Avec Solar Cloth,
le solaire trouve sa place dans le textile

Par Emmanuel Maumon, 30 novembre 2023 à 13:55

De Tech à tech

Implantée à Mandelieu, l’entreprise Solar Cloth a aujourd’hui le vent en poupe. Créée en 2014, elle a conçu un textile photovoltaïque flexible, léger, pliable et enroulable. Avec lui le solaire s’impose de plus en plus dans le domaine de la voile où il a pris naissance, mais aussi dans bien d’autres applications. Solar Cloth voit ainsi son carnet de commandes se remplir et s’adapte pour passer du stade artisanal au stade industriel. Ceci tout en participant à des projets de recherche pour améliorer encore la technologie utilisée dans ses panneaux solaires.

L’idée de concevoir et de fabriquer des tissus photovoltaïques a pris corps au retour d’une régate à laquelle participait Alain Janet, le fondateur de Solar Cloth, qui fabriquait déjà des tissus techniques pour la course au large. Dans le cockpit de son bateau, l’un de ses clients lui suggéra de rajouter une couche mince photovoltaïque à ses voiles. A l’époque, le photovoltaïque se résumait à des panneaux solaires rigides en silicium qui pesaient 15 kilos par m2 et n’étaient donc pas du tout adaptés au monde de la voile. Si les technologies à couches minces commençaient à devenir une réalité en laboratoire, pratiquement aucun produit n’était encore commercialisé. L’idée semblait bonne sur le papier, mais dans la réalité elle s’est avérée compliquée à mettre en œuvre.


Les avantages des tissus photovoltaïques


Pour y parvenir, Solar Cloth devait tout d’abord concevoir un produit incassable. L’utilisation du verre était donc absolument rédhibitoire. Le matériau devait également être très léger et flexible, ce qui est le cas de celui finalement retenue : le CIGS (Cuivre Indium Galium Sélénium). Dérivés de métaux pour certains, ces quatre éléments ne contiennent pas de verre. L’épaisseur du film capteur ne dépasse pas les quelques microns et, une fois encapsulé, le produit est très souple et très léger. Il offre aussi un bon rendement de l’ordre de 18 %, soit pratiquement autant que le silicium de toiture. Par ailleurs, les couches minces travaillent beaucoup mieux en lumière avec des incidences compliquées (lever et coucher de soleil). De plus, le dos de la cellule agit comme un radiateur, ce qui limite les pertes de rendement à la chaleur, contrairement aux technologies concurrentes comme le silicium.   


La technologie CIGS offre donc de nombreux avantages, mais il a fallu l’adapter au monde de la voile. Au départ, Alain Janet pensait que la tâche serait relativement simple car il avait affaire à une structure mécanique peu déformable, très légère et qui pouvait survivre aux éléments que l’on rencontre en mer, ainsi qu’aux différentes avanies qu’une voile de bateau a à subir. Solar Cloth l’a traitée au début comme elle le faisait avec ses membranes pour voiles de course. Malheureusement, le résultat ne fut pas à la hauteur de ses attentes en raison de la difficulté à encapsuler de la micro et parfois nanoélectronique avec tout un circuit électrique. Un système qui devait pouvoir accepter la déformation inhérente sur un bateau, mais aussi pouvoir transporter l’énergie récupérée d’un point A à un point B sans en perdre en route. Solar Cloth a donc dû apprendre à faire cela. Au final, il a fallu cinq ans de R&D pour maîtriser l’ensemble du processus de fabrication des textiles photovoltaïques.


Une solution pour la voile, mais aussi pour les camions


Assez logiquement, les premières utilisations de ces textiles photovoltaïques eurent lieu dans le domaine de la course au large. Après une première expérience sur le bateau de Conrad Colman lors du Vendée Globe 2016, c’est au cours de l’édition suivante en 2020 que la technologie montra toute son efficacité sur le bateau de Jean Le Cam « Yes We Cam ». Depuis, dix skippers l’ont adoptée lors de la dernière Route du Rhum, et Solar Cloth a déjà équipé quatre bateaux pour le prochain Vendée Globe. Prompts à tester toutes les innovations, les skippers professionnels redoublent d’ailleurs d’ingéniosité pour positionner ces panneaux partout où ils peuvent en mettre. Le dernier endroit en vogue étant le mât du bateau.


