Responsable mais pas coupable
L'IA à la barre... climatique

Par Cédric Stanghellini, 26 juin 2025 à 22:51

Responsabilité Sociale Exigée

L’empreinte environnementale des intelligences artificielles est en pleine croissance et reste difficile à quantifier de par son immatérialité. Entre injonctions éthiques, codes de conduite et textes législatifs pionniers, une régulation est en train d'émerger lentement en Europe. Marina Teller, professeure de droit à Université Côte d’Azur, décrypte les textes en vigueur, leurs limites, et les leviers à activer pour encadrer juridiquement les impacts écologiques de l’IA.

Principes éthiques et premiers instruments juridiques... Un cadre en construction


Existe-t-il aujourd’hui un cadre juridique qui régule l’impact environnemental de l’IA et, de manière plus générale, que dit le droit sur la consommation énergétique des infrastructures numériques ?


Le secteur du numérique continue de bouleverser nos modes de vie, et son empreinte environnementale est en croissance continue et très rapide. Une étude commune menée par l’ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) et l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques) publiée en janvier 2025 vient opportunément évaluer l’impact environnemental du numérique en France. Néanmoins, il reste très difficile d’évaluer l’impact environnemental de l’IA et des technologies qui l’accompagnent, comme le stockage de données, le fonctionnement des moteurs de recherche, les services basés sur le cloud. Car ce qu’on appelle la « pollution numérique » est invisible. Et cette difficulté liée à l’intangibilité ne commence que maintenant à être sérieusement prise en compte par les régulateurs.


Quels sont les textes aujourd’hui en vigueur ?


Plusieurs instances internationales et décideurs politiques ont adopté des principes de gestion responsable de l’IA qui appuient l’idée d’une protection des environnements naturels et le renforcement de la durabilité environnementale, en évoquant un usage « éthique » de l’intelligence artificielle. Les Principes de l’OCDE de 2019 illustrent cette tendance, tout comme la Recommandation de l’Unesco de 2023 sur l’éthique de l’intelligence artificielle, qui constitue le premier cadre normatif mondial en la matière.


Dans l’Union européenne, le Code de conduite volontaire pour les centres de données définit depuis 2022 les meilleures pratiques pour améliorer l’efficacité énergétique. Plus récemment, le règlement européen sur l’intelligence artificielle, l’IA Act, entre progressivement en application depuis son entrée en vigueur le 1er août 2024. Il vise à encadrer le développement, la mise sur le marché et l’utilisation de systèmes d’IA pouvant poser des risques pour la santé, la sécurité ou les droits fondamentaux.


L’environnement pris en compte… de manière secondaire ?


Cet IA Act permet-il une régulation écologique de l’intelligence artificielle ?


L’IA Act est un règlement européen qui a vocation à encadrer les usages de l’intelligence artificielle au sein de l’Union. Il vise principalement à limiter les risques de certains systèmes d’IA pour la sécurité, la santé ou les droits fondamentaux. Concernant l’environnement, le texte mentionne à plusieurs reprises la nécessité de limiter l’empreinte écologique de ces technologies. Il est question, par exemple, de promouvoir des pratiques de développement plus sobres, ou d’encourager la transparence sur la consommation énergétique des modèles. Néanmoins, l’objectif du règlement sur l’IA est avant tout de mettre en place des procédures de conformité en fonction de la nature des risques induits par les systèmes d’IA. Quels sont les risques inacceptables, les risques qualifiés de « hauts risques » ceux qui sont limités et les risques minimum ? Dans ce cadre, l’environnement n’est pas appréhendé en tant que tel et n’a pas été identifié comme faisant partie d’une catégorie de risques. La réglementation européenne ne définit pas de normes de durabilité des systèmes de l’intelligence artificielle en tant que telle par exemple. Elle renvoie la responsabilité d’une telle définition à ses États membres.


Comment articuler droit européen et droit national ? Quels leviers juridiques pourraient permettre une meilleure régulation écologique de l’IA à l’avenir ?


La régulation de l’IA passe aussi par les branches classiques du droit - pénal et civil - car le droit spécial ne remplace pas les dispositions générales. Il est donc nécessaire d’articuler le règlement européen avec d’autres textes. À cet égard, on peut mentionner le cas du droit français. La loi du 15 novembre 2021 par exemple, qui vise à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France (appelée loi REEN). En rendant visibles les coûts écologiques cachés, cette loi contribue à la prise de conscience de l'empreinte environnementale croissante du numérique. Elle incite à adopter des pratiques numériques responsables, en termes d'écoconception, de gestion durable des équipements et d'efficacité énergétique.


Les leviers juridiques ne manquent donc pas et c’est là une source de complexité juridique. Le principal défi en effet est d'arriver à articuler de nombreux textes qui ont été pensés indépendamment les uns des autres et qui ont vocation à s’appliquer de manière concomitante. Il faudra alors trancher les éventuels conflits de droits. Entre droit spécial et droit général. Entre l’IA Act, le RGPD (Règlement général sur la protection des données), la directive sur le devoir de vigilance ou encore celle sur le dommage environnemental. Vaste chantier...




Zoom sur la chaire 3IA Droit économique et IA


Marina Teller est professeure de droit à Université Côte d’Azur (CNRS, GREDEG). Elle dirige la chaire 3IA Droit économique et IA qui est portée par le 3IA Côte d’Azur. La chaire ambitionne d’explorer, d’analyser et de critiquer les technologies de rupture sous l’angle juridique, notamment dans les domaines bancaire et financier. Parmi les thématiques abordées au sein de la chaire figurent la régulation des technologies émergentes, des blockchains à l’intelligence artificielle, les nouvelles technologies en matière bancaire et financière (crypto, fintech) et les technologies quantiques, dans une perspective de durabilité, de responsabilité et de souveraineté juridique.

Parution magazine N°49 (juin, juillet, août)

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