Au bout du fil d’AzurİA…
Ces IA embarquées qui protègent

Par Emmanuel Maumon, 5 mars 2024 à 11:15

Quoi d'9 ?

Convaincu que les petites structures sont plus agiles que les grands groupes pour réagir plus vite aux innovations, Frédéric Feresin a créé AzurİA en 2021, après 30 ans passés dans l’industrie spatiale. Spécialisée dans l’intelligence artificielle embarquée, AzurİA est membre du Pôle de compétitivité SCS et a développé des solutions pour détecter certains risques et alerter les secours en temps réel. Jusqu’où peut-on prévenir le risque ? Rencontre avec Frédéric Feresin pour échanger sur cette épineuse question.

Frédéric Feresin, AzurİA est spécialisée dans l’intelligence artificielle embarquée. Pouvez-vous nous expliquer la genèse de votre société et nous présenter les éléments clés de votre système ?


L’intelligence artificielle embarquée permet de détecter les choses même dans les bandes spectrales que l’œil humain ne voit pas. Un cas d’usage concret : typiquement, pour évaluer la pollution en mer, les bandes spectrales classiques pour l’œil humain (rouge, vert, bleu) ne suffisent pas. Il faut utiliser d’autres bandes spectrales comme l’infrarouge.


Notre brique de base est une IA embarquée pour répondre entre autres à cette problématique. Nous l’avons développée en travaillant sur plusieurs particularités. Nous voulions déjà qu’elle soit frugale en termes de nombre d’images pour l’entraîner ainsi qu’en utilisation de bandes spectrales. Notre approche a donc été de traiter l’information à proximité des capteurs d’images pour éviter de transmettre des flux de données vers des serveurs pour les post-traiter ensuite au sol par l’œil humain. Nous avons aussi choisi de déployer notre IA embarquée sur des cartes cibles basse consommation afin de pouvoir l’intégrer sur des capteurs multispectraux à des prix abordables. Ces deux choix d’approche ont eu un gros impact sur la réactivité, ainsi que sur les coûts et l’impact carbone.


Vous utilisez également un boîtier de détection et d’alerte temps réel dénommé CamİA. Quels sont ses atouts ?


À notre IA déployable sur des puces électroniques, nous avons ajouté des caméras avec différentes bandes spectrales. Notre carte de traitement permet d’extraire l’information utile pour l’utilisateur final, tandis qu’une carte de transmission permet de l’alerter via une application web ou directement sur son téléphone par un MMS. L’avantage, c’est que la décision finale appartient toujours à l’utilisateur qui peut vérifier que la détection est pertinente. Nous avons conçu ce boîtier pour qu’il soit plug and play sur différents vecteurs. On peut ainsi le monter sur plusieurs supports, sur un mât fixe, sur notre aérostat filaire ou sur un drone classique.


Le troisième élément clé est votre aérostat filaire Helia. Quelles sont ses caractéristiques ?


Quand nous avons cherché à valoriser la capacité à utiliser ce type de boîtier, nous avons pensé que la meilleure solution était de l’embarquer sur un système très léger. Pour cela, nous avons trouvé un partenaire britannique qui développe un aérostat qui a la particularité d’avoir une portance importante grâce à une aile de type aile de cerf-volant. Cela lui procure une très grande stabilité au vent jusqu’à 80 km/h.


Du sauvetage en mer à i-Naval, des domaines d’intervention variés…


L’une des principales applications de vos produits porte sur la recherche et le sauvetage en milieu maritime. Vous avez notamment pu la tester avec la Société nationale du Sauvetage en Mer des Alpes-Maritimes. Quel était l’objectif de ce test ?


Lors de ce premier test avec la SNSM 06, nous avions deux objectifs : 1/ tester nos caméras dans un environnement marin avec l’aérostat tracté par un bateau et 2/ vérifier que, même avec une combinaison néoprène et dans l’eau, nos caméras parvenaient à détecter des personnes. Ce test nous a permis de voir que pour de petits navires comme celui de la SNSM 06, la solution avec un aérostat n’était pas forcément la plus adaptée. Pour eux, il paraît préférable de positionner nos caméras de détection et d’alerte sur les mâts des bateaux, ce qui amène davantage de flexibilité. Par contre, ce test nous a permis de vérifier que nos caméras parvenaient à détecter les personnes dans l’eau.


