Constructions biosourcées
retour vers le futur...
Quoi d'9 ?

Erwin Franquet, directeur du département Génie Civil et Smart Buildings de Polytech Nice Sophia © Université Côte d'Azur
Habiter la planète en collaborant avec le vivant, adopter l’éco-attitude en réinventant des leviers économiques : quadrature du cercle ou transition désirable ? Depuis deux décennies, les promoteurs du biosourcé démontrent avec force un crédible possible et clament l’existence d’un indiscutable potentiel. SophiaMag a rencontré Erwin Franquet, directeur du laboratoire Polytech’Lab à Université Côte d’Azur, et Loïc Frayssinet, expert en thermique du bâtiment et fondateur de l’association Permabita.
Mettre la tête sur le bio
Ce monde bouge vite, la langue aussi. Des mots naissent, créatures hybrides pour substantiver de nouvelles réalités. Immunodéprimé, climatoréaliste, nutriscoré… Biosourcé est né dans ce bestiaire en 2016. Ce vocable qualifie les matériaux issus de la matière organique renouvelable (biomasse) d’origine végétale ou animale, par opposition au géosourcé, d’origine minérale, ou pétrosourcé d’origine fossile, que le biosourcé et le géosourcé bas carbone prétendent détrôner.
Selon un rapport de l’ADEME sur le sujet daté de février 2025, les produits biosourcés ont en dix ans accédé à la respectabilité et représentent en France 4,4 % du marché global en volume et un honorable 10,8 % en chiffre d’affaires. « Le spot a grossi dans le radar et les signaux ne sont plus faibles », clame Loïc. Au détriment des produits conventionnels d’origine fossile ou au processus de fabrication énergivore émetteur de gaz à effet de serre, cette percée est très nette dans le bâtiment, les cosmétiques, l’hygiène, les peintures, les détergents, les encres, et dans une certaine mesure, le textile. En 2015, lors de la COP 21, 196 pays ont ratifié les accords de Paris. Le développement d’une vraie filière du biosourcé en est un des héritages majeurs.
Quels bénéfices retirer de l’emploi du biosourcé comme alternative à ce qui marche très bien depuis des décennies ? « Bien sûr, la diminution de nos empreintes carbone apparaît comme une évidence dans un contexte de chasse au gaz à effet de serre », souligne Erwin. Le biosourcé, avec sa casquette de séquestreur de carbone, a depuis longtemps gagné ses galons de respectabilité en écologie. « Mais il présente aussi d’autres séduisants avantages en termes de potentiel de création d’emplois, de renforcement de nos souverainetés par son localisme et son éco-circularité, et de préservation de la santé des usagers. » Loïc ajoute: « L’Hexagone comprend 90 % de forêts et de zones agricoles. Il aurait bien tort de ne pas se pencher sérieusement sur ce potentiel. » Les biosourcés (bois, paille, chanvre, lin, balles de riz, colza, liège…), les géosourcés bas carbone, c'est-à-dire ceux dont le processus de fabrication émet relativement peu de gaz à effet de serre (on parle ici des argiles, des terres crues...), autant d’entités aux consonances un tantinet moyenâgeuses et pourtant exploitables, directement ou en résidus transformés, en s’insérant avec modernité dans plusieurs secteurs d’activité.
Le bâtiment, catégorie poids lourd en biosourcé
Au tournant du 20e siècle, les 330 m de la tour Eiffel culminaient fièrement sur une révolution industrielle à son apogée, celle du charbon, du pétrole et de l’acier. Gageons qu’en ce premier quart de 21e siècle, la construction basée sur le biosourcé s’érigera elle aussi en étendard d’une révolution écolo-économique pour tutoyer la désirée neutralité carbone en 2050.
Preuve de la vivacité du domaine, une quinzaine d’industriels, acteurs de la construction biosourcée en France, ont créé en 2017 l’association des Industriels de la Construction biosourcée (AICB). Voilà que ça bouge dans le prêt-à-biosourcer !
Quelques chiffres extraits du dernier rapport AICB à propos de cette filière adulescente : 19 unités de production en France, 4 000 emplois directs et indirects, 150 M d’euros d’investissement depuis 2020, 28 M de m2 mis en œuvre par an. Seul un larvesque 2 % du gisement annuel des bioressources est valorisé, or les capacités de production existantes permettraient de mettre en œuvre une surface de 60 M de m2. Ce potentiel ne peut être ignoré à l’heure où les moteurs économiques essoufflés recherchent des leviers d’accélération.
