Dans le rétro du WAICF 2024...
Grâce à l’IA, un droit de regard sur la vidéoprotection

Par Antoine Guy, 4 mars 2024 à 08:51

Le Monde vu de Sophia

Vidéoprotection… des milliards de pixels assoupis dans l’attente d’une hypothétique exploitation. Grâce à des modèles d’IA, infatigables par définition, ce capital gigantesque prétend se valoriser autrement pour améliorer la vie de la cité et des citoyens. Un décloisonnement bienvenu à l’heure des transitions sociétales majeures qu’impose le bouleversement climatique. Au détour d’un stand WAICF, rencontre avec Alan Ferbach, président du cluster IA et co-fondateur de Videtics, cette jeune pousse qui a tout d’une grande.

Ambivalence de l’usage d’une technologie


Les premières installations de vidéoprotection analogiques à vocations industrielles pour le contrôle visuel à distance en milieu hostile sont apparues juste après la seconde guerre mondiale. Elles ont profondément marqué les esprits et largement inspiré George Orwell (1903-1950) qui les intègrera dans 1984, sa célèbre dystopie d’anticipation, où Big Brother les utilise pour tyranniser les populations soumises à sa dictature. Le problème fût donc posé dès l’apparition du concept. Surveiller à des fins de sûreté protège, surveiller à des fins autoritaires avilit. Depuis l’antiquité, ce constat n’est pas nouveau : censure, police, doctrine, pistage, délation, répression, ou alors liberté d’expression et de la presse, droit de vote, droits de l’homme, liberté individuelle, laïcité … on ne compte plus les concepts politiques inventés par les philosophes et les constitutionalistes pour promouvoir les peuples vers la citoyenneté.


La vidéoprotection, surtout dans les espaces publics, semblent donc se télescoper durement avec le progrès sociétal et les libertés. Pourtant elle progresse dans nos centres-villes, surtout depuis une quinzaine d’années, quand elle est montée dans le train de la digitalisation. Est-ce par pression technologique car les systèmes sont de plus en plus sophistiqués et les images d’une netteté cinématographique ? Ou est-ce parce que les services rendus, les bénéfices perçus le justifient, fussent-ils au risque de franchir « LA » ligne rouge liberticide ? Et maintenant, pour simplifier la question, l’IA, comme ailleurs, s’est invitée au bal. La startup sophipolitaine Videtics, créé en mars 2019, forte aujourd’hui de 23 collaborateurs, a grandi en se posant des questions éthiques tout au long de sa croissance, aussi bien sur les finalités des fonctions développées que sur la conception des algorithmes d’IA.


Un gisement d’informations qui tend les bras


La réponse d’Alan Ferbach, président du cluster I.A., co-fondateur de VIDETICS avec Pierre-Alexis Le Borgne et Alexandre Reboul est évidemment « Oui ! ». Il développe ensuite son propos : « Le nom VIDETICS est né de la fusion de trois composantes primaires : Vidéo – Éthique - Analytics. Nous combinons par nos compétences la sécurité et l’IA, que nous voulons au service de l’Humanité. Toutes nos décisions techniques, commerciales et stratégiques sont prises à la lumière de cet ADN humaniste ». Les résolutions des caméras se sont affinées, le stockage a augmenté en espace et baissé en prix, à l’instar des serveurs et des caméras. Résultat, 99 % des pétaoctets de pixels sommeillent en attendant d’être regardé par des cerveaux qui biologiquement en serait incapables. On estime que l’attention humaine devant un mur d’images de vidéosurveillance rejoint un niveau proche de zéro au bout de 20 mn. Il n’en fallait pas plus pour imaginer sous-traiter la tâche à un algorithme, mieux à un réseau de neurones.


IA, candidate naturelle pour exploiter ces mines d’informations


« Grâce à nos solutions d’analyse vidéo par IA, nous détectons et identifions, des personnes, des véhicules, des bateaux. » explicite Alan. C’est une première étape en particulier qui réduit le taux de fausses alarmes souvent inhérentes à ces installations qui alertent aussi au passage d’un oiseau ou un d’un chat dans le champ d’une caméra chargée d’alerter en cas d’intrusion. « Nos solutions détectent des mouvements anormaux, pas uniquement dans le champ sécuritaire mais aussi dans celui de la sûreté. ‘Anormaux’ peut vouloir dire qu’un opérateur qui n’aurait pas son casque doit être contacté, ou travaillant dans un atelier isolé et seul, tombé à terre à la suite d’un malaise, doit être secouru. Nos systèmes à base d’IA alerteront l’agent de sécurité dans ce sens. » ajoute Alan. Sur les capacités en reconnaissance faciale de l’IA, sujet sensible s’il en est, s’agissant des libertés individuelles, Alan est plus réservé quant à leur utilisation par Videtics, mais admet « qu’en cas de prise d’otages ou d’enlèvement d’enfant, la mise en œuvre de ces solutions se justifie ».


