Microplastiques en Méditerranée…
L'enjeu méconnu d'harmonisation des approches scientifiques
Le Monde vu de Sophia
Programme de formation VigiePlastic, été 2024 © Cédric Stanghellini
La Méditerranée est-elle devenue une mer de plastique ? C’est en tout cas le cri d’alarme que lance Noureddine Zaaboub, maître de conférences et chercheur en bio-géochimie à l’Institut national des Sciences et Technologies de la Mer (INSTM) en Tunisie. Avec d’autres scientifiques de la région méditerranéenne, il a participé cet été à une semaine de formation aux prélèvements et à l’analyse des microplastiques organisée par l’association Expédition MED. La rédaction l’a rencontré à bord du navire laboratoire Le Bonita.
D’après les dernières données scientifiques, alors que la Méditerranée ne représente que 1 % des eaux marines dans le monde, elle contiendrait 7 % de tous les microplastiques (fragments de moins de 5 mm). Comment expliquer une telle concentration ?
La Méditerranée est particulièrement touchée par les microplastiques en raison de plusieurs facteurs interconnectés. Tout d'abord, les rivières jouent un rôle crucial en transportant des déchets plastiques depuis l'intérieur des terres jusqu'à la mer. Imaginez ces cours d'eau comme des autoroutes pour les déchets, les emportant loin de leur source et les déversant dans la mer. Ensuite, les zones de rejet, souvent situées près des grandes villes, déversent directement des tonnes de déchets dans l'eau, surtout pendant les crues. Pendant ces périodes, les rivières débordent et emportent avec elles une énorme quantité de plastiques vers la mer. Enfin, les activités maritimes comme la navigation et la pêche contribuent également à cette pollution. Les bateaux peuvent perdre ou jeter des plastiques, qui finissent par se fragmenter en microplastiques. C'est un problème complexe où les actions humaines sur terre et en mer se combinent pour créer une concentration alarmante de microplastiques dans la Méditerranée. D’où la nécessité que les scientifiques de la région travaillent de concert.
C’est pour cela que vous avez participé au programme de formation VigiePlastic proposé par l’association Expédition MED ?
Effectivement, tous les scientifiques des pays riverains de la Méditerranée font les mêmes constats : aujourd’hui, lors des campagnes de prélèvements, chaque échantillon de microplastique étudié se révèle plus alarmant que celui analysé l’année précédente. Mais pour comparer nos données, nous avons besoin d’utiliser une même méthode de prélèvement. Grâce à l’association Expédition MED, j’ai pu me former à l’utilisation du filet Manta, appelé ainsi en raison de sa forme de raie manta. Mon séjour sur leur navire laboratoire m’a aussi permis de rencontrer mes confrères scientifiques d’autres pays riverains de la Méditerranée.
Comment fonctionne ce filet Manta ?
Il s’agit d’un filet qu’on laisse flotter à la surface de l’eau durant une trentaine de minutes, tiré par le bateau. L’eau passe ainsi à l’intérieur et les plus petites particules de plastique sont emprisonnées dans un collecteur situé au fond du filet. Une fois ce dernier remonté, il faut analyser une par une les particules récupérées, les trier au microscope et les classer selon leur matière. Un travail de fourmi, mais indispensable pour mesurer l’ampleur de la situation en Méditerranée.
Quel danger représente cette invasion des microplastiques ?
La pollution par les microplastiques est une menace sérieuse pour les écosystèmes marins. Les éléments de plastique sont ingérés par une variété d'organismes marins. Imaginez un poisson avalant ces minuscules morceaux de plastique, lesquels sont souvent chargés de toxines et de métaux lourds. Ces substances nocives s'accumulent dans la chaîne alimentaire, ce qui signifie que lorsque nous mangeons du poisson, nous risquons aussi d'ingérer ces toxines. En outre, les plastiques flottants servent de transport pour des micro-organismes nuisibles, créant ce qu'on appelle la « plastisphère ». Ce phénomène peut gravement perturber les écosystèmes marins, ajoutant une nouvelle couche de complexité et de danger à cette pollution.
Vous avez mentionné le concept de plastisphère. Pouvez-vous nous expliquer ce terme ?