Isolé dans le gros œuvre, très isolant dans le second
Dans le gros œuvre, deux candidats bas-carbone se taillent la part du lion, le bois, parmi les biosourcés, (7 étages maximum) et sa cousine géosourcée, la terre (entre 3 et 5 étages dans nos régions), qu’elle soit crue, cuite, compressée (ou non) et mélangée ou non à de la paille. La paille, dont seulement 10 % des résidus sont redirigés vers le biosourcé, commence seulement depuis peu à apparaître en tant que matériau de structure.
Dans le second œuvre, tous les biosourcés cités précédemment - le liège, la paille, le lin, le colza, les balles de riz… - sont mis en œuvre avec succès pour leurs propriétés thermiques et phoniques et leurs émissions réduites de Composés organiques volatiles (COV) et de Polluants organiques persistants (POP). Ces matériaux garantissent la qualité de l’air respiré par les occupants, et ont des performances hygriques, c’est-à-dire une capacité à absorber ou relarguer de la vapeur d’eau avec pour effet immédiat d'assainir la qualité de l’air intérieur respiré en prévenant le développement bactérien et la prolifération des champignons ou moisissures2. C'est toute la durée de vie du bâtiment qui se trouve améliorée.
« Les coûts du biosourcé varient d’une solution à l’autre, et pour les comparer aux solutions conventionnelles, il faut analyser le prix d’achat, mais aussi celui de la mise en œuvre et les coûts d’exploitation durant la vie du bâtiment », souligne Loïc. « Quasi-systématiquement, l’éco-sourcé demande un savoir-faire spécifique pour le mettre en œuvre, ce qui revalorise vraiment les métiers des artisans du bâtiment », résume-t-il. Le décideur devra arbitrer le sempiternel dilemme budgétaire entre dépenses d'investissement et dépenses de fonctionnement, pour choisir le meilleur dosage entre CAPEX et OPEX.
La médaille du biosourcée a-t-elle un revers ?
À ce stade, l’histoire est belle, et même irrésistible. Osons alors un peu d’éco-réalisme sans pour autant sombrer dans du grincho-fatalisme ! Le biosourcé présente aussi des défauts, corrigeables certes, mais à propos desquels il convient d’instruire honnêtement le dossier.
L’empreinte carbone minimale du biosourcé rassure. Mais la rigueur de l’éco-responsabilité nécessite de prendre en compte l’analyse complète du cycle de vie du matériau. « Si pour produire un isolant à base de balles de riz, les acteurs de la filière déforestent en Asie, sèment du riz OGM, épuisent les sols, eutrophisent et polluent les cours d’eau, circum-transportent la matière à grand renfort d’émission de CO2…, l’empreinte environnementale totale négative ne justifiera pas les quelques m2 isolés vertueusement », explique Erwin.
Il y a quelques années, il était suffisant en termes de règlementation que le bâti satisfasse à la RT2012 (RT pour Règlementation thermique). L’objet n'était alors que de plafonner la consommation énergétique d’un bâtiment. La RE2020 (RE pour Règlementation environnementale) a remplacé cette norme en 2020. Plus ambitieuse, cette règlementation définit de nouvelles modalités de construction pour le neuf selon trois axes : sobriété énergétique, réduction de l’impact carbone et confort intérieur (température, humidité, qualité de l’air).
« La rénovation échappe encore aux règlementations contraignantes, alors que le véritable gisement d’économie d’énergie et de réduction des émissions de carbone est là. On peut le déplorer pour l’instant, mais aussi y travailler en le voyant comme une vraie opportunité de progrès », déclare Loïc.
Un cadre législatif et règlementaire évolutif et perfectible
Cette dynamique RE2020 s’inscrit dans le cadre de la loi de Transition énergétique et pour la Croissance verte (LTECV), votée en 2015 et fixant les grands objectifs du modèle énergétique français en cohérence avec la volonté de fonder une Union européenne de l’énergie. La LTECV intègre les concepts de croissance verte, de création d’emplois, de réduction de la facture énergétique, de circularité de l’économie et de recyclage des déchets… l’équivalent d’une complète œuf, jambon, fromage et même champignons...
Le législateur avance vite et projette des objectifs désirables. Le terrain s’adapte, bouge selon ses moyens, oscille entre carotte et bâton, incitations et contraintes. Le cadre est en place, et pour beaucoup la volonté également. « Y a plus qu’à… » se confronter à la réalité.
