La Chimie augmentée
pour le meilleur et pour le pire
Quoi d'9 ?

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Il est une science, la chimie, qui, après avoir concouru plusieurs siècles à l’émancipation de l’humanité, se voit aujourd’hui perçue à la fois comme productrice de savoirs utiles et comme une menace pour l’avenir. Les avancées en intelligence artificielle laissent pourtant entrevoir une chimie augmentée du 21e siècle plus saine, plus frugale en matière et en énergie, dotée d’une optimisation réactionnelle, produisant moins de déchets, sécurisée et sécurisante pour les personnels et l’environnement. En somme, la chimie d’aujourd’hui semble plus en phase avec les valeurs dominantes de l’humanité. Pour le meilleur ? Ou alors pour le pire ?
C’est au bénéfice de la synthèse de la pensée déductive et de la pratique de l’expérimentation que naissait la chimie au 17e siècle en tant que science moderne.
Dite « Science centrale », elle irrigue et influence toutes les autres sciences parce qu’elle est fondamentale pour expliquer la vie (rappel utile que la photosynthèse est avant tout un processus chimique).
La chimie est partout et joue son rôle discret au quotidien pour satisfaire les besoins fondamentaux de chacun. Elle est dans la conservation des aliments, dans les fibres des vêtements, dans les principes actifs des médicaments, dans les procédés de chauffage…
Siège de la conquête d’une infinité de connaissances, elle a donné naissance au génie des procédés, cet univers technologique essentiel dans la mise au point des composants de synthèse qui a ouvert des alternatives aux composants chimiques naturels.
Si la contribution de la chimie et de ses technologies aux bienfaits de l’humanité est incontestable, la phobie qui s’est développée autour n’a jamais été aussi intense qu’aujourd’hui.
Dans un amalgame à très faible discernement, la chimie, ses technologies et ses industries sont régulièrement stéréotypées. Pollution, dérèglement climatique, atteinte à la biodiversité... La chimie est caricaturée criminelle, fauteuse d’accidents et de désastres environnementaux et humains, et est souvent blâmée d’être responsable du dérèglement de l’ordre de la nature.
À ces accusations s’ajoute un procès constant autour des technologies dérivées de la chimie, notamment autour des composants de synthèse, en opposant sans nuance la pureté de la naturalité. Comme si la chimie pouvait être une imposture à la nature alors que la nature repose par essence sur des procédés chimiques... Une aberration scientifique érigée en narratif dominant en oubliant que l’on doit à cette science de comprendre la formation des composés naturels et d’arriver à discerner leurs bienfaits de leur toxicité.
Depuis le siècle des Lumières, la chimie s’inscrit en effet dans une vocation émancipatrice de l’humanité en cherchant à reléguer les croyances derrière les connaissances. Cela suffit-il à apaiser les craintes ? NON, car comme l’observe Bernadette Bensaude-Vincent, la science de la chimie ne s’est pas contentée d’expliquer la nature, elle a cherché à reproduire et à copier les processus de formation de la matière.1 Et c’est là où est le danger.
L’ère de la Chimie augmentée
Si l’opportunité de croiser la technologie IA avec la chimie date des années 80, l’intérêt s’est ravivé il y a quelques années, un peu avant 2020, avec une introduction plus franche de l’IA dans la recherche en chimie et les processus appliqués.2 Un million de molécules inédites a été créé depuis.3 Le couplage chimie - IA a accru la capacité d’exploration de l’univers moléculaire, générant tout un foisonnement de connaissances nouvelles qui ont été vérifiées par l’expérimentation.
Encore impossible hier, l’introduction de l’IA dans les chaînes de production permet aujourd’hui de piloter une réaction chimique de A à Z avec plusieurs conséquences vertueuses : l’optimisation du taux de conversion, la suppression des produits de synthèse non conformes, une économie en matières premières et en énergie. Il y a deux ans, la société Alysophil a utilisé pour la première fois en environnement réel un système de pilotage par IA de synthèse chimique d’API. Une synthèse chimique en flux continu a ainsi pu être entièrement contrôlée par un agent d’apprentissage IA par renforcement.
Outre ces effets positifs qui peuvent être qualifiés de gains, les recherches d’applications IA en matière moléculaire sur des ordinateurs quantiques laissent espérer la possibilité d’étendre les usages au domaine des polymères, qui réclament une capacité plus étendue de traitement et qui se basent sur un plus grand nombre de données.
De telles innovations technologiques décuplent les capacités de recherche opérationnelle et concourent à l’optimisation du temps de développement et de la performance globale. Le temps de mise en marché se trouve aussi réduit.
Coupler la chimie à l’IA concourt également à une amélioration de sécurisation des installations par un contrôle en temps réel des dérives potentielles sur la chaîne. Les causes des anomalies peuvent être diverses en effet, des variations de conditions des différentes phases de réaction ou de transformation (densité, température, pression) aux variations de caractéristiques des matières premières…
Cette hybridation technologique laisse entrevoir une chimie du 21e siècle augmentée plus frugale en matière et en énergie, plus sensible aux questions de sécurité, et d’une manière plus générale, plus à l’écoute des besoins des Hommes. La voie est désormais ouverte pour une chimie de la nature d’où émergera une bio-inspiration qui appelle à repenser recherches de synthèses et développements industriels.
L’articulation de ces technologies anciennes et nouvelles suscite bien sûr des craintes fondées. Les modes d’apprentissage qui conçoivent in fine les scénarios algorithmiques des applications IA qui sont mises en œuvre dans l’industrie chimique peuvent être entachés d’une diversité de biais cognitifs. Certes, les analyse des composés chimiques produits et la certification de leur conformité aux spécifications attendues constituent des barrières protectrices. Pour autant, ces évolutions se basent sur les sciences mathématiques et algorithmiques combinées aux sciences cognitives, et c’est ce couplage qui fait réfléchir car il transforme fondamentalement le mode d’apprentissage et ces transformations engendrent des incertitudes et des craintes de perte du contrôle humain, et ce malgré l’exigence expérimentale.
Une autre conséquence de l’usage accru de l’IA en chimie est la menace d’une désaffection de l’espèce humaine pour l’effort et le travail que réclame la conquête des connaissances. Le risque est de s’abandonner à une paresse intellectuelle qui conduira inexorablement à dépendre à l’excès des technologies IA.
Une science époussetée
Nous sommes à l’aube d’un renouveau de la chimie auquel concourent l’exploration de l’univers moléculaire par IA, la miniaturisation des installations et le pilotage réactionnel par intelligence artificielle. Ces innovations transforment les processus de R&D, décuplent la puissance de recherche et enrichissent le génie chimique de technologies hybrides.
On peut se laisser aller à espérer une opportunité de souveraineté retrouvée pour notre pays en matière d’approvisionnement en principes actifs et, plus largement, en façonnant un modèle économique industriel renouvelé.
Les peurs et les croyances nouvelles liées à ces évolutions sont inéluctables et nous savons qu’il est plus facile de briser un atome que de briser un préjugé. « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui les regardent sans rien faire ». Cette maxime d’Albert Einstein nous semble plus que jamais d’actualité en ce qui concerne le génie chimique.
1. Bernadette Bensaude-Vincent est philosophe et historienne des sciences.
2. Applications of Artificial Intelligence for Organic Chemistry, the Dendral project, R.K. Lindsay, B. Buchanan, Author J. Lederberg, 1980
3. Livre Blanc Alysophil – www.alysophil.com
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