IA et formation en journalisme
L’approche Catapulte

Par Collectif Catapulte - Jacques Araszkiewiez, Anne Tézenas du Montcel, Cathy Escazut, Amélie Daloz, Michel Gautéro, Cédric Hounnou, Célia Pereira, 25 juin 2025 à 01:07

Quoi d'9 ?

À quoi bon apprendre et quoi transmettre, puisque l’IA est susceptible de répondre à toutes nos questions ? À quoi peuvent bien encore servir les journalistes ? Les écoles de journalisme et la profession s'adaptent comme elles le peuvent à la vague IA. Le Collectif Catapulte nous éclaire sur les enjeux du secteur.

Si les premiers développements de l’intelligence artificielle remontent aux années cinquante, après une période de quasi-disparition the Thinking machine s’impose aujourd’hui comme la pointe avancée de ce nous nommons avec Jean-Max Noyer le plissement numérique du monde. Essayons de décrire ce plissement avec ses couches sédimentées, leurs adhérences et leurs discontinuités en s’accordant une facilité : celle de limiter notre investigation sur l’IA aux évolutions de la profession de journaliste et de la formation des journalistes. 


Quelques précautions d’usage s’imposent. On n’aura en effet pas tort de penser que, comme souvent, les formations en journalisme sont encore dans l’obligation de répondre à des injonctions diverses sur ce qu’elles doivent enseigner à l’aune de l’actualité du moment. Le cas de l’IA apparaît cependant sous un jour un peu différent. Les développements rapides de l’IA - d’un mois à l’autre et suivant les innovations, elle n'est jamais identique à elle-même – s’appliquent directement sur deux axes distincts que sont d’une part les apports de l’IA à la formation et d’autre part les apports de l’IA à la profession. Et cette double incidence interroge en pointillé un troisième axe sous la forme d’un rapport complexe entre formation et profession.


L’IAnXn [nous pourrions ainsi désigner les n versions des IA – des antiques perceptrons aux réseaux neuronaux en passant par les algorithmes – et Xn types d’applications – des traducteurs automatiques de langue aux IA génératives capables de fournir des titres et des chapôs accrocheurs ou même des articles complets aux journalistes] joue d’ores et déjà de manière ambivalente sur le rapport Formation/Profession. Elle est un potentiel vecteur de rapprochement sous l’angle de « combats communs » pour ou contre son adoption au nom de la défense de la profession. Elle est aussi un vecteur d’éloignement plus radical à considérer son incidence sur la transmission de savoir au sein des formations ou de l’information par des journalistes. A quoi bon apprendre puisque l’IAest susceptible de répondre à toutes nos questions ? A quoi pourraient bien servir encore les journalistes si l’IAest en mesure d’effectuer une sélection automatique des informations pertinentes, de les mettre en forme et de les diffuser par les canaux adéquats dans l’instant ? Se trouve ainsi ouverte la boite de Pandore des interrogations sur ce qu’il sera encore possible de transmettre dans le cadre de formations en journalisme. Que transmettre qui soit indexé sur des attendus professionnels ? Dans quelle mesure une telle transmission répondrait-elle encore aux attendus de formations en journalisme nécessairement associées à la formation intellectuelle et sensible de citoyens ? En couche supplémentaire, la question de l’époque telle qu’elle est introduite par Peter Sloterdijk : « Qu’est-ce qui apprivoise encore l’être humain lorsque l’humanisme échoue dans son rôle d’école de l’apprivoisement humain ? […] Qu’est-ce qui apprivoise l’être humain lorsqu’on ne sait toujours pas qui ou ce qui éduque les éducateurs, et dans quel but ? »


Dans tous les cas, celui de combats communs comme celui d’une sauvage prolifération de l’IA, un gouffre se crée alimenté moins par les fantasmes d’une accélération technologique incommensurable que par l’imposition d’échelles de vitesse affectant différemment les systèmes sociaux. On supposera donc qu’un vrai sujet existe hors des spasmes de l’actualité. Une fois ces précautions prises, considérant que le développement continu de l’IA est potentiellement susceptible d’interroger voire d’affecter le journalisme en son corps même d’une part et l’ensemble des systèmes sociaux associés d’autre part, il est grand temps de se pencher sur la place prise par l’IA sous l’angle de l’information.


Les chercheurs de l’équipe Transitions (Université Côte d’Azur) considèrent qu’il n’existe pas de réponse toute faite à l’ensemble de ces questionnements. Catapulte/les arpenteurs du Web est un projet de recherche-action à destination des journalistes. Il porte plus précisément sur le traitement des questions environnementales et sur le schisme de réalité décrit par Amy Dahan (la disjonction fondamentale entre le processus de gouvernance mondiale du régime climatique et les résultats obtenus). Il prend également acte des difficultés rencontrées par les journalistes pour traiter l’information environnementale. Suivant Alison Anderson, ces dernières sont liées à la multiplication des sources de données sur l’environnement (qu’il s’agisse de données produites par des citoyens, des scientifiques, des ONG ou par les journalistes eux-mêmes), au brouillage de la distinction entre les sources, à l’effacement de la séparation entre faits et opinions, à la montée en puissance des relations publiques et enfin à la perte inexorable d’une partie du lectorat des journalistes dans un contexte de désinformation.


Au regard de ces tensions générées par la formation d’une nouvelle image du monde via le Web et les Réseaux Sociaux Numériques, l’IAest susceptible d’apporter des solutions en partie expérimentées dans le cadre du projet Spinoza porté par Reporters sans frontières (traitement des données extraites des rapports du GIEC et de l’IPBES associé à la citation des sources, prise en compte des sources journalistiques, réglementaires, etc.). Face à la surinformation et à la possible réduction du monde en données, l’objectif de Catapulte est de faire un choix, celui du qualitatif. La réflexion multidisciplinaire conduite au sein de Transitions vise en effet à donner naissance à quelque chose de très concret : une appli-base de données née des documents partagés au fil de leurs recherches par des experts/journalistes et "arpenteurs" pour constituer un commun de connaissance mis à disposition des journalistes, un modèle idéal d'agence de presse qui pose cependant la question de la régulation de ces contributions collectives en termes d'auto-description de la base et de ses résultats. Loin de nous de penser que face à l’urgence béate environnementale du « il y a le feu, il y a le feu, je dois y aller », comme tout pourrait brûler jusqu’au sol mais que rien ne se passe, il faudrait chercher un problème plus urgent encore !

Parution magazine N°49 (juin, juillet, août)

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