Dans le monde du transport, les panneaux solaires de Solar Cloth ont aussi trouvé de nouveaux domaines d’utilisation. L’entreprise mandolocienne a notamment répondu à un vrai besoin émis par Renault-Volvo Trucks. Dans ses réunions régulières avec ses clients transporteurs, le constructeur de camions les voyait se plaindre des pannes immobilisantes qui affectaient gravement leur activité. Aujourd’hui, une cabine de camion est un véritable lieu de vie et les chauffeurs ont de plus en plus de besoins énergétiques. Mais à trop tirer sur la batterie la nuit, il arrive souvent que le camion ne puisse redémarrer au petit matin. En installant des panneaux sur les déflecteurs des camions, le photovoltaïque s’est avéré une solution pertinente. Il a non seulement permis d’allonger la durée de vie des batteries, mais aussi de pouvoir redémarrer les camions le matin après avoir attendu qu’il y ait un peu de soleil et un peu de luminosité.


Des débouchés dans l’agriculture, le tourisme et l’humanitaire


Outre les transports, Solar Cloth a également trouvé d’autres axes de développement pour ses textiles photovoltaïques. Le premier est celui de l’agriculture où ses panneaux se sont révélés très efficients dans des serres. Ceci à la fois pour offrir de l’énergie, mais aussi de l’ombre à bon escient. Une expérience menée à l’INRAE de Sophia Antipolis a ainsi montré une augmentation de 13 % de la productivité de la culture de la tomate sous serre en utilisant la solution de Solar Cloth. Après avoir travaillé sur le séquencement lumineux, leur écran d’ombrage permet en effet de laisser passer les rayons du soleil aux moments les plus propices, ce qui favorise la croissance des plantes.


Les textiles de Solar Cloth ont aussi prouvé leur utilité apposés sur des lodges dans des campings haut de gamme implantés en pleine nature. Leader dans ce domaine, la société Utopia les a testés avec succès sur l’un de ses sites, dans la montagne aux abords de Los Angeles. Réalisés dans l’urgence, leurs panneaux ont permis d’ouvrir le site avant même que le fournisseur d’énergie ne parvienne à alimenter les lodges. La solution mise en œuvre pourrait aussi être implantée sur les grandes tentes du secours médical d’urgence ou de l’aide humanitaire. Une activité finalement assez voisine de l’équipement de structures métallo-textiles qui représente aujourd’hui près de 45 % de l’activité de Solar Cloth. L’entreprise a d’ailleurs noué un partenariat avec Spatiotempo, la filiale du leader de l’événementiel GL Events, qui met à disposition des bâtiments démontables. C’est avec elle que Solar Cloth a été retenue par EDF pour équiper l’été prochain la structure d’accueil du Village des athlètes à Saint-Denis.


Les nouveaux horizons de Solar Cloth


La collaboration initiée avec EDF ouvre d’ailleurs de nouveaux horizons à Solar Cloth car elle pourrait se développer autour de nombreux projets portés par le fournisseur d’électricité. A la demande de la compagnie de croisières Ponant, Solar Cloth participe également à la construction du quatorzième paquebot de sa flotte. Un navire qui sera propulsé par un mix d’énergies renouvelables dont bien sûr l’hydrogène, mais aussi le solaire. Le carnet de commandes de l’entreprise ne cesse donc de se remplir, ce qui l’oblige à s’adapter. Ses effectifs devraient ainsi passer rapidement d’une douzaine à une vingtaine de salariés. Solar Cloth a aussi modifié sa façon de travailler afin de pouvoir multiplier sa capacité de production par quatre. Elle a ainsi engagé son passage du stade artisanal au stade industriel.


Pour faire face à la forte croissance de ses ventes, Solar Cloth entend aussi sécuriser ses approvisionnements, notamment en rapatriant en France la production des cellules de ses panneaux qu’elle achète aujourd’hui en Californie. Répondant à un appel à projets de l’ADEME, elle s’est associée à trois partenaires, dont deux gros laboratoires du CNRS. Avec eux, elle travaille sur un système moins onéreux et moins polluant pour fabriquer des cellules CIGS. Ils ont ainsi lancé le projet de recherche PRINCIPE portant à la fois sur la production de cellules et la fabrication de panneaux. Dans un deuxième temps, PRINCIPE s’intéressera aux pérovskites, des cristaux abondants et peu onéreux. Utilisés en tandem avec les technologies matures telles que le silicium ou le CIGS, ils permettent de repousser le plafond de verre des rendements photovoltaïques. Limités aujourd’hui aux alentours de 30 %, ces derniers pourraient atteindre près de 45 %. Avec de tels rendements, Alain Janet estime que « si on l’utilise à bon escient, le photovoltaïque aura plus que jamais sa place dans le mix énergétique. » 

Parution magazine N°43 (décembre, janvier, février)

Qu’en pensez-vous ?

Donnez-nous votre avis

Pour vérifier que vous êtes une intelligence humaine, merci de répondre à ce questionnement lunaire.