Office international de l’Eau
mais Aqua ça sert

Par Antoine Guy, 17 mai 2023 à 15:26

Le Monde vu de Sophia

Précipitations destructrices, sécheresses fatales ; trop d’eau ou pas assez. Les évènements climatiques extrêmes se succèdent de manière préoccupante. Aujourd’hui, ils interrogent moins sur leurs causes que sur leurs conséquences. La ressource en eau disponible sur le globe dépasse pourtant largement les besoins de l’humanité. Ce n’est pas tant la disponibilité de l’eau qui fait défaut, mais son accessibilité, y compris dans l’Hexagone. Sophia Mag a rencontré quatre experts de l’OiEau. Stéphanie Laronde, Alain Bernard, Benoit Picon, et Éric Mino livrent leurs recommandations sur le défi de « l’EAU » dans le monde.

EAU : Existentielle, Abondante, Ubiquitaire


« EAU » et « VIE », deux petits mots de trois lettres, intriqués. Le vivant contient en moyenne 70 % d’eau. Ces trois voyelles si existentielles ont fait couler des bateaux, des nations, des civilisations, et beaucoup d’encre (voire d’ancres ?). Depuis les premiers vols spatiaux, la Terre ne doit-elle pas à l’omniprésence de l’eau son surnom de « planète bleue » ?


Ce tripode moléculaire, omniprésent dans notre quotidien sous les formes solide, liquide et gazeuse, a formatté l’histoire du genre humain. Les communautés primitives ont éclos le long des fleuves et des littoraux. Nos mégalopoles modernes l’attestent. Depuis Ulysse à bord de Calypso jusqu’au Vendée Globe, en passant par Christophe Colomb, le commandant Cousteau et l’hydroptère, la science n’a cessé de progresser grâce à l’eau. La sonde « JUICE » est exemplaire à ce titre. Chargée de trouver des océans sur les lunes de Jupiter, elle désigne bien l’eau comme l’objet de toutes nos attentions. D’ailleurs, n'utilisons-nous pas un « navigateur » pour surfer sur la toile ?


Quelle réserve, pour quels besoins ?


L’eau recouvre 72 % de la planète bleue soit un volume global de 1,4 milliards de km3. L’eau douce n’en représente qu’un minuscule 2,8 %, soit presque 40 millions de km3. Elle se répartit en glace (30 millions de km3), eaux souterraines (9 millions de km3), eaux de surface (lacs, fleuves, rivières – 0,3 million de km3) et atmosphère (0.015 de million km3).


Selon l’OMS, un être humain comble ses besoins quotidiens avec 150 litres d’eau. En se basant sur une population de 10 milliards d’âmes (prévision 2050), les besoins annuels des humains se monteront à 550 km3, à opposer au 280 000 km3 disponibles. Il faut ajouter à cela les besoins industriels et agricoles, environ dix fois ceux des humains, soit 5 500 km3, mais en considérant que ces m3 regagneront la réserve mondiale grâce au cycle de l’eau. Ce total reste très largement admissible au regard des 280 000 km3 disponibles.


Une ressource abondante, une répartition très inégale


L’offre disponible couvre sans difficulté en valeur absolue la demande. Le défi majeur se situe dans sa répartition. Neuf pays détiennent 60 % des ressources renouvelables d’eau douce : le Canada, la Chine, la Colombie, le Pérou, le Brésil, la Russie, les États-Unis, l’Indonésie et l’Inde. Le dossier « EAU » ne s’ouvre pas sur la question des réserves mais sur plusieurs chapitres cruciaux : captation, rétention, exploitation, répartition, acheminement, traitement, recyclage, et les gouvernances associées.


« L’eau est la principale victime du changement climatique, annonce Alain Bernard. Au Sahel, les précipitations violentes causant des inondations et des milliers de victimes sont de plus en plus fréquentes depuis cinq ans : à Ouagadougou au Burkina, à Niamey au Niger et à N’Djamena au Tchad », ajoute-t-il. Benoit Picon souligne que la raréfaction de l’eau, par l’accentuation du ruissellement et une moindre dilution, « favorise les pollutions diffuses issues de l’agriculture », l’un de ses sujets à l’OiEau.


Gouvernance, arbitrage, hydro-diplomatie et bonnes pratiques


En Afrique, la démographie augmente et la disponibilité en eau diminue en proportion. « La pression sur les milieux aquatiques est de plus en plus forte, constate Alain Bernard. En Afrique, mais en France aussi, le volume d’eau étant limité, les instances doivent pour le partager faire des choix entre plusieurs usages ». Depuis les années 60/70, l’OiEau travaille en Afrique sur les organismes de bassins transfrontaliers, des structures qui mettent autour de la table des chefs d’États, des assemblées permanentes et un conseil exécutif.


