SWOT 3.0, un satellite pionnier pour mieux comprendre l’Eau

Par Magali Chelpi-den Hamer, 16 mai 2023 à 08:48

Planète bleue

Certains se rappellent peut-être des annonces dans la presse mi-décembre dernier : « Lancement réussi du satellite d’observation de la Terre SWOT », ce satellite qui ambitionne de cartographier les océans et les eaux de surface. Six mois plus tard, à la veille d’un été qui s’annonce encore caniculaire avec des risques de sécheresse avérée à certains endroits du département, il est intéressant de prendre de ses nouvelles pour rappeler que l’observation spatiale a toute sa place dans la recherche de solutions durables en matière de gestion de la ressource en eau sur Terre. 

Le satellite SWOT a été conçu tout près d’ici, en grande partie sur Cannes chez Thales Alenia Space, pour cartographier l’ensemble des lacs, rivières, réservoirs, océans et mers de notre planète bleue. Il est actuellement en orbite de calibration, juste en-dessous de son orbite de croisière prévue à 890 km d’altitude, et c’est le premier d’une nouvelle génération de satellites d’océanographie et d’hydrologie. Dans peu de temps, il commencera à cartographier tous les points d’eau de la Terre tous les 21 jours, avec une précision et une résolution inégalées. Ce que SWOT va permettre, c’est une photographie complète toutes les trois semaines des niveaux et des débits des eaux sur Terre, que ce soient des fleuves, des rivières, des lacs, des océans, des mers ou des zones humides. Rien que ça.


Résolument franco-américain, co-financé par la NASA et le CNES (1,2 milliard quand même…, avec également une participation des agences canadienne et britannique), SWOT s’inscrit dans la continuité des missions Jason (1-2-3) et avant elles, de la mission TOPEX/Poseidon, imaginée dès les années 1970 par un petit groupe de chercheurs qui avaient intuitivement deviné que la mesure précise et continue depuis l’espace de la topographie de surface des océans serait une clé nécessaire pour comprendre le cycle de l’eau pour mieux préserver la ressource. 



Qu’a-t-il de plus que ses prédécesseurs ? 


Depuis le lancement de l’altimètre Poseidon dans l’espace en 1992 jusqu’au lancement de Jason 3 en 2015, les satellites sont restés concentrés sur la collecte de données altimétriques des mers et des océans. SWOT est donc déjà innovant par nature car c’est le premier satellite qui ne prend pas que les océans en compte et qui s’intéresse aux eaux de surface (fleuves, lacs, rivières, et plus généralement, tout réservoir d’eau douce). En plus de l’océanographie, les données collectées par SWOT vont donc aussi alimenter les réflexions sur l’hydrologie et vont notamment permettre de calculer les gains et les pertes d’eau dans les lacs, les réservoirs et les terres humides, ainsi que les différences de débit des fleuves et des rivières. Autrement dit, SWOT va permettre de considérablement affiner la compréhension du cycle de l’eau et de manière globale, les transferts entre Terre et océans.


Au niveau technologique, c’est une révolution. Interrogé dans le cadre de la préparation de cet article, Christophe Duplay, responsable du programme satellite SWOT, indique que l’on est passé d’une bande d’observation de 2 km de large avec les satellites Jason à 120 km de large avec SWOT, ce qui représente 60 fois plus de couverture sur chaque passage et donc l’observation de phénomène. En jargon spatial, c’est ce que l’on appelle l’altimétrie à large fauchée qui n’était pas du tout la norme en 2014, à l’époque où a été pensé le satellite, mais qui au vu des résultats concluants, s’impose désormais comme une technologie incontournable. C’est l’instrument KaRIn (Ka-band Radar Interferometer) qui permet cette largeur d’observation et qui se visualise sur le satellite par le déploiement des deux grands bras équipés de deux antennes radar. Le RFU (Radio Frequency Unit) est un élément majeur de KaRIn, développé par Thales Alenia Space, qui permet la génération de formes d’ondes radar avec une grande précision de résolution. À titre de comparaison, la résolution d’une image radar transmise par SWOT permet une observation avec une précision de quelques dizaines de mètres carrés contre une précision en kilomètres carrés pour les Jason.


Au-delà de la largeur de bande observée, le satellite SWOT a également gagné en définition. Elle est a minima décuplée par rapport aux Jason. Double amélioration donc, qui permet l’observation fine des zones côtières et les deltas des grands fleuves (difficilement observables par les satellites précédents), et qui permet l’observation de phénomènes sur lesquels beaucoup de théories ont été écrites qui n’ont jamais été vérifiées jusqu’à présent, ce que va permettre le satellite. Plus de connaissance va notamment être engrangée sur les tourbillons océaniques, les ondes de marée lunaire, les courants marins, et la circulation océanique en général, et notamment l’origine de transfert de la chaleur et du carbone des couches supérieures des océans vers les grands fonds, un phénomène qui est responsable en partie du changement climatique.