La plastisphère désigne les communautés de micro-organismes qui se développent sur les plastiques flottants dans les mers et océans. Cette notion a été explorée pour la première fois en Méditerranée et en Afrique par l’INSTM en Tunisie, grâce aux recherches du professeur Lamia Trabelsi et moi-même. Ensemble, nous avons découvert que la plastisphère fonctionne comme un « écosystème extrême ». Les microalgues qui la composent peuvent accumuler des métaux lourds à des concentrations alarmantes. Pensez à ces microalgues comme à des éponges absorbant les métaux. Cela entraîne une double menace : d’une part, les microalgues sont potentiellement toxiques, d’autre part, les métaux qu'elles absorbent rendent la plastisphère extrêmement dangereuse pour toute la chaîne alimentaire. C'est une découverte majeure qui souligne l'ampleur des défis posés par la pollution plastique.
Les microplastiques restent-ils à la surface de l’eau ?
En raison de leur taille et de leur masse, les particules plastiques se comportent comme des éléments minéraux ou végétaux. C’est-à-dire que, de la même manière que des sédiments ou des organismes, les microplastiques auront des déplacements différents une fois en mer : rester à la surface, flotter à des profondeurs différentes ou se déposer au fond. C’est ainsi qu’en 2013, j’ai pu découvrir avec mes confrères des microplastiques contenus dans les sédiments entre 600 mètres et 2 500 mètres. Il s’agissait de campagnes d’étude des fonds marins en Méditerranée dont les préparatifs avaient été réalisés à Nice en collaboration avec l’observatoire de Villefranche-sur-Mer. Ces informations sont très importantes et montrent la propagation spatiale très étendue de ces polluants.
Des solutions sont-elles possibles pour remédier à la pollution aux microplastiques ? La situation semble sans issue.
Une chose est sûre : on ne pourra pas retirer les microplastiques déjà présents en Méditerranée. Mais pour en diminuer la quantité, il est crucial de limiter les sources de pollution plastique à la source, en améliorant la gestion des déchets à terre et en sensibilisant le public à la réduction des plastiques à usage unique. Car derrière chaque déchet plastique bien visible se cache une source de pollution future de milliards de particules de microplastiques. Une pollution quasi invisible, mais bien réelle et surtout très dangereuse pour l’écosystème. Ensuite, nous devons renforcer les efforts de nettoyage des côtes. Enfin, en tant que scientifique, je promeus la standardisation des méthodologies de recherche et de partage de données à travers des projets internationaux, comme ceux soutenus par l’association Expédition MED, ou encore des campagnes d’étude Marine Litter MED soutenues par les Nations unies auxquelles j’ai aussi participé. L'objectif est de créer une cohésion dans les efforts de recherche et de sensibilisation pour maximiser l'impact de nos actions.
Et vous avez particulièrement à cœur de partager le résultat des recherches avec le grand public.
Effectivement, communiquer nos découvertes est essentiel pour sensibiliser sur les dangers de la pollution aux microplastiques pour les écosystèmes et la santé humaine. Cela encourage également des actions et des politiques environnementales plus strictes, tout en impliquant le public dans une lutte active contre ce fléau. Sans oublier que l'implication de la société civile, des associations et des citoyens est cruciale pour créer un changement durable.
Créée en 2009, l’association Expédition MED vient de débuter son premier programme de formation international en Méditerranée avec des scientifiques de pays de la rive sud (Maroc, Algérie, Tunisie, Lybie, Égypte, Liban). L’objectif de ce programme est d’harmoniser les protocoles scientifiques pour étudier la pollution plastique en mer afin de produire des indicateurs communs pour en mesurer et comparer les évolutions. Cette formation est encadrée par l’océanographe Ana Luzia Lacerda, Bruno Dumontet, fondateur d’Expédition MED, et Emmanuel Cabanes, assistant scientifique. Ce programme est organisé en partenariat avec les associations tunisienne Notre Grand Bleu et italienne Circolo Nautico, et bénéficie du concours logistique à terre comme en mer du chantier naval Tecnomar. Les premières délégations de scientifiques algériens et tunisiens ont embarqué sur le navire laboratoire Le Bonita pour se former aux différents protocoles : prélèvement des microplastiques de surface avec le filet Manta, tri et caractérisation avec la colonne de tamis, identification avec le microscope binoculaire et analyse chimique des plastiques à l’aide du Mira CAL DS mis à disposition par la société Metrohm. Le Bonita a fait escale à Saint-Laurent-du-Var en juillet 2024 et la rédaction a eu la chance d’être embarquée dans l’aventure.
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