cuvée que cette édition 2023, même si ça manque encore d’anthropologues et de chercheurs issus des sciences humaines…


Dix têtes bien faites à suivre donc, et surtout… à ne pas laisser s’échapper.




Les membres du jury par ordre alphabétique

Wilfried Blanc, directeur de recherche au CNRS, Institut de Physique de Nice

Alexandre Caminada, professeur à l’Université Côte d’Azur et directeur de Polytech Sophia Antipolis

Stéphanie Godier, astrophysicienne, directrice générale de l’association Recherche et Avenir

Elisabeth Lemaire, directrice de recherche au CNRS, Institut de Physique de Nice

Frédéric Précioso, professeur à l’Université Côte d’Azur, Laboratoire I3S


Les lauréats

1er prix, Aurèle Goetz, Mines Paris - PSL, CEMEF

2e prix, Julia Wagner, Mines Paris - PSL, PERSEE

3e prix, David Paulovics, Institut de Physique de Nice




[1] Les doctorants de trois écoles doctorales sont éligibles - l'école doctorale des Sciences de la Vie et de la Santé, l'école doctorale des Sciences et Technologies de l'Information et de la Communication et l'école doctorale des Sciences fondamentales et appliquées – ainsi que ceux en 2e année de Mines Paris à Sophia Antipolis, soutenus par l'EUR Spectrum et la fondation Mines Paris.


[2] Elie Hachem a été lauréat du prix de la SMAI-Gamni en 2010 pour la meilleure thèse en méthodes numériques pour la mécanique et les sciences de l'ingénieur, et la même année, lauréat du prix européen Eccomas dans le domaine des mathématiques appliquées aux sciences de l'ingénieur. Ces deux prix récompensent les avancées scientifiques que son travail est venu apporter à un consortium de sept industriels français sur des questions aérothermiques d'optimisation du fonctionnement de fours industriels.




Parution magazine N°43 (décembre, janvier, février)

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