L’enjeu du traitement des données


Le gigantisme des données qui vont être transmises après la période de calibration laisse rêveur. 20 To (Téraoctet) de données vont descendre du ciel tous les jours pendant 45 mois au minimum. Et avant que ces données ne descendent du ciel, on imagine le débit pléthorique entre la charge utile du satellite et la plateforme, entièrement développée et mise au point à Cannes chez Thales Alenia Space en amont de la transmission. Aucune donnée transmise n’est publique durant la phase de calibration mais déjà, les premiers relevés de niveau d’eau douce du satellite ont été comparés à des mesures faites sur terre plusieurs mois avant le lancement. Via le projet citoyen du CNES OECS (Observations des Eaux continentales par des Citoyens et des Satellites), accompagné par certaines agences de l'eau, tout curieux a pu contribuer au calibrage du satellite en relevant simplement le niveau de hauteur des étangs, lacs et rivières. Le lac de Saint-Cassien a fait partie de cet élan citoyen. À la fin de la période de calibration et lorsque les données commenceront à être transmises en continu dans le cadre de la mission, c’est un serveur unique qui centralisera les données transmises par SWOT, sous tutelle des agences spatiales américaine et française. Au vu du volume d’informations, il est fort probable que les applications soient développées ensuite par les acteurs privés à partir du serveur, de manière cadrée. Parmi les applications à venir, on peut citer celles qui seront en lien avec la compréhension du cycle de l’eau ; des applications de gestion des ressources hydriques pour faciliter la prévision d’inondations et/ou de sécheresse ; des applications en lien avec le secours en mer et le transport maritime en fournissant de meilleures informations sur les courants, ce qui permettra de gagner du temps, du carburant et donc de l’argent (jusqu’à 8 % d’économie sur des transatlantiques d’après les estimations).


Plus que quelques semaines donc avant le début effectif de la mission. Aucun souci majeur à ce jour hormis deux manœuvres urgentes d’évitement de débris spatiaux. Tout a été testé, tout a été analysé, et la précision des mesures va pour le moment au-delà des prévisions. Pour Christophe Duplay, c’est une réussite. « Il n’y avait aucune garantie. SWOT est un satellite démonstrateur. On teste une nouvelle génération d’instrument demandant à la plateforme des performances de stabilité et de précision dans la connaissance des positions orbitales qui n’ont encore jamais été demandées. Il n’y a aucune base de comparaison sur la technologie d’altimétrie à large fauchée. Toutes les agences se dirigent maintenant vers ce type de technologie. Ce satellite est le premier où l’on parvient à mettre au point un système d’instrument déployable de grande dimension (10 m d’envergure) avec une telle précision d’alignement. » Pour autant, il ne cache pas les difficultés pour tenir les délais de développement. « Entre les mesures de distanciation imposées par la COVID et le conflit en Ukraine, le planning, jusqu’au lancement, a été un véritable défi. Il n’y avait plus la possibilité de transporter le satellite par Antonov avec la guerre en Europe, cet avion cargo est habituellement utilisé dans le transport de ce type de satellite. Nous avons donc dû recourir au dernier moment à un gros porteur de l’armée américaine pour ne pas rater la fenêtre de lancement imposée par le lanceur Space X. Or c’est très complexe de transporter un satellite fragile dans un avion qui n’est au départ pas prévu pour ça. On a planché cinq mois pour trouver une solution, sans parler des démarches administratives américaines et européennes pour permettre le transport du satellite. »



Loi sur les opérations spatiales et fin (enfin !) des orbites de garage


Au-delà de la prouesse technologique et scientifique, SWOT est aussi le premier satellite qui entre dans le cadre de la loi française sur les opérations spatiales (LOS). Pensée pour aborder enfin frontalement le sujet épineux des débris spatiaux en limitant le nombre de satellites en orbite de garage, cette loi oblige à faire désormais rentrer sur terre les satellites qui sont lancés et/ou développés par la France. Adoptée en 2008, entrée en vigueur en 2010, il faut attendre dix ans de plus pour que les mesures transitoires prennent fin en décembre 2020. Lancé deux ans plus tard, SWOT est le premier satellite en orbite à être impacté par cette loi et s’est donc équipé par anticipation d’un système de propulsion spécifique qui permettra une rentrée contrôlée dans l’atmosphère en fin de mission. Les États-Unis ont suivi les Français dans cette règlementation, malgré les surcoûts que cela implique en termes de conception. SWOT pèse plus de deux tonnes, on imagine aisément les contraintes pour le désorbiter. 


La tête dans les étoiles pour mieux comprendre et protéger la Terre. Ce satellite pionnier est en train d’élargir vertigineusement le champ des connaissances sur un élément primordial à la vie, l’Eau. L’un des plus grands défis est d’arriver à vulgariser cette pléthore de données, de coordonner les acteurs qui vont s’en emparer, et surtout d’écouter ce que SWOT est en train de nous dire pour arrêter enfin de gaspiller la ressource. 

Parution magazine N°41 (juin, juillet, août)

Qu’en pensez-vous ?

Donnez-nous votre avis

Pour vérifier que vous êtes une intelligence humaine, merci de répondre à ce questionnement lunaire.