Sacha Sosno change l’air en art

Par Frank Davit, 15 mai 2023 à 12:46

Arts en scène

Depuis le printemps, une exposition déploie sur le site à ciel ouvert du centre Polygone l’œuvre monumentale de celui qui fut l’une des figures de l’École de Nice. Elle offre au regard des échappées belles vers d’autres champs de vision du réel…

Il y a certes le bien connu poinçonneur des lilas (cher à Serge Gainsbourg) mais d’autres ont également su donner au geste de perforer, trouer, évider, une vraie dimension esthétique. Le sculpteur et plasticien Sacha Sosno est de ceux-là. Comme dans une calligraphie du plein, du vide et du délié, ses créations n’ont cessé de perforer, trouer, évider formes et matières pour inventer d’autres façons de s’offrir à la vue, d’occuper l’espace et de le découper de leur tranchant visuel. L’artiste en a même fait sa marque de fabrique, lui a donné un nom et il l’a érigé en totem de son art sous ce terme : « l’oblitération ». Aussi affûtée que des rouages d'une horlogerie suisse pour indiquer non pas l'heure mais l'angle, l’oblitération est en quelque sorte une mathématique du visible, à la fois concrète et "cosa mentale". Elle repose sur un principe d’amputation qui ajoute à la sculpture en entaillant sa masse. Il y est question de proportions, de rythme des volumes et de leur inscription dans un champ visuel. Une autre perception optique peut alors séquencer le chaos du réel, à la faveur d’un double jeu pour faire surgir une image. De l’obturateur au révélateur : l’oblitération ainsi pratiquée tient du protocole photographique et il convient d’ailleurs de se rappeler que Sosno fut d’abord photographe reporter avant d’embrasser une carrière d’artiste.


Réalité segmentée


On retrouve toute la portée conceptuelle du procédé dans l’exposition actuellement visible du côté de Cagnes-sur-Mer. Après avoir fait l'objet d'une précédente (et brillante) exposition au musée d'Archéologie de Nice en 2021, l'héritage artistique du sculpteur, disparu en 2013, se donne ici à voir, en beauté et en plein air par les allées du centre Polygone. Ce n’est pas un hasard si, dix ans après sa mort, on peut cartographier le souvenir de Sosno à cet endroit. Il a signé sur place Le Guetteur, l’une de ses sculptures monumentales qui portent haut et fort sa manière d’envisager son métier, en très grand, comme un gros plan qui crèverait l’écran de nos perceptions ordinaires pour une représentation à l’échelle d’une autre dimension, d’une autre vision des choses. Comme son nom l’indique, le Guetteur (22 mètres de haut) est posté à l’entrée du centre commercial, dans un alliage de verre et d’aluminium. Figure de proue du site, il est, de fait, la pièce maîtresse, permanente, de l’exposition actuelle et semble une invitation majuscule à voyager dans l’œuvre de Sosno. Quatorze sculptures de l’artiste accompagnent ce voyage, le temps de l’exposition. En aluminium, bronze, marbre, résine…, elles sont venues prendre la pose pour s’offrir en spectacle aux yeux des promeneurs curieux et faire écho aux mots de Sosno : « Les statues ont besoin d'air, de descendre dans la rue et de faire le trottoir ». Dont acte !



Mascha et Sacha


Désormais Mascha Sosno, qui fut l’épouse du créateur, veille sur l’œuvre et la mémoire de son cher défunt. Dix ans après la pose de la première pierre de la construction du Guetteur, qui a coïncidé avec la disparition de Sosno, Mascha a voulu marquer symboliquement ce double anniversaire avec l’exposition présentée à Polygone, assistée du sculpteur Herné Nys, qui a longtemps été le collaborateur de Sosno.


Sacha vu par Mascha en 3 questions. En quoi l'œuvre de Sosno garde une résonance aujourd'hui ?


D'une part par son concept architectural de « sculptures habitées ». Parmi elles, citons la Tête Carrée, (Bibliothèque régionale à Nice) et le Guetteur, signal du Polygone Riviera, à Cagnes-sur-Mer. D'autre part, par son concept de « l’oblitération », qui correspond à “cacher pour mieux voir“. Ce concept est infini. L'oblitération a à faire avec la rature, l'effacement, la censure, l'oubli…


Qu'est ce qui donne son axe à l'exposition du centre Polygone ?


C’est d’abord l’existence du Guetteur, qui est très présent. Sans lui nous n’aurions jamais pensé à cette exposition, et aussi les liens que nous avions entre nous : Hervé Nys a été l’assistant et le collaborateur de Sacha Sosno pendant dix ans. Ensuite, il y a eu les dix années de fusion avec Hervé et Christine Nys pour l’élaboration d’une quinzaine d’expositions post mortem. Nous voulions être encore plus fusionnels et complices !


Quelle est votre pièce coup de cœur dans l'exposition ?


Mon coup de cœur, c’est l’araignée « Mygator » mais j’adore aussi la pomme « Astic big » d’Hervé Nys et bien entendu « Les Hommes qui marchent » de Sacha Sosno. Donc trois coups de cœur !!



Pilote et copilote


Sculpteur à part entière, Hervé Nys partage l’affiche en duo avec l’artiste à l’occasion de cette exposition. Par-delà la disparition de Sosno, les deux hommes sont ainsi réunis par les forces de la création et par leur envie partagée de générer une forme d’art dans l’espace public, loin du piédestal des musées. Composées à partir d'objets et de pièces automobiles transformés et détournés, les œuvres d’Hervé Nys sont carrossées comme des jouets géants, en toute allégresse et joie d’enfant !


Parution magazine N°41 (juin, juillet, août)

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