Alpes Maritimes, un retard solaire regrettable
mais un appétit palpable

Par Antoine Guy, 30 novembre 2023 à 19:23

Énergivores

Le département fait figure de mauvais élève pour les énergies renouvelables, comparativement à PACA et à la France, elle-même mal classée en Europe. Ici, la densité du foncier et l’absence de vent disqualifient l’éolien. La géothermie est chère, la biomasse trop expérimentale, l’hydraulique historique menacé par les sécheresses récurrentes. Reste le solaire. Notre ensoleillement est le plus important de l’hexagone et pourtant le photovoltaïque maralpin souffre d’indigence. Une règlementation aménagée, des aides publiques, une énergie chère se conjuguent à des technologies matures pour changer la donne. Le solaire maralpin se réveille et enfin se lève.

L’effet photoélectrique : des photons touche-à-trous dérangent des électrons baladeurs


1839 : Antoine Becquerel (1788-1878) et son fils Edmond[1] (1820-1891) démontrent expérimentalement l’apparition d’un courant électrique entre deux électrodes immergées en présence d’une source lumineuse. Le panneau photovoltaïque n’était pas encore né mais les principes photoélectriques sur lesquels il allait s’appuyer venait d’être mis en évidence. Un photon incident suffisamment énergétique déloge un électron d’un atome, créant un « trou » et un électron libre dans le matériau photosensible, et donc les conditions d’apparition d’un courant électrique. La réalité est un peu plus complexe et il faudra deux siècles et pas mal de matière grise pour mettre au point et industrialiser les panneaux multicouches actuels à base de silicium.


1958 : les premières cellules photoélectriques produiront un watt pour alimenter les instruments du satellite américain Vanguard 1, une sphère d’1,5 kg et de 16,5 cm de diamètre.


2023 : un panneau d’1,7 m2, avec un rendement de 20 %, exposé à un ensoleillement équivalent à 1 300 kWh/an/m2 (moyenne en France) produit une puissance électrique de 260 kWh/an/m2. « Pour satisfaire à la consommation d’une famille de 4 personnes hors chauffage, 20 m2 de ces panneaux produiront annuellement 5 MWh[2]. » explique Paul de Preville[3]. Ces chiffres bruts suffisent-ils à éclairer la situation du solaire comme énergie renouvelable en France ? Non bien sûr. Ils montrent en revanche que la technologie est disponible, mature et maitrisée.



Production et consommation électrique en France : état des lieux


En 2022, la France a produit 445 TWh d’électricité, un chiffre en recul, légèrement en dessous du chiffre de … 1995 ! La production électrique solaire avec ses 19 TWh pèse un petit 4 % dans le mix énergétique français, à côté du mastodonte nucléaire à 63 %, de l’hydraulique à 11 %, du thermique à 11 %, de l’éolien à 9 %. Seules les bioénergies ferment la marche avec 2 %. La consommation nationale a elle aussi régressé à 452 TWh. En comparaison, celle de 2016 s’établissait à 482 TWh.


Arrêtons là la litanie des chiffres. Force est de constater que le prix de l’énergie a recommencé à augmenter depuis 2020, que les experts estiment cette progression installée structurellement et durablement au moins pour la prochaine décennie. Les nombreuses alertes climatiques obligent le monde à agir pour abandonner le fossile et se tourner résolument vers les EnR[4], dont le solaire. L’objectif formalisé au niveau européen et français se nomme « Neutralité Carbone en 2050 ». Quel rôle le solaire peut-il jouer pour nous mener sur la bonne trajectoire et diminuer les émissions de gaz à effet de serre, alors qu’il est encore un nain au pays des géants ?



