Coup de projecteur sur le futur du ramassage solaire

Par Antoine Guy, 30 novembre 2023 à 19:13

De Tech à tech

Dans la longue marche vers l’objectif européen « Net Zero » en 2050, l’ESA a attribué fin juillet 2023 à Thales Alenia Space le marché de l’étude SOLARIS. Il s’agit de statuer sur la faisabilité technique, économique et sociétale de la mise sur orbite d’une centrale solaire renvoyant une énergie décarbonée vers notre planète bleue. Pour comprendre tous les enjeux associés à cet objet spatial d’un nouveau genre, Sophia Mag a rencontré Xavier Roser, Product Line Manager Science, Exploration, On-Orbit Servicing à Thales Alenia Space Cannes. Éclairage sur une manière inattendue d’apprivoiser le rayonnement du roi soleil.

Encore et toujours l’éternel mythe d’Icare : se rapprocher du roi soleil


La France et l’Europe se sont résolument engagées dans une quête volontariste vers une désirable neutralité carbone en 2050 et une indépendance aux hydrocarbures. Substituer des sources fossiles émettrices de gaz à effet de serre par des énergies décarbonées est aujourd’hui moins un débat qu’une marche forcée. Sur le podium des alternatives crédibles, le solaire occupe une place de choix. Les atouts majeurs de cette source : d’abord inépuisable, ensuite répartie, donc en principe affranchie des contraintes de distribution. Ses inconvénients : intermittence quotidienne et saisonnière, inégale en intensité selon les latitudes et les couches nuageuses. L’idée d’une station solaire spatiale a émergé en 1968 dans le cerveau de Peter Glaser (1923-2014) ingénieur et scientifique américain d’origine tchèque. Un tel équipement orbital capterait le rayonnement solaire sans souffrir d’intermittences et renverrait une énergie stable vers la terre indépendamment des saisons, des latitudes voire des caprices de la météo.


L’idée est séduisante. Même Jules Vernes n’y avait pas pensé ! De nombreuses études de faisabilité ont déjà été menée par la NASA, l’ESA, la JAXA[1], Boeing, EADS. Le sujet passionne depuis cinquante ans, et quand une course internationale s’organise de la sorte, forcément le jeu doit en valoir la chandelle, ou dans ce cas, le mégawatt, l’arc-en-ciel. Dans le spatial « … le chemin est long du projet à la chose.[2] » L’imaginaire des uns et la créativité des autres, malgré une importante mobilisation, n’ont pourtant pas réussi pour l’instant à démontrer l’existence d’un modèle techniquement et économiquement viable.



Un horizon géopolitique dégagé pour envisager une centrale solaire orbitale


Les planètes semblent cependant s’être réalignées ces dernières années. Entre crise énergétique, objectif zéro carbone et avènement du new space, l’ESA a logiquement relancé des études de faisabilité sur le sujet. Baptisé SOLARIS, le job vient d’être confié à Thales Alenia Space, impliquée dans deux consortiums (Arthur D.Little, Air Liquide, Engie, Dassault, et ENEL, Thales Alenia Space Cannes-Toulouse-Turin-Rome) où foisonnent les expertises nécessaires pour mener un travail de cette envergure. Le spécialiste cannois de l’ingénierie spatiale dispose d’un an pour rendre sa copie. En l’état de la technologie, une centrale de production d’énergie alimentée par le rayonnement solaire peut-elle être placée en orbite ? À quel coût ? Selon quelles modalités de lancement, d’assemblage, de pilotage et de maintenance dans le temps ? Quel prix de revient pour produire dans l’espace un kilowatt de qualité, régulier, disponible pour l’usager terrien et acheminé vers quelle zone du globe ? Enfin, une dernière question de taille, un démonstrateur peut-il exister avant la fin de la décennie ? L’exercice intimide autant qu’il fascine, enthousiasme autant qu’il déconcerte. L’injonction n’est pas sans rappeler celle de John Kennedy le 12 septembre 1962 en préambule au programme Apollo : « Nous avons choisi d'aller sur la Lune au cours de cette décennie … non pas parce que c'est facile, mais justement parce que c'est difficile … parce que cet objectif servira à organiser et à offrir le meilleur de notre énergie et de notre savoir-faire … »


 

Deux orbites, deux moyens de collectes, deux modes de transmissions


« Nous étudions soit une station équipée de panneau photovoltaïques qui transmettra la puissance électrique par onde, soit des réflecteurs qui orienteront le rayonnement solaire vers des fermes solaires terrestres » déclare Xavier Roser. Dans les deux cas, les premiers défis à relever concernent le transport des composants de l’infrastructure à placer en orbite, puis l’assemblage dans l’espace par robot. Ce dernier point n’est pas des moindre et la robotique spatiale doit encore pour ce faire progresser. Bien que le prix du kilogramme transporté dans l’espace baisse régulièrement, le déploiement de structures de plusieurs dizaines de mètres de long en orbite pèse vite lourd … en euros. « TAS travaille sur la spatialisation de panneaux solaires flexibles, légers, et surtout enroulables pour minimiser l’encombrement dans le lanceur. » souligne Xavier.


