Lune de miel avec Homère,
Racine, Carole Bouquet
et bien d’autres…

Par Frank Davit, 18 juin 2025 à 00:16

Arts en scène

Du 18 juin au 5 juillet, convoler en bonne compagnie et traverser les zones de turbulence de l’hubris : nous voilà dans de beaux drames ! Ceux dont le Théâtre national de Nice nous délecte pour une deuxième édition de son Festival de Tragédie et pour des émotions comme s’il en pleurait…

S’aventurer dans la forêt obscure de l’âme. Se frotter à ses démons. Même pas peur. Dans toute cette noirceur, le TNN a choisi d’aller y voir plus clair à la lumière de ce qu’il sait faire de mieux. Du spectacle bel et bien vivant. À l’ombre des chagrins et des turpitudes de notre drôle de condition humaine. En plein cœur de ce qui nous fait nous battre et nous ébattre. L’amour, la haine, la cupidité, la soif de puissance et ainsi de suite jusqu’à la folie ! Mots à maux, c’est tout le propos et l’ambition du Festival de Tragédie initié depuis l’an dernier par Muriel Mayette-Holtz. « La dimension tragique de l’existence, sourit la directrice du TNN, personne n’y échappe, ça fait partie de la vie. La tragédie parle de ça précisément, de l’inéluctable. Elle tend un miroir à nos angoisses et maintient à distance ce qui nous effraie en le représentant, en le transformant en un simulacre théâtral qui dit vrai. On peut le regarder en face, cela devient de la beauté. Notre festival vibre à ce diapason comme un adagio des sentiments et des larmes… »


Netflix ne fait pas le poids !


Dont acte. Au paroxysme du fatum ou dans l’ordinaire du pire. Au plus profond de nos forces obscures. Forte de ses multiples rebondissements, la deuxième édition du festival s’apprête à captiver son auditoire et Netflix n’a qu’à bien se tenir… Démonstration en six spectacles de théâtre programmés dans le décor à ciel ouvert des arènes de Cimiez, épicentre de la manifestation. Des lectures au château de Crémat, au musée Masséna et au musée d’Archéologie pour frissonner autrement face au spectre de nos vicissitudes. Et pour l’occasion, sur le parvis des Franciscains, dans le cadre des procès de grands personnages imaginés par le TNN tout au long de sa saison, Agrippine, mère de Néron et grande figure du théâtre tragique, au banc des accusés… Au gré de ses différents rendez-vous, le festival allume haut et fort son flambeau dans les ténèbres de nos tourments. Il part en sentinelle dans nos intérieurs nuit, avec pour seules lueurs les mots de magiciens de la scène et du verbe. Rayon grands maîtres, Homère, Euripide, Eschyle, Sophocle, Sénèque, Racine et Hemingway. Les romancières Emilie Frèche, Véronique Olmi, Muriel Szac et l’auteur Davide Enia pour leur écriture au présent, en immersion dans notre époque. « À côté de grands auteurs classiques, il s’agit aussi de faire écho à des sensibilités contemporaines qui nous parlent directement du monde moderne et des tragédies qui hélas font rage autour de nous, souligne Muriel Mayette-Holtz. Après son succès l’an dernier, avec davantage de lieux d’accueil et un choix de spectacles et lectures encore plus étoffé cette année, le TNN a tout mis en œuvre en ce sens, pour amplifier la résonance du festival et sa capacité à émouvoir…» 


Bande de filles


Quel lien y a-t-il entre Le professeur d’Emilie Frèche, Bord de mer de Véronique Olmi et Le feuilleton d’Artémis de Muriel Szac ? À divers titres, ces trois ouvrages vont procurer au Festival de Tragédies de grands moments d’émotion en perspective. Autre point commun, le TNN est la matrice de leur transformation en spectacle ou lecture. Meneuse des opérations, Muriel Mayette-Holtz s’est entourée d’une bande de filles pour donner voix et chair à ces textes au féminin pluriel. Des complices de jeux avec qui elle a travaillé par le passé. Après Bérénice, elle dirige à nouveau Carole Bouquet, seule en scène pour Le professeur, un récit qui revient sur l’assassinat du professeur Samuel Paty. Sonia Petrovna, elle, figurait dans la distribution de l’opéra Guru, mis en scène par la directrice du TNN en 2024. Dans le cadre du festival, celle-ci l’a invitée pour une lecture du Feuilleton d’Artémis. Enfin, Elise Clary, qui fait partie de la troupe du TNN, lira Bord de mer.


À la verticale des étoiles, sous un vrai ciel


Lové dans la douceur des premiers soirs d’été, ses représentations données à la belle étoile, le Festival de Tragédies a tout pour plaire. Jouant une partition haut de gamme, il s’appuie sur une sélection de spectacles qui mêlent créations et productions récentes, où se croise la fine fleur du théâtre hexagonal. Loin d’une tonalité solennelle et monocorde, l’art dramatique y varie ses plaisirs, bien davantage tourné vers une créativité en eaux vives. Ainsi de Jean-François Sivadier, l’un des metteurs en scène les plus en vue de la scène française. Invité de marque, il viendra à Cimiez avec la copieuse distribution de l’un de ses derniers opus, Portrait de famille, une histoire des Atrides. Soit une fresque inspirée par les textes d’Euripide, d’Eschyle, de Sophocle et de Sénèque et « jouée », dans tous les sens du terme, par quatorze interprètes, élèves du Conservatoire national supérieur d’Art dramatique de Paris.


Directeur du théâtre de la Criée à Marseille, Robin Renucci sera là lui aussi avec la Phèdre de Racine qu’il a présentée cet hiver au public de la cité phocéenne. Phèdre qui était déjà à l’affiche du festival l’an dernier, dans une mise en scène de Muriel Mayette-Holtz. L’occasion d’apprécier combien un texte, selon qui lui donne vie pour un spectacle, peut se prêter à plus d’une variation.


Directrice du Théâtre Public de Montreuil, Pauline Bayle est faite de cette trempe, insuffle à ce qu’elle touche un air frais. Après avoir décapé Les illusions perdues de Balzac avec une fougue juvénile irrésistible lors d’un précédent spectacle, cette étoile montante des planches aura à cœur de faire palpiter sa transposition de l’Iliade d’Homère dans le décor des arènes de Cimiez.


Même lieu, autre épopée, cette fois autour d’un sujet tristement d’actualité, les migrants. Le festival s’en fera l’écho avec le spectacle Abysses. Tiré du récit éponyme de Davide Enia, sous la forme d’un monologue porté par le comédien Solal Bouloudnine, Abysses raconte une histoire sur l’île de Lampedusa, propageant une poignante onde de choc tout au long de la représentation. À la mise en scène, Alexandra Tobelaïm. Celle-ci dirige la compagnie Tandaim et intervient au sein de l’ERACM (Ecole régionale d’acteurs de Cannes et Marseille).


On a gardé le commencement pour la fin, avec ce qui s’annonce comme l’une des créations phares du festival, le spectacle Le vieil homme et la mer, d’après le roman culte d’Hemingway. Signé Muriel Mayette-Holtz, il sera donné en ouverture de la manifestation, après une toute première salve de représentations aux Franciscains pendant la Conférence des Nations Unies sur l’Océan qui se tient à Nice début juin.




Festival de Tragédie du TNN 

Arènes de Cimiez et autres sites

du 18 juin au 5 juillet



Parution magazine N°49 (juin, juillet, août)

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