Le pitch du jeune entrepreneur ne s’arrête pas là. « Les heures de vidéo urbaines représentent une mine de renseignements sur l’usage par le citoyen de l’espace public. Nous considérons alors la caméra comme un capteur de flux, de densité, d’attroupements… Des statistiques essentielles pour élaborer les politiques publiques. ». Videtics travaille avec la municipalité de Saint-Paul de Vence pour mieux réguler ses flux touristiques. Idem pour la détection de bateaux dans les calanques de Marseille, qui nuirait à l’environnement en pénétrant sur des zones protégées ou en mouillant trop longtemps au même endroit, trahissant peut-être une intention de pêche illégale. « Ces statistiques d’affluence sont également précieuses pour les services de propreté qui optimisent ainsi leur logistique de ramassage des déchets » confie-t-il avec pédagogie.


Sélectionnée aux JO 2024 !


La société a remporté l’appel d’offre émanant du Ministère de l’Intérieur pour estimer les densités de flux, les contre-sens, les intrusions, les attroupements et renseigner les forces de l’ordre sur des mouvements de foules suspects. Cette technologie sera déployée en PACA, en Rhône-Alpes, en Corse et dans les DOM-TOM… Un gage de sérieux. Finalement, à partir d’une technologie plutôt ancrée dans une sécurité classique régalienne, Videtics se fraye un passage dans les marchés des smart city, des grands évènements sportifs ou culturels, et des établissements recevant du public. Sa vocation citoyenne se dessine plus clairement.


Sur ces terrains de jeux, on a plus de chance de gagner en jouant collectif. Videtics a rejoint le consortium SERENITY, un cluster de compétences cohérentes et complémentaires : ATRISC cabinet en gestion du risque, Inocess spécialisée dans la gestion des objets connectés, SIRADEL expert en jumeau numérique, et l’IMREDD. « La technologie d’Inocess est très complémentaire de la nôtre. Elle est capable de construire des matrices et des cartographies de flux ‘départ-arrivée’ grâce aux objets connectés des citoyens. » précise Alan.


Des applications très diverses


Il explique aussi participer à l’optimisation de la consommation énergétique de grands bâtiments. Sur le site de l’IMREDD par exemple, mais aussi à l’Université Mohammed VI au Maroc, il n’a pas été nécessaire d’ajouter des capteurs de présence. Les caméras déjà en place détectent l’occupation des salles et renseignent automatiquement via la solution Videtics la gestion technique centralisée du bâtiment pour réguler le chauffage, la climatisation et l’éclairage. « Nous avons aussi entraîné nos modèles d’IA à la détection de chutes de personnes dans les EHPADs. Cet évènement étant par définition difficile à reproduire en réel, nous avons utilisé la technologie de la startup AI Verse pour simuler ces chutes de façon réaliste, et fournir ces données synthétiques à nos modèles. Notre vision est d’utiliser les jumeaux numériques pour guider les forces de l’ordre ou les pompiers dans leur mission pour accéder à une zone. Un modèle animé 3D parle plus qu’une vision 2D plane. » conclut-il.


Prévenir le risque d’empoisonnement des données d’apprentissage


Nous évoquons aussi les questions de risques, associées à l’IA Alan souligne que Videtics emploie trois « annoteurs » permanents pour l’étiquetage des données. Cette étape est en effet nécessaire pour que la machine « apprenne » correctement. On la guide un peu mais surtout « cela permet de garder vraiment la main sur la qualité de nos modèles et de leurs propositions en sortie » insiste Alan. On le comprend.


L’IA sophipolitaine à l’international


Pour terminer notre entretien, Alan annonce fièrement la création d’une joint-venture avec la société DUX, entreprise ivoirienne filiale du groupe KAYDAN, ivoirien aussi, extrêmement impliqué dans la transformation numérique de la Côte d’Ivoire et en parallèle dans la lutte contre la fuite des talents. « Nous évaluons comment leur transmettre nos savoir-faire. Eux regardent comment s’inspirer du modèle de Sophia et le décliner au service de l’économie ivoirienne » note-t-il. Videtics a fait partie des entreprises qui ont contribué à la sûreté et sécurité de la dernière Coupe d’Afrique des Nations. Un excellent test avant les JO.


Mariage IA avec la vidéoprotection, encore une fertilisation croisée


La vidéoprotection, sujet orwellien s’il en est, grâce à l’IA, sort de sa zone de confort et se métamorphose en vidéo-vigilance, voire en vidéoptimisation urbaine, énergétique et citoyenne, au sens de la cité et des services à la personne. Elle suit en somme une trajectoire biomimétique. L’homo sapiens a sûrement usé de ses yeux en premier lieu pour se prémunir des dangers, puis a imaginé d’autres usages : observer son environnement pour le penser, regarder le monde pour le décrypter, appréhender l’espace pour l’urbaniser, lire, peindre, sculpter et photographier le réel pour le sublimer, le symboliser.


L’IA et la vidéo iront-elles jusque-là ? Ceci est une autre histoire.

Parution magazine N°44 (mars, avril, mai)

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