Office international de l’Eau
mais « Aqua » ça sert... en France

Par Antoine Guy, 21 août 2023 à 20:41

Le Monde vu de Sophia

Précipitations destructrices, sécheresses fatales ; trop d’eau ou pas assez. La ressource en eau disponible sur le globe dépasse pourtant largement les besoins de l’humanité. Dès le 1er mai, 47 départements français se plaçaient en alerte ou vigilance « sécheresse ». Les Alpes-Maritimes se souviennent des inondations ravageuses d’octobre 2015 et de la terrible tempête Alex en 2021 dans la Vésubie. Sophia Mag a rencontré quatre experts de l’OiEau. Stéphanie Laronde, Alain Bernard, Benoit Picon et Éric Mino livrent leurs recommandations sur le défi de « l’EAU » en France.

EAU : Existentielle, Abondante, Ubiquitaire


« EAU » et « VIE », deux petits mots de trois lettres, intriqués. Le vivant contient en moyenne 70 % d’eau. Ces trois voyelles si existentielles ont fait couler des bateaux, des nations, des civilisations, et beaucoup d’encre (voire d’ancres ?). Depuis les premiers vols spatiaux, la Terre ne doit-elle pas à l’omniprésence de l’eau son surnom de « planète bleue » ? Les chimistes l’ont nommée pompeusement « monoxyde de dihydrogène », cette inoxydable molécule H2O de nos années lycée. Ils l’ont même adoubée comme référence : le 0°C se définit par la température de glaciation de l’eau, le 100°C par son ébullition, l’étalon du kg est la masse d’un litre d’eau… respect !


Réduire la consommation, favoriser la « REUSE »


Bien sûr, il est urgent d’atténuer les causes du changement climatique sur l’offre en ressource, mais pour l’OiEau, la priorité réside maintenant dans l’adaptation de la demande au nouveau contexte. Les SAGES (Schéma d’Aménagement et de Gestion de l’Eau), ces plans sur lesquels Benoit Picon travaille avec les collectivités, en collaboration avec l’Office français de la Biodiversité et l’appui du site « Gest’eau », intègrent maintenant la nécessité de travailler sur la demande : réduction de la consommation d’eau douce, décision concertée d’allocation de la ressource en cas de pénurie, amélioration des services d’assainissement pour favoriser la « Reuse (ou REUT) », la Réutilisation des Eaux usées traitées pour les espaces verts, l’agriculture et le nettoyage. Sur ce sujet, la France est très en retard pour des raisons règlementaires : 1 % contre près de 20 % pour l’Espagne par exemple. « Mais notre règlementation est enfin en train de changer, et nous allons pouvoir augmenter la Reuse », renchérit Éric Mino, en charge des projets de développement sur l’Europe, l’Asie Centrale et sur la zone sud-Méditerranée notamment avec le SEMIDE (Système euro-méditerranéen d'Information sur les savoir-faire dans le Domaine de l'Eau).


La métropole niçoise a lancé Haliotis 2 (proche de Nice Côte d’Azur), un projet de super station vertueuse, sobre énergétiquement, pour le traitement des eaux et leur réutilisation. Mise en service prévue à partir de 2025. À Mandelieu, la station de traitement Aquaviva pilotée par SUEZ va bientôt fournir de l’eau ainsi traitée pour l’arrosage, un projet initié par le maire David Lisnard il y a dix ans ! La « Reuse » présente pas mal d’avantages, mais le gros inconvénient de l’acheminement. Les zones à irriguer sont souvent éloignées des stations de traitement. À Mandelieu, le projet initial prévoyait de remonter l’eau dans la Siagne… finalement elle sera utilisée pour arroser le golf voisin, les espaces verts de la ville de Cannes et le nettoyage de la voirie.


Une nécessité : imagerie satellite, traitement des données et IA


Mieux gérer la ressource en eau consiste aussi à proposer les bons outils et les bonnes données aux décideurs en charge de cette gestion participative, concertée, « intégrée ». L’OiEau a développé depuis des années un savoir-faire pour intégrer dans le périmètre de la gouvernance l’ensemble des usages de l’amont à l’aval, pour proposer à tous les acteurs la méthodologie, la planification et la capacité à se projeter à 10/15 ans. « L’OiEau dispose d’experts en systèmes d’information, en métadonnées et référencement, et d’un partenariat avec le CNES pour exploiter des images satellite. L’imagerie satellite a beaucoup progressé en résolution et son potentiel est extraordinaire pour étudier l’hydrologie, les dénivelés, la qualité de l’eau, la progression des plantes invasives, l’utilisation des sols… », rappelle Stéphanie Laronde.