« Dans notre région, l’association EnvirobatBDM a créé le référentiel BDM pour Bâtiment durable méditerranéen », commente Loïc. Basé sur une grille multicritères encourageant à mieux bâtir en repensant les consommations d’eau et d’énergie, le confort par bioclimatisme, la qualité de l’air et la santé des occupants, le label BDM (bronze, argent ou or) a récompensé 17 projets majeurs depuis 2016.
« Dans le bâtiment, le discours autour du biosourcé a percolé chez de nombreux industriels, ce qui n’était pas le cas il y a dix ans où prévalait une forme de condescendance », se réjouit Erwin. Entre politique RSE, arguments de recrutement, tentation du green-washing, globalement les entreprises, que ce soit au niveau régional, national ou européen, semblent maintenant avoir dépassé la prise de conscience pour aborder l’authentique prise de confiance. La dynamique biosourcée se ressent dans la communication, dans les chiffres et, dernier clignotant au vert en date, « dans les demandes des entreprises pour que l’université forme des gens à l’ingénierie du biosourcé », conclut Erwin.
Un sujet inflammable, la position des assurances...
Demeure la question délicate assurantielle, et en particulier vis-à-vis du comportement des matériaux biosourcés au feu. Certains matériaux sont naturellement lents à propager l’incendie. D’autres nécessitent un traitement spécifique pour ralentir leur combustion. Les avis ne sont pas encore tranchés et caractériser le comportement d’un matériau au feu n’est pas si simple. Les experts incendie l’analysent selon trois dimensions : la réaction au feu, la résistance au feu et enfin la transmission du feu. Les évaluations sont en cours, les indices sont partiellement établis… et logiquement, les compagnies d’assurances veulent y jeter un œil avant d’y mettre la main au feu.
Elles cherchent aussi à évaluer la tenue structurelle de ces constructions dans le temps3. Les bâtiments biosourcés n’obtiennent pas tous la bénédiction des thuriféraires du temple de la décennale, ce sujet étant assez vaste pour mériter un autre article. Il existe une liste verte éditée par la Commission Prévention Produit, une instance qui regroupe des professionnels de l’assurance et du bâtiment et qui produit des ATec (avis technique) et des DTA (Documents techniques d’Application). Bref parmi les matériaux biosourcés, comme ailleurs, il y a, en matière d’assurabilité, les bons élèves qui ont déjà fait leur preuve, et puis les autres qui sont en train de la faire.
Biosourcé,
un plébiscite sur le papier mais du chemin à parcourir
Dans le contexte climat-écologie actuel, le biosourcé apparaît comme légitime, mais pas encore tout à fait nécessaire au regard de son attractivité économique. Il a cependant cessé d’être invisible et bénéficie de la mise en place d'institutions et d’investissements propres qui contribuent à créer une filière crédible. Le ratio bénéfice-risque penche plutôt du bon côté, de quoi susciter des vocations et séduire des entrepreneurs en herbe.
Le biosourcé a mué, la larve s’est métamorphosée et vient de sortir de sa chrysalide. Le secteur n’est certainement pas au bout de ses (bonnes) surprises… C'est l’effet papillon. Dans le bon sens !
1. Source: rapport de l'Association des Industriels de la Construction biosourcée, 26 mars 2025
2. C'est le concept du point de rosée de la vapeur d’eau qui crée des gouttelettes d’eau sur les surfaces intérieures.
3. Le plus vieux bâtiment français en paille est âgé de plus de 100 ans ! https://cncp-feuillette.fr/la-maison-feuillette/
Quelques acteurs azuréens du biosourcé et du géosourcé :
www.terres-fibres-azur.fr (Bar-sur-Loup)
www.scic-tetris.org (Gréolières)
www.filiater.fr (Nice)
www.charpenterie-dautrefois.com (Roquebrune-sur-Argens)
Evénements à suivre dans le Var et les Alpes-Maritimes :
Rencontres de la construction TERRE à Cuers (10 à octobre)
Salon Eco Habitat 2025 à Vence (7 au 8 nov.)
Salon de l’éco-habitat au Cannet-des-Maures (28 et 29 nov.)
Associations :
www.batiment-biosource.fr, le site de l'Association des Industriels de la Construction biosourcée
www.envirobatbdm.eu, l’intelligence collective pour mieux bâtir
www.permabita.fr, le fil entre les producteurs et les utilisateurs
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