Outre la recherche et le secours en mer, vous avez également pu démontrer l’efficacité d’Helia pour la Marine nationale lors de l’événement i-Naval 2023. Quel est l’avantage d’Helia en matière de défense ?


Par rapport à des drones classiques, notre aérostat n’a pas besoin de pilote et peut être autonome pendant plusieurs jours. De plus, la réglementation est beaucoup moins contraignante pour les utilisateurs. On peut aussi le déployer sur n’importe quelle zone à partir du moment où il y a un périmètre dégagé de quelques mètres autour. La Marine nationale est particulièrement intéressée car l’aérostat filaire est tractable par un bateau et permet d’avoir une vue sur une surface de plusieurs centaines de kilomètres carrés.


Dans le domaine maritime, vos solutions peuvent également s’avérer très utiles pour les espèces protégées. En quoi peuvent-elles servir à détecter la pollution ou à protéger les espèces ?


On peut imaginer plusieurs configurations, soit en déployant nos solutions en bord de mer à plusieurs endroits suivant les migrations des espèces, soit sur des bateaux ou à partir de barges installées aux endroits de migration pour faire de la surveillance. Pour les pollutions, c’est un peu le même principe avec un déploiement dans des endroits à risque. Notre système peut également être utile pour des sociétés faisant de la dépollution afin de repérer la pollution qui bouge sur la mer, pour ensuite la traiter.


Il y a également un autre domaine de prédilection pour vos solutions, celui des incendies. Qu’est-ce que vous pouvez apporter, notamment en matière de détection précoce de feux ?


La détection des incendies constitue notre axe de développement majeur car il permet de valoriser toute notre ligne de produits. Nous pouvons ainsi livrer la brique d’IA que les services de surveillance des sapeurs-pompiers peuvent installer dans leur centre de contrôle où ils récupèrent les images de l’ensemble des caméras qu’ils ont installées. Nous pouvons aussi fournir la caméra de détection en temps réel qu’ils peuvent installer sur des points hauts. Enfin, nous pouvons également fournir l’aérostat complet pour compléter leurs systèmes existants. Ils peuvent notamment le déployer dans des zones blanches dépourvues de surveillance ou dans les régions très peu exposées aux feux de forêt. Ces régions pourraient ainsi bénéficier d’un système de surveillance à moindre coût grâce à l’aérostat.


Les perspectives de développement…


Quelles sont les perspectives de développement à moyen terme d’AzurİA ?


Nous devrions cette année commencer à commercialiser nos boîtiers CamİA. Nous sommes en train de chercher à obtenir des subventions pour financer le déploiement industriel avec la mise en place d’une chaîne de production. Nous espérons que le lancement de cette commercialisation nous permettra d’embaucher plus de personnel et de développer ensuite notre activité sur d’autres secteurs. En effet, il existe un champ d’applications très vaste pour ce système permettant de traiter l’information et de faire de l’alerte en temps réel.


Justement, quels sont les autres domaines que vous souhaitez investir avec vos solutions ?


Outre les applications pour la Sécurité civile et la Marine nationale, nous visons d’autres secteurs comme l’agritech. L’arrivée de drones embarquant nos solutions permettrait de cibler le traitement de certaines maladies et de réduire l’utilisation de produits phytosanitaires. L’avenir pour nous, c’est aussi le spatial. Nous travaillons également sur l’utilisation de notre brique d’IA dans ce secteur, d’autant plus qu’avec mon cofondateur nous disposons d’une longue expérience dans ce domaine. Avec le développement de constellations de satellites offrant des résolutions de plus en plus précises, ce type de solutions de traitement embarqué pour alerter à partir des satellites va être intéressant pour bon nombre d’utilisateurs.


Sur quels axes portent vos recherches pour perfectionner vos solutions technologiques ?


Nous sommes en train de travailler avec le 3IA Côte d’Azur pour mettre en place des collaborations sur des parties R&D. Nous cherchons notamment à développer un apprentissage de plus en plus embarqué. Même si notre modèle est déjà frugal, il y a avec l’IA une phase d’amélioration continue. Aujourd’hui, celle-ci se fait en récupérant des images au sol et en les rechargeant automatiquement dans nos boîtiers. Nous voulons aller plus loin et arriver à faire que nos boîtiers puissent eux-mêmes autoapprendre en mettant en place des mécanismes pour améliorer cet autoapprentissage embarqué.


Si le risque zéro n’existe pas, nul doute qu’AzurİA cherche à repousser cette limite.

Parution magazine N°44 (mars, avril, mai)

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