Dopé par l’IA, le numérique français consomme et pollue de plus en plus

Par La rédaction, 23 juin 2025 à 22:51

Responsabilité Sociale Exigée

Dans sa dernière enquête annuelle, l’Arcep évalue l’impact environnemental des différents acteurs du numérique en France. Boosté notamment par le développement des solutions d’IA générative, le numérique prélève toujours plus d’eau et de métaux précieux, consomme davantage d’électricité et voit ses émissions de gaz à effet de serre s’envoler.

Éducation, jeux vidéo, transport, commerce, réseaux sociaux… L’intelligence artificielle s’est durablement ancrée dans nos vies, et l’émergence de solutions d’IA générative comme ChatGPT, Gemini, ou Perplexity en 2023 en a encore accru les usages. En France, 77 % des 18-24 ans utilisent régulièrement une solution d’IA générative. Mais aussi un enfant sur trois de plus de 12 ans (Arcep, avril 2025). Face à de telles données, on peut légitimement s’interroger sur la potentielle évolution de la part du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre en France.


Depuis 2021, l’autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) établit chaque année une enquête sur l’empreinte environnementale du numérique. Intitulée « Pour un numérique soutenable », ce baromètre collecte des données auprès des acteurs du numérique, englobant notamment les opérateurs de centres de données, mais également les opérateurs télécoms et les équipementiers informatique, et rend compte de l’évolution de leur impact environnemental.


L’Arcep vient de publier sa dernière enquête en avril 2025 sur base de données 2023, une année où les solutions d’IA générative n’étaient pas autant utilisées qu’aujourd’hui.


Les émissions de gaz à effet de serre des opérateurs de centres de données progressent depuis 2021


Pour faire fonctionner les solutions d’IA générative et toutes opérations sur Internet, des centres de données sont nécessaires. Les quelque 150 centres de données répartis en métropole sont gérés par 21 opérateurs (dont le chiffre d’affaires annuel dépasse les 10 millions d’euros brut). Ces derniers représentent la moitié des opérateurs de colocation, désignant les entreprises dont l’activité principale est la mise à disposition à des tiers d’infrastructures et d’équipements hébergés dans les centres de données.


Les émissions de gaz à effet de serre de ces centres de données ont progressé de 11 % en 2023, et s’établissent ainsi à 137 milliers de tonnes d’équivalent CO2 (eCO2), soit 77 allers-retours entre Paris et New York en avion. En 2022, leurs émissions de gaz à effet de serre avaient déjà augmenté de 9 %.


Une hausse « essentiellement » due à l’augmentation de la consommation d’électricité des centres de données, affirme l’Arcep. Celle-ci s’établit à +8 % en 2023. L’électricité est utilisée pour les équipements informatiques, les systèmes de refroidissement, les groupes électrogènes et batteries…


Des milliers de litres d’eau potable prélevés pour refroidir les datacenters


En stockant et transmettant les données, les datacenters libèrent de la chaleur. Ainsi, pour les refroidir et assurer leur bon fonctionnement, les opérateurs prélèvent plusieurs milliers de litres d’eau. La quantité d’eau prélevée, « pour l’essentiel de l’eau potable », précise l’Arcep, a augmenté de 19 % en 2023 (après une première hausse de 17 % en 2022). Au total, ce sont 681 000 m3 d’eau qui ont été prélevés, alors qu’un Français consomme en moyenne 54m3 d’eau en un an.

« Malgré une légère augmentation de l’efficacité des centres de données, leur impact environnemental progresse rapidement avec le développement des usages », résume ainsi l’Arcep.


Symbole de l’accroissement des usages, huit nouveaux datacenters ont été installés en France, dont six en Île-de-France où ils sont majoritairement concentrés (depuis 2001, seulement trois nouveaux datacenters étaient implantés chaque année). « Selon RTE, cette dynamique devrait s’amplifier avec l’émergence de nouvelles technologies et notamment de l’intelligence artificielle, conjecture l’Arcep, ce qui soulève des défis majeurs en termes de disponibilité des ressources en eau et en électricité », notamment.


À date, selon les estimations de l'Arcep, les centres de données représentent 46 % de la part des émissions de gaz à effet de serre du numérique en France.


