La fabrique d’Anthéa par Daniel Benoin

Par Frank Davit, 15 mars 2023 à 19:01, Antibes

Arts en scène

Le temps est passé si vite et pourtant, les faits sont là, bel et bien. En une décennie de succès, le théâtre d’Antibes est devenu un incontournable du spectacle vivant azuréen. Rencontre avec l’artisan de cette réussite, le capitaine du navire, Daniel Benoin.


Il est ici chez lui et il y fait ce qui lui chante. Entendez par là du théâtre, du divertissement, de l’opéra parfois (voir encadré). Tournez-le comme vous voudrez mais vous n’échapperez pas à cette quadrature du cercle. Daniel Benoin a tout pour plaire, à commencer par sa science des choses de la scène, et dans son fief d’Anthéa, il est un peu comme un bon génie des lieux. L’aventure Anthéa, il l’a portée à bout de bras dès le début, sur les fonts baptismaux de l’histoire de ce théâtre avec un complice de taille, Jean Leonetti, maire d’Antibes, toujours d’un indéfectible soutien.


La première pierre de l’édifice, c’était en avril 2013. Si Anthéa est leur bébé, c’est Daniel Benoin qui, depuis, n’a cessé de biberonner l’endroit au babil de tant et tant de spectacles, de mises en scène… Et l’idée un peu folle d’aller faire pousser une bouture de théâtre là, dans un secteur pas encore autant urbanisé à l’époque, cette idée-là a donné de beaux fruits, et le bébé est à présent un géant de la profession. « Anthéa, c’est comme une famille, confie Daniel Benoin. Je crois pouvoir dire qu’au fil de toutes ces années dans la place, nous avons fait nos preuves et que nous formons une équipe forte, opérationnelle et professionnelle. Cela, c’est une vraie satisfaction et j’en ai beaucoup d’autres encore. C’était un formidable défi de se lancer dans le pari de la création d’un théâtre ˮex nihiloˮ, à partir de rien. J’ai pu avoir, en amont de la construction, un droit de regard sur les volumes de la salle, sur la nature du bâtiment. J’ai eu mon mot à dire sur la constitution de l’équipe… Alors maintenant, quand je vois le résultat après ces dix années d’existence, cela dépasse tous mes espoirs ! » En tenant ces propos, Daniel Benoin ne donne en rien dans l’autosatisfecit pro domo. Anthéa a peut-être la baraka, mais surtout il casse la baraque, dans les faits ! Si l’on établit une moyenne de son taux de remplissage annuel, il avoisine les 90 %.


La crise de la Covid qui est venue affecter trop de lieux culturels n’a pas laissé qu’un bon souvenir par ici mais la maison a tenu bon face à la tempête. Elle y a trouvé matière à consolider ses bases, quitte à déployer autrement sa voilure. « D’une certaine façon, la pandémie nous a aidés à évoluer, on s’est remis en cause, acquiesce Daniel Benoin. Pendant la traversée de la période, il nous a fallu être imaginatifs, trouver des palliatifs pour rester dans la course. Avant, nous avions atteint une jauge d’abonnements de l’ordre de 13 000 fidèles. Dans l’œil du cyclone, elle est tombée à 10 000 mais on a limité la casse en proposant des captations de spectacle en direct gratuites pour nos abonnés, et on a poursuivi à la réouverture. Grâce à quoi nous avons moins souffert que d’autres salles. Cette saison, nous sommes quasiment revenus à la normale en termes de spectateurs… »


Tête de peloton


Mélanger les genres. Panacher les attentes et les attraits du public, suscités par différents répertoires du spectacle vivant. La formule d’Anthéa pour remplir les salles est toujours d’actualité. « Fidéliser les gens grâce aux abonnements reste l’un de mes fondamentaux, revendique Daniel Benoin. Au-delà d’une arithmétique de chiffres, cela permet surtout de poursuivre avec le public un travail pédagogique, d’inviter nos spectateurs à découvrir d’autres formes d’arts scéniques grâce à notre découpage de la saison en plusieurs enveloppes de spectacles... J’y vois là un axe important de ma démarche de directeur. J’aime aussi être là dans la salle, avec le public, pendant les représentations. Ça me donne une proximité et une écoute avec le public, on peut échanger… » Les dividendes de cette politique où l’exercice comptable et l’humain font bon ménage ont permis à Anthéa de caracoler désormais en tête du peloton des théâtres les plus fréquentés en France, juste après la Comédie-Française ! Et sa programmation fait le reste. Des arts circassiens à la danse. De la jeune création locale à des accueils de grandes compagnies dramatiques. Des grands succès des planches parisiennes à des productions aux audaces décoiffantes ou déconcertantes (selon les goûts)…


C’est un feu d’artifice qui embrase chaque saison l’affiche d’Anthéa. « Nous sommes 25 permanents pour faire tourner la boîte, fignoler son capital séduction avec des spectacles forts, qui donnent envie, et la passion est toujours là !, témoigne le maître d’œuvre de cette entreprise qui ne connaît pas la crise. Et pour ce qui relève de mon cas personnel, je pense parfois à ma succession mais ça arrivera quand ça arrivera. L’énergie de créer est toujours en moi et ma sensibilité continue à s’exercer. J’ai même retrouvé l’envie de jouer sur scène, on vient de me voir cette saison dans deux productions Anthéa, Devos et Inconnu à cette adresse… » Ni blasé ni lassé. Aiguillonné comme au premier jour par le monde et l’époque, par son métier, par les autres… À Anthéa, Daniel Benoin va au charbon, ardent, ça va de soi !


