Pour l’Océan
l’économie sera bleue ou ne sera pas

Par La rédaction, 2 septembre 2024 à 11:56

Le Monde vu de Sophia

Pour Robert Calcagno, directeur général de l’Institut océanographique, Fondation Albert 1er, Prince de Monaco, ce n’est plus une question. Les mers et les océans sont au cœur de la diplomatie et des échanges économiques mondiaux. La rédaction reprend ici son plaidoyer.

L’Océan est essentiel à la survie de l’humanité. Sans son active participation à l’organisme Terre, nous ne serions pas là pour en parler ! Or, ce que l’on a pris pendant des siècles pour un acquis se révèle d’une grande fragilité. Indifférence, négligence, surexploitation, avidité, la liste des inconséquences humaines est longue. Aujourd’hui, l’Océan est abîmé. Il est donc grand temps de se retrousser les manches.


Si durant des décennies l’Océan a été le grand absent des échanges diplomatiques, il a peu à peu gagné sa place dans les débats internationaux. En témoignent deux récentes victoires importantes : la première concerne l’accord sur la protection de la biodiversité et de la haute-mer (BBNJ) – soit environ les deux tiers de l’Océan – adopté en septembre dernier aux Nations unies. Si la Principauté de Monaco a été le premier État européen à ratifier cet accord, il est certain que de nombreux autres pays le feront dans l'année à venir. La seconde victoire est celle concernant l’accord de la COP15 Biodiversité. Il prévoit, entre autres, une protection de 30 % de la biodiversité sur terre et aussi en mer d’ici 2030. Ce qui exige que 30 % de la surface de l'Océan soit transformée en aires marines protégées ou fasse l’objet de mesures de conservation. Correctement déployées, ces initiatives peuvent assurer une protection très efficace du milieu marin.


Mais les défis persistent, notamment en matière de financement et d’organisation, pour protéger cet espace vital qui couvre 71 % de la surface de la planète. Le temps de la prise de conscience est révolu, celui de l’action et de la mise en œuvre est désormais une priorité. Pour cela nous aurons besoin de l’engagement des citoyens, des gouvernements, des ONG, des organismes multilatéraux comme des fondations philanthropiques. Mais pas seulement. Le soutien et la mobilisation des entreprises privées et publiques sont un enjeu crucial pour la mise en place et la promotion d’une économie « bleue ». Et si possible, dans son aspect le plus exigeant : une activité économique qui n’est pas seulement durable mais aussi régénérative pour le milieu et inclusive pour les communautés locales.


Deux chiffres illustrent notamment cette urgence d’agir : le premier montre que la valeur de l’économie maritime - sans considération de durabilité - qui était estimée à 1 500 milliards en 2010, devrait, selon l’OCDE, être multipliée par deux d’ici 2030 pour atteindre 3 000 milliards. Et cette tendance devrait se poursuivre. Le deuxième concerne le financement de l’Objectif de Développement durable N°14 des Nations unies. Il faudrait le multiplier par sept pour atteindre les 175 milliards de dollars nécessaires chaque année à la protection de l’Océan.


Si l’on fait le pari d’une économie bleue, les actions doivent être menées simultanément dans ces deux directions. D’une part, soutenir les entreprises dans leurs démarches vers une économie plus durable. D’autre part, aider à financer la résilience bleue et un Océan plus pérenne.


Concernant l’économie bleue, prenons l’exemple des transporteurs maritimes qui doivent être incités et accompagnés à consommer moins d’énergies fossiles, utiliser des moteurs plus économes, et finalement basculer vers une mobilité décarbonée… Concernant la résilience bleue, des financements sont nécessaires par exemple pour la protection des coraux et des mangroves, le maintien d’une pêche artisanale et la construction d’un tourisme durable et responsable. L’algoculture est également une voie très prometteuse qui permet sous certaines conditions de fixer du dioxyde de carbone, de dépolluer l’Océan ou de produire de l’alimentation animale ou humaine.


Le défi consiste à faire coïncider les fonds disponibles avec les projets existants, et à mettre en œuvre le tout à une échelle appropriée. Les millions, ou milliards de dollars, mobilisables par le secteur public ou privé sous forme de bonds, d’equities ou dans certains cas de partenariats public-privé, sont essentiels. Autre piste en réflexion, celle de la création d’un marché de crédits biodiversité, sur lequel se penche un groupe de travail international (le International Advisory Panel on Biodiversity Credits) mis en place pour en identifier la forme et définir des règles afin d’éviter tous les écueils constatés avec le marché carbone.


Ce qui est enthousiasmant dans les secteurs en pleine croissance comme celui du financement de l’Océan, c'est le sentiment qu'une course a commencé - un marathon. Une course qui récompensera les plus clairvoyants. C’est pourquoi nous appelons toutes les entreprises qui partagent notre vision en faveur d'une économie bleue pour l'Océan, à se mobiliser et à développer des partenariats, des solutions et des projets novateurs. À un an du Blue Economy and Finance Forum (BEFF) - qui se déroulera à Monaco les 7 et 8 juin 2025, en amont de la conférence des Nations unies sur l’Océan à Nice – nous attendons leurs précieuses contributions. Il est temps de considérer l'invention de nouveaux modèles de production ou de consommation durables comme un moteur de profit et de solutions pour relever les défis environnementaux qui nous attendent.

Parution magazine N°46 (septembre, octobre, novembre)

Qu’en pensez-vous ?

Donnez-nous votre avis

Pour vérifier que vous êtes une intelligence humaine, merci de répondre à ce questionnement lunaire.