Sud-est : un élève moyen qui bénéficie depuis peu de soutiens solaires


Selon météo France, le sud-est bénéficie d’un ensoleillement moyen de 2 700 heures par an, nous classant parmi les deux premières régions en France. Les derniers (Haute Normandie, Centre Bretagne) frissonnent avec 1 400 heures par an. Nous disposons de la ressource, et pourtant la puissance solaire installée en PACA (chiffre 2021) ne reflète pas franchement le podium de l’ensoleillement, avec un petit 1650 MW à comparer avec la Nouvelle Aquitaine et ses 3250 MW, ou l’Occitanie avec ses 2 600 MW. « Notre région a fait sienne ce slogan « Gardons une COP d’avance ». Nous peinons à le respecter s’agissant du solaire. Dans les Alpes Maritimes, le photovoltaïque ne représente que 16 % du bouquet des EnR, elles même couvrant tout juste 9 % de notre consommation totale, alors que la région affiche 15 %. » souligne Frédéric Olive d’ENEDIS[5] Le solaire dans notre territoire n’est-il simplement pas adapté ou juste en retard ?


Un dynamique s’est clairement enclenchée depuis trois ans, turbo chargée par l’augmentation significative des factures d’électricité. Le trou dans le portefeuille interpelle au moins autant que l’écologie vertueuse et les comportements sobres : restons humbles et demeurons lucides. « Depuis 10 ans le prix des panneaux solaires a été divisé par 10, leurs rendements améliorés de 10 à 20 %, et leur durée de vie étendue de 15 à 30 ans. » commente Paul de Preville. Conjugués à une multiplication d’aides gouvernementales, mais aussi régionales et départementales, créant d’ailleurs une petite jungle dans laquelle il est devenu complexe de trouver son chemin, le photovoltaïque dans notre département, à contrario des éoliennes, a le vent en poupe.


 

Le solaire est un commun : l’autoconsommation est devenue la norme


Le modèle de production évolue aussi. À l’origine, un particulier propriétaire de son toit, s’équipait et revendait la totalité de sa production à un opérateur, espérant un amortissement de son investissement dans le meilleur des cas sur 10 ans, plus vraisemblablement sur 15. « Les règlementations se sont assouplies et le modèle de l’autoconsommation est apparu (avec revente d’un inévitable surplus à un tarif garanti sur 20 ans, 13 centimes du kW/h par EDF-OA, EDF Obligation d’Achat). » note Paul de Preville L’autoconsommation présente de nombreux avantages, pour les particuliers, les entreprises, et même les quartiers. Le retour sur investissement s’établit plutôt à 7 ans. En privilégiant le circuit court, elle retarde le moment où les infrastructures de transports seront saturées par les productions locales, diminue les factures et limite les transports sur les longues distances où les pertes en ligne par effet joule restent significatives. Dans le cas du tertiaire qui consomme majoritairement en journée, les batteries de stockage qui grèvent la rentabilité et occupent de l’espace ne sont pas nécessaires.


Dernier point, et non des moindres. « Il est désormais autorisé en s’appuyant sur les capacités des compteurs Linky de créer à l’intérieur d’un périmètre de 2 km, des communautés virtuelles de producteurs pour une autoconsommation collective » s’enthousiasme Frédéric Olive. Particuliers, commerçants, entreprises, institutionnels, mutualisent un investissement initial, produisent et autoconsomment entre eux, et enfin revendent. Le principe moyenâgeux de la fontaine partagée au centre du village est revenu sur le devant de la scène avec la ressource solaire. L’engouement est palpable. Le soleil, comme d’autres objets, étant un bien commun, son exploitation locale semble désormais évidente. Elle séduit car plus vertueuse pour la planète et soulage significativement les factures. « Les projets photovoltaïques communautaires de quartiers et les ombrières sur les parkings, les bâtiments communaux, bourgeonnent depuis 2020. Les élus locaux comme les chefs d’entreprises, en font même des arguments d’attractivité, de recrutement, de fidélisation, et mentionnent volontiers ces initiatives dans leurs ‘pitch’ » résume Frédéric Olive.


