Profession
Sculpteur de Robot

Par Antoine Guy, 15 octobre 2025 à 11:08

De Tech à tech

Représenter et imiter le vivant.

Nombreux sont ceux qui ont voulu relever ce vieux et beau défi, depuis les fresques de Lascaux, la statuaire du Parthénon, les marionnettes de la commedia dell'arte et les automates du 18e.

Gaël Langevin, artiste, créatif, plasticien, héritier des mécaniciens d’art, amoureux de la sculpture qu’il a étudiée et pratiquée, s’est engouffré dans cette voie originale avec les outils du 21e.

Concevoir et mettre en ligne en Open Source un robot complet ?

La démarche interpelle, le résultat étonne, la portée convainc.

Il est des personnages dont l’inattendu séduit et la simplicité rassure. Gaël appartient à cette catégorie emblématique de l’humano-diversité peuplant ce début de 21e siècle techno-bouillonnant. Quinqua poivre et sel, l’humilité semble lui coller à la peau et suggère beaucoup plus qu’une image de sympathique Géo Trouvetou créateur de robot.


Une belle entrée en matière


Derrière ses montures espiègles, il reconnaît volontiers un parcours scolaire plus cigale que fourmi, plus rêveur solitaire qu’accoutumé des lauriers, plus expérimental qu’empirique. Gaël Langevin entretient une relation authentique et naturelle avec la matière, les objets, les mécanismes. Son observation nourrit son imagination, preuve vivante qu’on apprend au moins autant devant le monde que devant un tableau noir. « À cette époque, j’adorais fouiner dans les décharges1, récupérer des trucs, rapporter un vieux guidon de vélo, démonter un outil abscons, et puis redonner une vie à ces objets autrement », avoue-t-il. Sa véritable appétence se révèle avec la sculpture, le design, le dessin. La matière artistique le courtise en vue de fiançailles prometteuses. Il entre alors dans le secteur du luxe comme dans les ordres, là où ses talents et son imaginaire vont s’exprimer, donner toute leur mesure pour sculpter le beau, peindre l’éphémère, inventer l’onirique, créer des effets spéciaux, tout cela pour dire le parfum de célèbres marques.


En venir aux mains


« Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous », écrit Paul Éluard2. Gaël ne lira pas son avenir dans les lignes de « sa main », mais le rejoindra dans les courbes « des mains ». Pour les besoins d’un film publicitaire, un constructeur automobile lui demande de travailler sur la création d’une prothèse de main futuriste. Déclic ou des clics ? Les deux mon général. L’alchimie d’un destin bicéphale commence à émulsionner. Il conçoit avec Blender, un logiciel de modélisation en Open Source, les constituants de cette main qu’il réalise ensuite grâce à une imprimante 3D. « Je nourris une fascination particulière pour les mains. Elles sont élégantes, délicates, intelligentes, très sensuelles. Au cours des études d’art, on travaille beaucoup sur des avatars de mains en bois. La statuaire classique, soucieuse du détail et d’exactitude, a produit des mains magnifiques », commente Gaël. Son ADN de sculpteur vibre face à une imprimante 3D, forcément. « Dessiner, modéliser, puis ensuite passer du numérique au physique, c’est magique », lance-t-il presque comme un slogan.


Deux mains, deux maîtres


L’intuition qui émerge ensuite provient de l’état d’esprit Open Source et d’un verbe qu’il répètera plusieurs fois pendant notre rencontre : « partager ». Les lignes de la main font peut-être les choux gras des voyants, mais mettre en ligne toute une main s’impose avec évidence. « Je voulais renvoyer l’ascenseur à la communauté Blender, et tout simplement partager les fruits de ce travail », explique Gaël. Mais cette main aura pourtant un goût d’inachevé. Il commence alors un long et patient travail de conception et de mise en ligne des autres parties nécessaires à la construction d’un robot complet : avant-bras, bras, jambes, pieds, torses, tête … « Mon travail dans le luxe assure certes mes fins de mois, mais en revanche ne comble pas complètement mon vrai moi », blague-t-il. « Dans mon métier, il faut sans cesse recommencer. Mes créations sont éphémères, et n’ont de valeur que dans un temps limité. Je ne peux me résoudre à mener uniquement cette perpétuelle course en avant. J’ai trouvé un équilibre avec cette seconde activité, proposer un robot en kit et en Open Source », poursuit-il.


Matière grise


Gaël ajoute à la structure de son robot des cartes à microcontrôleur, en Open Source également, dont la vocation est de gérer toutes les motorisations de sa créature. Il est aussi approché par un inventeur qui l’invite à une collaboration basée sur son logiciel « MyRobotLab », toujours appartenant à la mouvance Open Source. Ce dernier mettra en ligne les briques logicielles qui commanderont les servomoteurs du robot, proposant même une interface de commande vocale : « ouvre ta main gauche », « plie ton bras droit »… des capacités nécessaires pour qui veut simuler avec réalisme l’interaction humain-robot.