L’Organisation de Mise en Valeur du fleuve Sénégal (OMVS), créée en 1972, représente un modèle du genre. Il y a 40 ans, la gestion de l’eau est restée le seul lieu de dialogue entre la Mauritanie et le Sénégal, malgré le conflit qui les opposait. « L’eau est avant tout un bien commun, et ne s’occupe pas des frontières, remarque Stéphanie Laronde. On appelle cela l’hydro-diplomatie, qui concrètement assure la paix entre des États voisins qui partagent une ressource en eau. » Grâce à l’OMVS, le grand barrage Manantali sur la rivière Bafing, en amont du fleuve Sénégal et coulant au Mali, a vu le jour. Cet ouvrage, commencé en 1982 et entré en exploitation en 2001, géré en concertation par une société mixte (la SOGEM) entre le Mali, la Mauritanie et le Sénégal, offre hydroélectricité et irrigation aux différents pays de tout le bassin hydrographique.


A contrario, le grand barrage « Renaissance » construit en Éthiopie sur le Nil Bleu à proximité de la frontière soudanaise, a alimenté de vives tensions entre les gouvernements d’Addis-Abeba et en aval, ceux de Khartoum (Soudan) et du Caire (Égypte). De nombreuses raisons ont conduit à la mise en place de cet ouvrage sans réelle concertation. Le Nil Bleu fournit 60 % du débit du Nil et en moyenne, 90 % de l’eau consommée en Égypte provient des plateaux éthiopiens, de quoi inquiéter ses deux voisins en aval.


Compenser la rareté par une offre alternative comme le dessalement… si c’est possible


« L’OiEau prêche pour agir sur la demande, mais dans la zone sud Méditerranée, les décideurs agissent traditionnellement sur l’offre. Les ressources de surface n’étant plus mobilisables par manque de précipitations, les gestionnaires font appel aux nappes profondes d’eau souterraine qui ne sont pas renouvelables ou bien à des moyens non-conventionnels comme le dessalement et la réutilisation », explique Éric Mino. Le dessalement doit éviter deux écueils avec : une source d’énergie décarbonée sinon le process cherche à compenser une conséquence du changement climatique en augmentant sa cause ; et un rejet maîtrisé de la saumure, très nocive pour les écosystèmes. L’Espagne a beaucoup investi dans le dessalement. « Chypre et Malte sont également très avancées sur le dessalement, et l’Europe commence à financer des projets sur l’usage de ces ressources en eau non conventionnelles, notamment pour l’agriculture. Cette technique fonctionne quand il n’y a pas d’autres solutions », insiste Benoit Picon.


L’eau un marché ? Une fausse bonne idée menant à la faillite


L’eau est considérée partout comme bien commun, sauf au sein de trois zones, l’Australie, le Chili et la Californie qui ont privilégié une approche ultra-libérale en considérant les droits d’eau comme un marché qui se régulerait. Ainsi au sud-est de l’Australie, lors de la grande sécheresse du bassin Murray-Darling en 2008 (Canberra, Sydney, Melbourne), le gouvernement fédéral a dû racheter pour 10 milliards de dollars des droits d’eau pour alimenter les populations en eau potable. Le Chili des « Chicago Boys » de l’ère Pinochet s’est fourvoyé constitutionnellement dans la même impasse. Le pays a fait voter une loi pour obliger les propriétaires d’eau à l’utiliser et leur interdire la revente spéculative… un paradoxe intéressant !


Un autre levier : le prix de l’eau


Le prix de l’eau est un autre curseur pour agir sur la demande, à utiliser avec délicatesse cependant. « À l’étranger, le prix du m3 est en général beaucoup trop bas et ne couvre pas les coûts réels de la gestion de l’eau. Les populations les plus défavorisées n’ont en revanche pas vraiment les moyens de payer l’eau plus cher, et malheureusement cette tarification basse n’incite pas à l’économie… c’est un vrai sujet, un jeu d’équilibriste », note Alain Bernard. Benoit Picon et Éric Mino surenchérissent en mentionnant que dans bon nombres de pays, « c’est le téléphone portable et l’électricité avant l’eau potable ! Les gens acceptent de payer l’électricité et le téléphone, mais pas l’eau potable ». Dans ces situations, le prix de l’eau constitue vraiment un sujet politique, sensible, complexe.


EAU : Economie, Arbitrage, Universelle


L’eau devrait-elle faire l’objet d’une gouvernance mondiale ? Eu égard aux défis qu’elle nous lance, la question est légitime. Depuis toujours, patrimoine global certes, mais réalité locale différente dans chaque zone. Selon l’OiEau, la gestion par « bassin hydrographique et transfrontalier » reste le modèle le plus adapté aux réalités du terrain et des populations.


« Être heureux comme un poisson dans l’eau » nécessite des poissons et de l’eau… dans laquelle ils peuvent survivre, pour être heureux.


Parution magazine N°41

Pour aller plus loin...

Qu’en pensez-vous ?

Donnez-nous votre avis

Pour vérifier que vous êtes une intelligence humaine, merci de répondre à ce questionnement lunaire.