 

Ne pas tomber trop vite dans le panneau … solaire


Ne péchons pas cependant par excès d’optimisme. Toute médaille comporte un revers. La filière solaire est ralentie par un manque de compétences et de personnels qualifiés notamment chez les installateurs qui peinent à obtenir le label RGE (Reconnu Garant de l’Environnement), label nécessaire pour leurs clients obtiennent les aides publiques. Plus de 80 % des cellules photovoltaïques sont construites en Chine, contre 1,3 % en Europe, nous mettant de facto en situation de dépendance vis-à-vis de l’Asie. La France a produit en 2021 des cellules photovoltaïques valant 850 MW de puissance, alors que dans le même temps nous en installons pour une puissance de 3 000 à 3 500 MW.


Le mille-feuilles réglementaire appuie parfois sur la pédale de frein, non sans raison. Les Bâtiments de France ont leurs mots à dire dans le cas du foncier patrimonial et historique, les pompiers dans le cadre des Plan de Prévention des Risques. La règlementation RE2020 (Règlementation Environnementale) impose également son lot de contraintes pour bâtir plus sobre et moins carboné. Enfin, la loi APER du 10 mars 2023, relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, incite tous les acteurs à bouger pour multiplier par dix la production d’électricité solaire d’ici à 2050, c’est-à-dire atteindre 100 GW.


 

Autrefois élève moyen, le solaire est désormais diagnostiqué haut potentiel


Certains Cassandre agitent le drapeau rouge des « terres rares » entrant dans la composition des cellules photovoltaïques. Attention à ne pas confondre « matériaux rares, ou critiques » avec « terres rares ». Seuls les matériaux rares, c’est-à-dire ceux qui peuvent poser des difficultés d’approvisionnement, entrent dans la composition des modules photovoltaïques en silicium monocristallin. Par ailleurs, leur recyclabilité à 95 % est plus qu’honorable. Selon l’ADEME (sourcé au GIEC), une installation photovoltaïque sur toiture sans batterie, émet entre 32 et 46 gCO2eq/kWh[6] (75 % de cette quantité lors de la fabrication), que l’on comparera avec 469 pour le nucléaire, 840 pour le pétrole et 1001 pour le charbon !


Face aux enjeux de transition énergétique et de décarbonation, il serait criminel, quand on se nomme Côte d’Azur, de ne pas valoriser l’ensoleillement généreux dont nous bénéficions, ce don du ciel qui a forgé notre tourisme, attiré tant d’artistes, contribué à l’avènement d’une technopole. Les clignotants de la filière solaire passent au vert uns à uns.


Si nous ne le faisons pas, alors qui le fera en France ? 2050 n’est que dans 26 ans.




[1] Père d’Henri Becquerel (1852-1908) prix Nobel de physique en 1903 partagé avec Marie et Pierre Curie, découvreur de la radioactivité en 1896.


[2] L’ensemble des chiffres donnés dans cet article sont issus de l’étude « Le Solaire Photovoltaïque en France : réalité, potentiel et défis » préparée par le CNRS et la Fédération de Recherche du Photovoltaïque – deuxième édition de l’étude, en date du 14 sept 2023, disponible en libre-service sur www.solairephotovoltaïque.fr


[3] Sophia Mag a interviewé Paul de Preville, jeune cofondateur de la startup Ensol qui vient de lever 3 millions d’euros – voir www.goensol.com


[4] EnR est l’acronyme utilisé pour désigner les énergies renouvelables.


[5] SophiaMag a interviewé Frédéric Olive d’Enedis, Adjoint Domaine Développement Innovation et Numérique, Référent Mobilité Electrique et Smart Grid, Enedis Côte d’Azur


[6] Les facteurs d’émission associés aux sources d’énergie correspondent pour l'essentiel à des émissions de CO2. Ils s’expriment en général en grammes d’équivalent CO2 par kilowattheure (gCO2eq/kWh)


Parution magazine N°43 (décembre, janvier, février)

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