Matière première


Nous sommes à ce moment en 2011. InMoov venait de naître avec l’idée de proposer en ligne et en Open Source tous les composants, hard et soft, nécessaires à l’assemblage d’un véritable robot intégrant l’état de l’art de la technologie et grâce au concours d’une imprimante 3D. La longue marche commençait. « On n’exécute pas tout ce qui se propose, Et le chemin est long du projet à la chose.3 » En 2025, Gaël ne sait pas combien, ni par qui, et ni où, ce contenu « robotique » a été téléchargé. Dans le monde entier, des clubs de passionnés, des universitaires chercheurs, des étudiants, des associations engagées pour lutter contre le handicap, connaissent et utilisent les ressources inestimables d’InMoov, version 4.0 de la caverne d’Ali Baba et de ses trésors. « Lors de compétitions de robots en Chine ou ailleurs, je vois fréquemment dans les reportage des éléments d’InMoov sur ces créatures robotisées. Il existe aussi des pages Facebook très actives consacrées à l’utilisation des composants d’InMoov, créées par des communautés dont je ne fais pas partie », déclare amusé Gaël. Il a mis au monde un bébé original qui n’a pas attendu longtemps pour s’émanciper. « Même si les éléments d’un InMoov sont cédés sous une licence qui n’autorise pas la commercialisation, on en voit sur eBay ou Ali-express. C’est illégal mais cela prouve au moins la valeur de ce qu’InMoov représente », conclut-il avec philosophie.


Orfèvre en la matière


« Si j’en juge par le nombre de cartes à microcontrôleurs expédiées, il existe aujourd’hui au moins 7 000 robots InMoov dans le monde », précise aussi Gaël. « Mais InMoov ne me fait pas vivre aujourd’hui. La mise en ligne a clairement développé le projet mais la rémunération n’est pas au rendez-vous, et puis je ne suis vraiment pas affuté pour prospecter, lever des fonds, tout ce genre de choses. Je préfère communiquer, partager. L’argent, la croissance sans limite, ne sont pas mes moteurs, ici et maintenant », résume Gaël.


Il semble bien que ce n’était pas le but premier du projet en 2011, et c’est probablement mieux comme cela. Cet Open-Sourceur de la robotique connaît des satisfactions d’un autre ordre. Il reçoit des courriers régulièrement lui expliquant comment InMoov, par la pratique, a éveillé une vocation roboticienne, ou comment un père au prétexte de construire un InMoov avec son enfant mal engagé dans la vie, l’a aidé à renouer avec l’enseignement. « Une femme m’a même demandé l’autorisation de se marier avec un exemplaire de mon robot (véridique !). Lors d’une interview pour CNN, le journaliste m’a demandé si j’avais donné mon consentement. J’ai répondu que je souhaitais juste assister à la cérémonie », raconte-t-il amusé, sans préciser si cette cérémonie a bien eu lieu et s’il y a participé.


Matière grise


L’entretien n’aurait pas été exhaustif sans un petit détour par l’omniprésente IA. Gaël, comme beaucoup, commence à intégrer cette nouvelle technologie dans son travail et dans le projet InMoov. Son approche, à son image, voyage un peu à contre-courant. Il estime que l’IA représente surtout une opportunité de mieux comprendre nos comportements et nos environnements, deux points clés pour un roboticien. « Malheureusement, je ne suis pas persuadé que l’IA s’engage sur ce chemin là… on est peut-être en train de passer à côté d’une opportunité », regrette-t-il.


Matière à penser et à partager


L’aventure InMoov reste unique et même inclassable. Gaël l’a souhaitée et élaborée, animé par son inquiétude face à ce qu’il dénonce comme « l’escalade de la croissance permanente qu’une bonne partie de l’humanité voudrait ralentir ». Sa réponse passe par la communication au sein de communautés d’intérêt, par le partage (l’internet et l’Open Source s’y prêtent plutôt bien), et une réciprocité vis-à-vis de tous ceux qui partagent.


Au-delà d’un simple robot, cette histoire apparaît moins technologique qu’humaniste ou philosophique, confortant d’abord l’idée que l’usage et peut-être même la création, priment sur l’outil. Et d’ailleurs… quel plus beau prolongement de l’humanité que celui de sa propre main ? Celle par qui il se confronte au réel, invente l’outil, imagine la machine, et repense donc son rapport au monde en sollicitant son cerveau et ses sens, en particulier celui du toucher. Le robot, en tant que miroir de nous-même, symboliserait finalement cette quête mimétique de l’homme pour mieux s’analyser et se comprendre lui-même.


Gaël aime le réel et le monde, il admire la beauté des mains, maîtrise des outils, conçoit des machines, et sculpte in fine un robot à notre image : c’est la définition originale de l’ingénieur.


En le partageant, il sculpte aussi sa part de l’avenir de l’humanité. Cela vaut à minima d’échanger avec lui et son compagnon InMoov, une belle poignée de main.




1. Un concept polluant, heureusement et quasiment disparu depuis la mise en place d’une gestion raisonnée des déchets, du tri et du recyclage.


2. Paul Éluard (1895-1952), poète français, de son vrai nom Eugène Grindel.


3. Dorine (Acte III, Scène 1) dans « Le Tartuffe ou l’imposteur » de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, (1622-1673).

Parution magazine N°50 (septembre, octobre, novembre)

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