Inria, cette ruche
qui nous veut du bien
De Tech à tech

Maureen Clerc, directrice du centre de recherche Inria Côte d’Azur © Inria
Institut national de recherche spécialisé dans les sciences et technologies du numérique, Inria contribue à l’innovation en développant des connaissances fondamentales et en s’intéressant aux applications du numérique dans de nombreux domaines. Dans ses recherches, l'IA joue un rôle de plus en plus prégnant. Rencontre azuréenne avec Maureen Clerc, directrice du centre de recherche Inria Côte d’Azur.
Maureen Clerc, pouvez-vous nous indiquer les principaux axes de recherche à Inria Côte d’Azur ?
Nous travaillons tout d’abord sur la science des données, à partir de modèles qui peuvent représenter des réseaux de transport, des réseaux de communication cellulaires en biologie ou des connaissances médicales.
Nous essayons d’améliorer les connaissances dans une diversité de domaines avec des méthodologies qui viennent du monde du numérique. Concrètement, nous mettons en relation des concepts et nous faisons parler des données pour arriver à mieux comprendre des phénomènes complexes.
Nous avons aussi des recherches plus fondamentales avec des chercheurs qui travaillent sur des preuves informatiques ou sur des réseaux de communication utilisant la virtualisation logicielle par exemple ou la cryptographie post-quantique.
L'IA occupe une place croissante. Certaines équipes ont l’intelligence artificielle comme sujet principal de recherche, d’autres non, mais se servent néanmoins de plus en plus de l’IA dans leurs travaux.
Inria est fortement impliquée dans l’institut 3IA Côte d’Azur. Quelles formes prend cette contribution ?
Bon nombre de nos chercheurs et chercheuses sont titulaires de chaires 3IA. C’est-à-dire qu’ils ont été sélectionnés par un jury international qui a estimé qu’ils avaient les compétences requises pour mettre en œuvre ou développer de nouvelles techniques d’IA. Ces chercheurs s’impliquent dans la formation de doctorants en IA et dans l’encadrement de postdoctorants qui viennent contribuer à la recherche dans nos équipes.
En fait, une véritable dynamique s’est créée sur le site où des chercheurs en IA dans différents domaines se réunissent pour confronter leurs connaissances mutuelles. De plus, nos chercheurs titulaires de chaires 3IA participent à l’enseignement et contribuent aux collaborations industrielles qui ont été renforcées depuis la création du 3IA Côte d’Azur
Le directeur scientifique du 3IA Côte d’Azur, Nicholas Ayache, est un chercheur réputé de l’Inria en matière de santé numérique. Dans quelle mesure l’apport de l’IA permet-elle de développer des outils d’analyse et de diagnostic particulièrement performants ?
Par la rapidité avec laquelle elle est capable de brasser de grandes masses de données, l’IA apporte une assistance aux médecins dont ils ne pourront plus se priver à l’avenir. Elle peut aussi réexaminer des cohortes d’une manière que l’humain ne pourrait pas.
Inria Côte d’Azur participe également à l’aventure d’un nouvel IHU à Nice, qui s’appelle RespirERA. L’IA fait partie des forces de cet institut hospitalo-universitaire. Nous avons à Sophia Antipolis des équipes de premier plan qui s’intéressent depuis longtemps à la manière dont on peut automatiser les traitements d’images médicales, mais aussi toutes les autres informations qui accompagnent les dossiers médicaux des patients.
Inria & durIAbilité
Vous travaillez également fortement sur les territoires intelligents. Dans quelle mesure l’optimisation des infrastructures urbaines et des systèmes de transport peut-elle jouer un rôle dans la réduction des émissions de carbone ?
Dans notre centre, nous avons une chercheuse, Paola Goatin, qui travaille sur la régulation du trafic routier. Avec des équations aux dérivées partielles, elle cherche la vitesse optimale pour limiter la congestion, notamment sur les entrées et sorties d’autoroutes. Il est certain qu’avoir un trafic beaucoup plus fluide a un effet sur la réduction des émissions de carbone. Cela intéresse aussi les concitoyens dans leurs préoccupations quotidiennes. Nous sommes d’ailleurs un peu frustrés de n’avoir pas réussi à avoir des collaborations avec des sociétés d’autoroutes pour mettre en place de véritables expérimentations en France. Pourtant Paola Goatin travaille avec des collègues à Berkeley en Californie où là des expérimentations réelles sont mises en œuvre.
Dans le domaine du transport, nous collaborons avec Instant System, une société sophipolitaine qui a des contrats importants en région parisienne avec Transdev. Notre équipe qui s’occupe d’optimiser les réseaux prête son concours à Instant System pour mettre en place de bonnes stratégies alliant covoiturage et transports publics, ce qui permet de développer la multimodalité. C'est une solution à laquelle je crois beaucoup pour réduire les émissions de carbone.
Si l’IA permet des avancées en matière environnementale, son utilisation massive reste très consommatrice d’énergie et contribue au réchauffement climatique. Comment Inria se positionne ici ?
Il y a des aspects structurels et organisationnels. En termes de calculs, nous les faisons soit en local, soit en national, dans des plateformes qui ont été conçues pour être le plus efficaces possible.
