Scène 55, repaire de « puppets »

Par Frank Davit, 10 mars 2023 à 19:54, Mougins

Arts en scène

Depuis son ouverture en 2017, comme un ballet d’hirondelles dans le ciel des beaux jours revenus, la salle mouginoise offre chaque printemps au public un lâcher de créations sur les ailes d’un festival dédié aux spectacles de marionnettes. Envolez-vous !

Pour différentes raisons, Mougins a deux amours dans ses composantes culturelles, la danse et la marionnette. Celles-ci ont l’une et l’autre fait leur nid dans la programmation de Scène 55. Pour les besoins de cet article, nous avons choisi de zoomer sur la « puppet connexion » du lieu.


Et pour commencer, qu’on se le dise une bonne fois, l’art de la marionnette n’est pas qu’une pure déflagration de joie enfantine. C’est un métier de création à part entière qui s’adresse volontiers au jeune public, mais pas que. Il sait également se donner les coudées franches pour séduire une audience adulte et lui tendre un miroir à l’image de ses rêves et ses travers. Dans les deux cas, la marionnette vise l’humain, en plein cœur, et souvent, elle vise juste, fort et beau. Scène 55 ne s’y est pas trompée, qui a fait de cette écriture théâtrale l’un des temps « fous »de sa programmation (dans le sens qu’elle en raffole). Cela a tout naturellement engendré un festival, le « Printemps de la marionnette et des formes animées », qui fête cette année sa sixième édition.


Directeur de l’établissement, René Corbier ne veut surtout pas s’en attribuer la paternité, mais quand on le rencontre pour évoquer avec lui la manifestation, la passion est là, d’emblée ! « Je pense pouvoir dire que j’ai été le premier à initier sur la Côte d’Azur un festival de la marionnette, au début des années 80, raconte ainsi notre interlocuteur. De par mes trente années à la tête des affaires culturelles de Cannes, j’ai eu l’opportunité de développer et de porter sur les fonts baptismaux plusieurs initiatives. Parmi celles-ci, il y avait la Biennale de la Danse et la Biennale de la Marionnette. Des années plus tard, Mougins a repris le flambeau côté marionnette et Scène 55 a intégré la donne dans son ADN en quelque sorte… » Au-delà de cette généalogie, il n’en demeure pas moins que René Corbier reste un fervent adepte et un fin connaisseur des théâtres de marionnettes, et son souhait le plus vif est d’en partager le goût avec le public. Pour déployer tout le prisme de leur séduction et en présenter une sélection attractive dans « son » théâtre, il connaît les filières et sait comment remonter les pistes au trésor qui conduisent à la découverte de pépites. « J’ai mes antennes, sourit l’intéressé, et puis aussi mes poissons pilotes, mes indics, qui ne manquent jamais de me signaler un spectacle qui vaut le coup d’œil. Le festival de marionnettes de Charleville-Mézières est également un formidable vivier de création. Il s’agit du plus important événement du genre. On y voit des surprises. On y déniche des merveilles. C’est là que je fais aussi mon marché… » Résultat : « le Printemps de la marionnette » de la Scène 55 vole en classe « dessus du panier, avec les moyens du bord… », sourit René Corbier. Surtout, il fait la part belle à toutes sortes de modulations de cette théâtralité, car il y a plus d’une pratique attachée à la marionnette. Á fil, à gaine, à tiges, à tringles, sans parler de ses déclinaisons venues de l’étranger comme le bunraku du Japon (théâtre de poupées), ou le karagöz turc (théâtre d’ombres), c’est à la célébration d’un sens du merveilleux sans frontières qu’invite le rendez-vous mouginois.


Hybridation polymorphe


Il en va ainsi pour la nouvelle édition du festival, dont le mot d’ordre est de montrer une science de la marionnette dans tous ses états, dans toute sa superbe. « Pour moi, analyse René Corbier, la créativité de cet art tient à son positionnement, au carrefour du texte, de la musique, du jeu d'acteur, de la scénographie et de la dramaturgie. Il y a aussi un mélange de tradition et de modernité, tout un croisement d’esthétiques venues du spectacle vivant qui permettent une heureuse foisonnante multiplicité du langage marionnettique… » Et la beauté des spectacles qui jaillissent de cette hybridation polymorphe en atteste. Elle agit autant sur un plan visuel qu’émotionnel. Le festival y a trouvé sa ligne éditoriale en quelque sorte, égrenant ses coups de cœur, suivant de près le travail de certaines compagnies avec lesquelles un lien s’est établi, se laissant volontiers « étonner » par d’autres… « Nous avons nos fidèles, nos compagnons de route, invités récurrents du festival, poursuit René Corbier. La compagnie Anima Théâtre en fait partie. Elle est installée dans la région, plusieurs de ses membres sont d’origine grecque. Elle revient cette année avec Rebetiko, un spectacle plastiquement magnifique vibrant de sensibilité, pour raconter au son du rebetiko, cette musique populaire grecque, des destins de réfugiés et de demandeurs d’asile. »


Pour la part d’inconnu, Scène 55 est allée s’aventurer du côté de troupes qui ont déjà fait leurs preuves et sont reconnues au plus haut niveau. En ouverture du festival, ce sera la compagnie de l’Arc électrique avec « La tempête » de Shakespeare et l’ensemble du Théâtre de marionnettes de Magdebourg avec « Re-Member ». Des divertimentos pour les petits (et les grands) sont également prévus au menu, tels « En traits mêlés » par le Théâtre désaccordé, « Les Petites géométries » par la compagnie Juscomama ou « Jeu » par la compagnie Á Kan la dériv’. Quant au clou du spectacle de cette programmation, il y a fort à parier qu’il faudra tourner ses regards vers les Anges au plafond, l’une des compagnies hexagonales les plus inspirées de la profession, pour ne pas en croire ses yeux et s’éblouir devant son nouvel opus, « Le nécessaire déséquilibre des choses ». « Les fragments d’un discours amoureux », le livre culte de Roland Barthes, sont le cœur battant du propos de cette création en état de grâce.



Le Printemps de la marionnette et des formes animées de Scène 55,

du 28 mars au 14 avril




Pour aller plus loin sur la 'fil-harmonie'


Elle est l’une des maisons reines dans l’art de tisser les enchantements de ces êtres de fils et féérie. Presque deux fois centenaire, la compagnie de marionnettes milanaise Carlo Colla & Figli est l’invitée de l’Opéra de Monte-Carlo pour une unique représentation d’un spectacle promis à un grand retentissement, l’Orfeo de Monteverdi. Les créations haut de gamme de cette troupe à forte valeur patrimoniale semblent sortir tout droit de la manufacture d’un rêve brodé de sortilèges soyeux. Chanté en direct par des interprètes au diapason de cette production d’exception, accompagné par l’ensemble orchestral monégasque « Les Musiciens du Prince » dirigé ici par le chef Gianluca Capuano, cet Orfeo sera mis en scène par Franco Citterio et Giovanni Schiavolin. Maîtres d’œuvre du spectacle, purs magiciens dissimulés dans l’ombre aux côtés des autres marionnettistes de leur équipe, ils donneront âme et vie aux personnages d’opéra grâce à la conjonction de tous ces talents.


Orfeo, Opéra-marionnettes à l’Opéra de Monte Carlo,

lundi 17 avril

Parution magazine N°40 (mars, avril, mai)

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