Le choix de l’orbite influencera fortement les choix d’architectures. Une orbite basse (400-800 km) signifie un prix de lancement moins cher mais plus de risques d’exposition de la station à des débris nombreux dans cette banlieue de la terre. L’ensoleillement y est plus limité, à cause de l’ombre de la Terre. La solution à base de réflecteur sera dans ce premier cas privilégiée. Une orbite haute (entre 10 000 et 36 000 km), plus chère à atteindre mais nettement moins encombrée de déchets spatiaux (qui finissent en général par redescendre, à l’exception de ceux en orbite géostationnaire), nécessite de choisir la solution de transmission d’énergie par ondes. Encore faudra-t-il choisir les formes d’ondes et les fréquences qui ne perturberont pas les transmissions liées aux équipements dans la zone. Une orbite géostationnaire à l’aplomb de l’équateur permet « d’arroser » toujours la même zone. « Les orbites inclinées sur des latitudes loin de l’équateur imposeront un balayage intermittent de la zone de réception, ce qui ramène en partie au problème des panneaux solaires terrestres classiques, à moins qu’un train de stations animées se relayent pour assurer une continuité des faisceaux d’énergie transmis vers le point de réception. » commente Xavier, ajoutant ainsi une autre dimension à l’arbitrage financier. Maximiser le retour sur un tel investissement impose de transmettre l’énergie produite prioritairement où elle est chère, dans des zones en déficit loin des sources ou des réseaux de distribution … et elles ne s’étendent pas uniformément juste sur l’équateur !



Impacts sur les écosystèmes : ne pas aggraver le problème par la solution


Les impacts environnementaux, on l’imagine aisément, ne peuvent non plus être occultés. On évitera l’éclairage permanent par un réflecteur spatial (plusieurs km2 !) d’une zone urbanisée … mais les lieux sans densité de population ont par définition moins besoin en énergie : le spectre de la quadrature du cercle se profile. Le choix « réflecteurs solaires » occasionnera une élévation de la température au niveau de la surface éclairée, peut-être dommageable pour les écosystèmes, peut-être recréant un besoin de climatisation ? … Attention au cercle vicieux de la solution qui amplifie la cause contre laquelle elle prétend lutter ! « SOLARIS inclura aussi un volet sociétal. Mais ces questions se posent pour n’importe quel moyen de production d’énergie sur terre. » note Xavier Roser à propos de ce sujet.



Et pourquoi pas orienter une centrale vers la lune ?


Une telle station peut regarder aussi vers le cosmos. « Un réflecteur pointerait vers la lune où la nuit dure 15 jours, et contribuerait à l’installation d’une station lunaire de grande envergure, soit pour des besoins scientifiques, soit pour servir de tremplin vers ce fameux voyage sur Mars. » souligne Xavier enthousiaste Disposer d’une source d’énergie fiable en orbite permettrait aussi de se lancer dans l’exploitation des matériaux lunaire comme la régolithe qui contient de l’eau, et de s’affranchir en partie des 15 000 dollars[3] que coûtent aujourd’hui en moyenne la mise sur orbite basse ou géostationnaire d’une masse d’un kg. SOLARIS, outre son objectif premier « énergétique », pourrait indirectement contribuer à de nouveaux programmes de conquêtes spatiales d’envergure en boostant des technologies comme la robotique d’assemblage dont il faudrait cependant encore repousser les limites en spatial.


L’étude rendra ses conclusions vers le milieu de l’année prochaine. Les chapitres seront nombreux et les réponses denses : quel choix d’architecture technique, quelle orbite, quelle technologie de collecte et de transmission, quel impact environnemental, quelle zone de réception, quel opérateur, quel investissement, quel tarif de revente, quel droit international applicable et in fine quel avenir pour une telle station ? L’ESA décidera, avec les résultats de SOLARIS en main, de la marche à suivre sur la poursuite d’un tel projet en 2025.


Un choix éclairé pour peut-être lancer un programme dont le rayonnement fera date.




[1] JAXA : Japan Aerospace Exploration Agency


[2] Dorine, servante de Mariane à Damis frère de Mariane dans « Le Tartuffe ou l’Imposteur » (Acte III - scène 1), de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière (1622 – 1673).


[3] L’accès à une orbite lunaire est largement supérieur à ce prix.




Parution magazine N°43 (décembre, janvier, février)

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