Ici, en local, nous avons une responsabilité pour que notre data center soit le plus vertueux possible. Actuellement son taux d’utilisation est de l’ordre de 60 %. Nous pouvons essayer de l’utiliser encore plus car une fois que des équipements ont été construits, mieux vaut les utiliser le plus possible.
Nous travaillons également sur la façon de le refroidir. Un data center est une source de chaleur et son refroidissement permanent consomme beaucoup d’énergie. Nous avons un plan pour rénover totalement notre data center actuel en améliorant sa performance énergétique. Nous allons aussi explorer la géothermie comme un moyen de réduire nos dépenses énergétiques.
Nos chercheurs travaillent par ailleurs sur des manières d’optimiser l’utilisation de l’électricité pour les réseaux et pour les calculs. Leurs solutions seront peut-être mises en œuvre dans le futur pour mieux ordonnancer les calculs et l'ensemble du processus afin de diminuer la consommation d’énergie.
Faut-il changer l’image et l'utilisation de l’IA ?
Sans doute et nous ne sommes d’ailleurs pas toujours obligés d’utiliser de l’IA. Maintenant que Chat GPT existe, les gens se détournent des navigateurs classiques. Je crois qu’il y a beaucoup d’éducation à faire sur le coût énergétique des différentes solutions.
Avec le CNRS et Université Côte d’Azur, nous avons lancé Terra Numerica qui a un bâtiment dédié à Sophia Antipolis. C'est un lieu où jeunes et moins jeunes peuvent mieux comprendre ce qui se cache derrière nos écrans en manipulant des objets et des concepts d’une manière ludique et concrète.
S'il y a beaucoup à faire pour éduquer le grand public, c'est valable aussi pour les chercheurs. Pour réduire notre empreinte, nous devons être raisonnables dans notre manière de faire de la recherche. C'est en contradiction avec la recherche d'innovation. C’est tout un équilibre à trouver qui n’est pas facile à gérer. Nous devons nous restreindre dans des proportions raisonnables.
Rendre l’IA plus respectueuse de l’environnement passe aussi par l’interdisciplinarité. Qu'en pensez-vous ?
L’interdisciplinarité permet de faire dire un maximum de choses à un corpus puisque pour gérer des flux de données de manière pertinente, il faut arriver à l’exploiter. L’enjeu ici est d’arriver à extraire toutes les informations dont on va pouvoir avoir besoin pour le futur sans conserver les données qui n’ont pas d’utilité.
Une stratégie retenue au sein de l’antenne de Montpellier d'Inria Côte d’Azur a été de constituer une équipe interdisciplinaire réunissant informaticiens, écologues, agronomes et climatologues. Cette équipe (Iroko) participe à de nombreux projets européens dans lesquels elle regarde un grand nombre de données provenant d'une diversité de pays.
Y a-t-il un point sur lequel vous souhaitez insister ?
Un point dont nous n’avons pas parlé concernant le climat et qui est important pour notre site. Il concerne les risques environnementaux, l’un des sujets stratégiques d’Université Côte d’Azur. Nous sommes déjà dans une région sismique à la base, mais en plus nous avons la mer et toutes ces montagnes qui créent des catastrophes de temps en temps lors d’événements malheureusement de moins en moins rares.
Inria peut jouer un rôle pour aider les gens du terrain à prendre des décisions d’aménagement. Nous avons parlé du trafic routier, mais cela peut aussi être pour l’aménagement côtier. À Montpellier, nous avons une équipe qui travaille sur la modélisation des écoulements côtiers et la modélisation des inondations en ville.
Nous avons aussi ici une équipe qui crée des environnements qui paraissent réels, mais qui sont basés sur des simulations et des créations d’artistes. Créer des scènes telles qu’elles seraient s’il se produisait des inondations, des avalanches ou des éboulements peut faire prendre conscience aux aménageurs de ce qu’il y aura à faire dans ces situations. Pour aider à prendre des décisions, nous avons un rôle d’éclaireur à jouer en étant capables de simuler et de prédire, parmi beaucoup de possibles, ce qui pourrait arriver.
Terra Numerica est un projet fédérateur du CNRS, Inria et Université Côte d'Azur, dont le but est que tout citoyen ait accès à des dispositifs de culture numérique de grande qualité. Il regroupe une diversité de partenaires dont l’Éducation nationale, et a développé une approche originale, attractive et unique, en termes de médiation scientifique, de diffusion, de partage et de rencontres entre les acteurs du numérique. Le projet est axé sur le développement de réseaux interconnectés d’Espaces animés de Culture numérique et propose des ressources ludiques pour tous les publics avec un parti pris : favoriser la manipulation et l’interactivité. Cela comprend le lieu totem Terra Numerica @Sophia, un réseau d’Espaces Partenaires dans la Région Sud, et beaucoup d'actions hors les murs ainsi que des activités en ligne. Terra Numerica déploie des dispositifs adaptés à tous les niveaux, de la découverte à la formation, pour aborder fondements, applications, enjeux, patrimoine informatique et métiers du numérique. Plus de 120 000 personnes ont été sensibilisées ou formées en six ans.
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