Le nombre de terminaux vendus baisse… mais leur taille augmente et le développement de l’IA pourrait inciter à les renouveler


L’autre moitié de la part des émissions du numérique est due aux terminaux, c'est-à-dire tous les équipements qui nous servent d’interface avec nos usages numériques. Les téléphones mobiles, les ordinateurs portables, les téléviseurs, les écrans d’ordinateurs, les tablettes... Pour la deuxième année consécutive, l’Arcep a mesuré l’empreinte carbone des 23 fabricants de terminaux.


En 2023, le nombre de terminaux mis en vente par les fabricants a diminué (- 13 % pour les téléphones mobiles, - 17 % pour les écrans d’ordinateurs, - 15 % pour les tablettes…). L’Arcep identifie « de nombreux facteurs » d’explication, dont « une inflation soutenue en 2023 » et « un taux d’équipement déjà élevé pour certains ». L’Arcep estime en effet qu’un foyer possède 7,8 écrans en moyenne.


Si, comme l’admet l’Arcep, cette tendance à la baisse des ventes « devrait contribuer à réduire l’empreinte environnementale des fabricants », cette réduction pourrait être « contrebalancée » par « plusieurs évolutions du marché ». Notamment l’intégration de nouvelles fonctionnalités avec le développement de l’intelligence artificielle qui « pourrait inciter au renouvellement des équipements », conjecture l’Arcep. Aussi, la taille des écrans de terminaux mis en vente a augmenté, ce qui entraîne une hausse de leur impact environnemental, tant par leur fabrication que leur usage. En 2023, 55 % des téléphones mis en vente avaient une taille supérieure à 6,5 pouces, contre 41 % en 2021. Au rayon des tablettes, 71 % de celles mises en vente en 2023 étaient de 15 à 17 pouces, contre 51 % en 2021. Un téléviseur de grande taille (> 70 pouces) consomme en moyenne six fois plus d’électricité qu’un modèle de petite taille (< 33 pouces), selon les estimations de l’Arcep.


Il convient également de s’intéresser aux types de modèles mis en vente sur le marché. En 2023, sur l’ensemble des distributeurs, 26 % des téléphones étaient des modèles reconditionnés. Un taux qui chute à 4 % chez les principaux opérateurs télécoms (Bouygues, SFR, Free, Orange).


Les réseaux mobiles se déploient... en plus énergivores que les réseaux fixes


Ces opérateurs télécoms – qui représentent 4 % des émissions de gaz à effet de serre liées au numérique en France – ont assuré le déploiement des réseaux mobiles (3G, 4G et maintenant 5G) sur le territoire, permettant ainsi d’accéder à Internet et d’utiliser de gourmandes solutions d’IA générative partout en France. Or, leur déploiement nécessite de prélever des métaux précieux : or, argent, platine, palladium. « La phase de fabrication des équipements de réseaux mobiles représente une part importante de l’épuisement des métaux et minéraux stratégiques et de l’empreinte carbone au sein du cycle de vie des réseaux », appuie l’Arcep.


En 2023, leur fabrication a nécessité 2,4 tonnes de métaux précieux. Une diminution, certes, pour la deuxième année consécutive, mais « principalement due à une réduction significative des ventes d’équipements, et non à une modification de la composition des produits », précise l’Arcep.


Il est à noter que la consommation énergétique des réseaux mobiles est dépendante de leur utilisation par les utilisateurs, contrairement aux réseaux fixes (Wi-Fi : fibre optique). La consommation énergétique annuelle par Go de données sur les réseaux mobiles est quatre fois supérieure à celle sur les réseaux fixes. En clair, surfer sur Internet via les réseaux mobiles est bien plus énergivore que via le Wi-Fi.


Avec le déploiement des solutions d’IA générative, on voit difficilement comment le numérique pourrait devenir plus propre dans les années à venir. Si le secteur représente pour l’instant 4 % des émissions de gaz à effet de serre sur des chiffres qui datent déjà en France, la courbe s’annonce exponentielle.




À noter que ce baromètre prend en compte à la fois les émissions directes générées par l’entreprise (consommation de carburant, de gaz…) et les émissions indirectes (consommation d’électricité). Toutefois, elle ne prend pas en compte les émissions indirectes issues des sources non contrôlées par l’entreprise, notamment les émissions associées à l’utilisation des biens de l’entreprise achetés.

Parution magazine N°49 (juin, juillet, août)

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