Tous les moulins de nos cœurs


Et voilà donc Anthéa qui fait tourner ses turbines de plus belle, cette saison, et fait éclore les dix printemps de son jeune âge, avec force rameaux, bourgeons et fleurs. Comme d’habitude dans les pratiques du lieu, pas d’emphase et encore moins de solennité pour fêter ça, juste de l’entrain et du spectacle. A commencer par un concert surprise de Lambert Wilson qui vient chanter la sérénade à Anthéa en mode crooner, spécialement pour l'occasion. Le comédien possède une voix de baryton dont il joue volontiers sur scène dans des productions lyriques et il professe un fol amour de la comédie musicale. Lui-même a poussé la chansonnette pour le réalisateur Alain Resnais dans son film « On connaît la chanson ». Il s’est aussi frotté au répertoire d’Yves Montand le temps d’un album de reprises. Fort de ce pedigree vocal éloquent, le concert de Lambert Wilson s'annonce comme le spectacle-cadeau du dixième anniversaire d’Anthéa (à l’heure où ces lignes sont écrites, les dates du concert ont été arrêtées au 4 et/ou 5 avril).


Mais les réjouissances ne s’arrêtent pas là. Tout au long du printemps, Anthéa va voguer dans un parfum de croisière en fête. Avec tous les spectacles de sa programmation en cours, la scène antiboise est déjà en soi un foyer d’effervescence et d’allégresse ! Rien que pour la saison actuelle, elle draine dans son sillage 78 spectacles pour 240 représentations. Comme une ruche qui ne s’arrête jamais, elle fait son miel de toutes formes d’activités théâtrales. « Même quand ça ne joue pas devant le public, confie un membre de l'équipe, ça répète, des compagnies travaillent sur nos plateaux. C'est une maison de création à part entière... »


Toujours sur le pont, toujours du grain à moudre, Anthéa a également prévu pour ses dix ans d’être une maison qui s’amuse. Qui pianote sur une gamme d’instants surprise au gré d’échappées musicales et de mini-sets de DJ, de projections vidéos signées par le Collectif 8 (une compagnie en résidence artistique à Anthéa). Qui publie en avril un livre aux éditions de l’Avant-Scène avec un entretien de Daniel Benoin pour raconter la fabuleuse odyssée des dix ans du lieu. Enfin le 10 juin prochain, dans la mouvance de ses soirées Immersion mêlant arts numériques, rythmes électro et spectacle vivant, Anthéa sera une maison qui vibre. Mais ça, on le sait, depuis dix ans !



Pour aller plus loin, un drôle de coco à l’Opéra...


Shakespeare, Verdi, Falstaff et lui… Pour sa nouvelle coproduction avec l’Opéra de Nice, Daniel Benoin couve tous ses œufs dans le même panier et en fait une fricassée de bonhommes vivifiante dans un spectacle savoureux. Il y a en effet la pièce de Shakespeare bien sûr, et puis il y a cette belle adaptation qu’en a faite Orson Welles et qu’il joue avec Jeanne Moreau dans un film de 1965. Il y a l’ouvrage de Verdi. Paillard, braillard, le personnage de Falstaff tire son image de ses reflets croisés. Afin de mettre en scène cet opus du maître italien, sa nouvelle incursion dans le répertoire verdien après Nabucco et Macbeth, Daniel Benoin, lui, est allé chercher ailleurs la vérité du vieux macho au centre de l’intrigue.


Comme il aime à le faire, même s’il s’en défend, il a mis son grain de sel dans la marmite du spectacle où mijote « son » Falstaff. Il a donc transposé les affres de ce dernier dans le monde d’aujourd’hui, et la suite, c’est Daniel Benoin qui explique : « Habituellement, je n'aime pas trop transposer l'histoire d'un opéra dans notre présent, mais ma vision du personnage m'a amené à le faire. J'ai imaginé un Falstaff en vieux rocker des années 80, il vit dans un squat et des fenêtres de sa banlieue, il aperçoit les lueurs de la ville. L'histoire se déroule pendant un carnaval. J'ai déjà en tête des images de ma mise en scène. Le cinéma m'influence beaucoup et pour Falstaff, toute la séquence centrale du bal érotique dans le film Eyes Wide Shut de Kubrick a été source d'inspiration. »


Parution magazine N°40 (mars, avril, mai)

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