Éric Mino de son côté participe au programme « LIFE Eau & Climat », avec INRAe, ACTERRA, HYDREOS et Météo France pour décliner dans les plans de gestion locale de l’eau les données issues des modèles de prévision du changement climatique. Au travers d’un autre programme, baptisé « EXPLORE 2 », l’OiEau associé à INRAe, aide à enseigner simplement, à vulgariser auprès des acteurs locaux, les bases scientifiques pour construire des démarches d'adaptation au changement climatique de manière à garantir une gestion durable des hydrosystèmes. L’IA commence aussi à porter des fruits sur ces sujets. « Le machine learning a donné de bons résultats pour aider à la gestion de l’eau souterraine dans le bassin Adour-Garonne », plaide Alain Bernard.


Un autre levier : le prix de l’eau


Le prix de l’eau est un autre curseur pour agir sur la demande, à utiliser avec délicatesse cependant. « Dans notre inconscient collectif, l’eau de la rivière voisine est gratuite. Il suffit de la capter, c’est un bien commun. Ce qui coûte, en France notamment, sont les services d’acheminement, d’assainissement, de récupération. Les principes ‘ l’eau paye l’eau ’ et ‘ pollueur-payeur ’ mettent en face des dépenses engagées pour ces services, les recettes collectées auprès des usagers », explique Benoit Picon. Le prix actuel en France est équilibré par rapport aux dépenses. En période de sécheresse, « chaque goutte compte » et dans certaines zones, les tuyaux vieillissants fuient, occasionnant des pertes jusqu’à 50 %. Des investissements sur ce sujet et sur celui de la réutilisation sont à prévoir. Le prix, sans être un tabou en France, devra augmenter pour améliorer notre usage raisonné de la ressource.


Naturelles, gratuites et pourtant négligées : les SFN, Solutions fondées sur la Nature


La nécessité d’une meilleure gestion de l’eau a mis en lumière les dangers de l’artificialisation et du bétonnage des sols, facteurs amplificateurs des violentes inondations empêchant la rétention des eaux de surface. Ces dernières années ont marqué le retour de la prise de conscience de l’importance des « zones humides » en France et en Europe. Ces surfaces tampons préservent l’eau de surface, absorbent de gros volumes en cas d’inondation et les relâchent dans les cours d’eau en période d’étiage et de pénurie. « On a eu tendance depuis cinquante ans à les supprimer alors qu’elles abritent une très riche biodiversité et qu’elles rendent d’immenses services gratuitement et naturellement », déclare Alain Bernard. Dans la même veine, les politiques de gestion de l’eau, en mobilisant les agriculteurs, prévoient des zones d’extension de crue pour limiter les dégâts des inondations. Des PSE, « Paiements pour Services environnementaux », indemnisent alors ces propriétaires fonciers à qui on demande de ne pas cultiver des parcelles et de maintenir des haies, des sous-bois, dans l’intérêt des usagers en aval.


La forêt est aussi un lieu naturel essentiel de rétention des eaux, de lutte contre l’érosion des sols, de forte évaporation et de maintien d’humidité dans l’air. Benoit Picon ajoute : « On ne pourra pas arrêter les activités humaines, mais il faut les adapter pour qu’elles n’empêchent pas la nature de faire son travail. Aidons la nature, collaborons avec elle au lieu de lui barrer le chemin. » 


EAU : Economie, Arbitrage, Universelle


Le sujet « EAU » comprend plusieurs questions et appelle plusieurs réponses. « Apprendre à consommer moins, recycler plus, partager davantage avec l’ensemble des acteurs et être à l’écoute de la nature et des populations », suggère Stéphanie Laronde en conclusion de notre entretien. D’aucuns pourraient qualifier cette feuille de route de lapalissade. Elle n’en est pas moins frappée de bon sens. Le modèle des agences de l’eau en vigueur depuis les années soixante en France, envié dans les pays du Sud, a montré sa pertinence. Les comités de bassin, véritables « parlements de l’eau », sont des piliers. « Les fondamentaux institutionnels sont solides, reste à accélérer nos mutations face au changement climatique : repenser les usages, adapter les règlementations, abandonner l’artificialisation, favoriser les zones humides et les solutions fondées sur la nature », martèle Alain Bernard.


« Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse ». Nous en avons effectivement cassé quelques-unes, et en conséquence gâché ou perdu pas mal d’eau. À l’avenir, ne soyons donc pas collectivement des cruches ou des enfants gâtés, reprenons conscience de la vraie valeur de cet élément vital, redonnons-lui sa vraie place dans nos politiques.

Parution magazine N°42 (septembre, octobre, novembre)

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