Vous avez dit « déchets »… Et si nous parlions « minerai »

Par Jacques Jacquet-Stemmelen, 1 septembre 2022 à 22:03

De Tech à tech


Centré sur le développement des différentes formes de ré-emplois des déchets, le forum WASTEDAY SOPHIPOLITAIN invitait à un changement de paradigme, les déchets devenant non un problème mais une ressource, objet de transformation et de création de valeur. A n’en pas douter, cette problématique répondait aux sensibilités de l’écosystème azuréen étendu au département du Var, à Monaco et à Marseille. Cette journée marquait l’entrée en force de l’innovation avec la présence de nombreuses startups soutenues par les incubateurs de la région Sud et plus particulièrement du 06. Enseignements et réflexions.

Le Village By CA accueillait le 17 mai 2022 la première édition du forum consacré à WASTEDAY SOPHIPOLITAIN. Problématique centrale : les déchets et leurs ré-emplois.

L’initiative de Marie Nghien, nouvelle directrice et d’Aurélien Lallemant, responsable de la communication, était récompensée par une participation au-delà de toutes les prévisions : 200 participants, 130 entités inscrites, 400 demandes de rendez-vous d’affaires ; 3 tables-rondes. Etaient présents : entreprises privées et publiques spécialisées dans le retraitement des déchets, un nombre important de startups porteuses d’applications diverses (collecte des déchets et, plus rares, des procédés de retraitement), des laboratoires d’étude d’impact des déchets et des collectivités locales.


Quels enseignements peut-on dégager de cette journée ?


« Qu’en privilégiant la problématique du ré-emploi, le déchet devient une matière noble devant être considérée comme un nouveau minerai dont les gisements sont des « mines urbaines » dans un concept parallèle aux mines naturelles et minerais classiques. »


Que les modalités de collecte et de tri reposent encore sur des modèles manquant de maturité. Ces dernières réclament, pour certains déchets, de la R&D visant l’amélioration de la traçabilité, de la sélectivité en fonction des spécifications des gisements. Par exemple, la collecte des déchets drainés par les eaux pluviales, ou les rivières suppose des moyens techniques (filets flottants ) spécifiques et différents des moyens de collecte des déchets organiques alimentaires.


Ensuite, que des programmes de recherche appliquée combinés à des plans d’expérimentation et soutenus par des financements dédiés (i.e. fonds d’amorçage) sont nécessaires, avec le soutien renforcé des grandes entreprises industrielles du retraitement des déchets doublés des concours des collectivités locales. Un rapprochement avec les startups du secteur accélèrerait la mise en marché des innovations les plus prometteuses.


La perception des déchets évolue de « centre de coûts » à « richesse d’un nouveau minerai »


En premier lieu, pour les collectivités locales, les déchets sont perçus comme un centre de coûts dans un environnement instable. Pour Marie-Agnès Portero, Directrice du Pôle environnement de l’agglomération Cannes-Lérins, la gestion des 140 000 tonnes de déchets de ce bassin de 150 000 habitants représente 30% du budget global. Un coût pour les contribuables mais également supporté par les entreprises, ces dernières choisissant naturellement la logique « un déchet transformé en valeur ».


Reste l’instabilité de l’environnement du traitement des déchets : changements des comportements sociétaux, du durcissement de la réglementation et évolutions des produits. Les filières de retraitement d’aujourd’hui devant pouvoir s’adapter aux évolutions réglementaires et aux produits de demain.


Chacun s’accorde à reconnaître le potentiel de croissance et de valeur sans manquer pas de constater le gap entre effort d’innovation et efficience prouvée de ses applications.

Compléter ces enseignements par les considérations suivantes : « Le ré-emploi de ce nouveau minerai suppose une industrie nécessairement capitalistique du fait des volumes à traiter et d’un puissant effort de R&D. »


Un niveau suffisant de concentration est nécessaire pour assurer la compétitivité des procédés de retraitement compte tenu du coût des déchets (collecte, tri, etc.), du coût des procédés et des prix cibles de revente des matériaux retraités. Pour illustration, la société PAPREC, parmi les leaders du retraitement des déchets, déclare investir 10 millions d’euros par an pour développer ses procédés de tri et de retraitement.


Etat de l’art sur la question


Les déchets organiques

Leur retraitement par méthanisation constitue une alternative (biocarburants) aux hydrocarbures « fossiles » et s’affirme comme une réponse aux procédés d’amendement des sols (production de compost). De plus, ces biocarburants accompagnent l’évolution des motorisations notamment dans le secteur de l’aviation, civile et militaire. Mieux que l’industrie automobile, les avionneurs et motoristes s’apprêtent à mettre en service des motorisations à faible emprunte carbone et gains d’efficacité énergétique sans précédent . Objectif : réduire de 50 à 90 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport au kérosène actuel. L'américain General Electric et le français Safran, à travers leur filiale CFM International, ont annoncé mi-juin 2021 le lancement d’un nouveau programme de moteurs d'avions moyen-courriers avec un déploiement prévu d'ici 2035. Baptisé "RISE" (Revolutionay Innovation for Sustainable Engines), ce moteur de conception disruptive, dont le rotor ne sera plus caréné ("open fan"), avec les hélices "à ciel ouvert" pour plus d’efficacité, sera compatible avec les énergies alternatives. La réduction d’émission de CO2 pourrait atteindre 60 % avec le recours à des biocarburants décarbonés à 50 %, voire atteindre 100% avec l’hydrogène. Reste que l’industrialisation de la méthanisation nécessite des efforts d’optimisation et des investissements lui faisant défaut.


La matière plastique

Les nano-particules plastiques demeurent un problème particulièrement impactant sur la qualité de l’eau, l’eau entrant dans une zone de tension en quantité et qualité. Outre la performance du retraitement des bouteilles plastiques, jusqu'à 4,5 millions de tonnes de déchets plastiques sont jetés par an, en France. Le taux de valorisation reste encore trop faible . La majeure partie des déchets plastiques sont mis en décharge (1,4 millions) ou redirigés vers la valorisation énergétique (1,1 millions). Notons que le plastique recyclé possède un pouvoir calorifique équivalent à celui du charbon d’où la part prédominante de recyclage comme combustible. Ainsi, le recyclage du plastique reste très partiel : il est réalisé à 26,5 %, dont 58 % pour les bouteilles et flacons, et seulement 4 % pour les autres emballages plastiques. Pour comparaison,100% de l’acier est recyclé, 86% du verre. Principal obstacle, les adjuvants dont l’extraction est particulièrement difficile. Les formulations des matière plastiques protégées par la propriété industrielle conduit les fabricants à ne pas devoir déclarer leur composition. Résultats : alourdissement des procédés d’extraction et de leurs coûts pour un matériaux à prix initial de marché particulièrement bas.


Les déchets ménagers

Ils représentent en France 9 millions de tonnes incinérées par an générant 3 millions de tonnes de mâchefers ). Pour 1 Tonne de déchets comme combustibles on génère, outre de l’énergie sous forme de vapeur d’eau, 300 kg de MIOM qui contient des matériaux stratégiques dont du Ca, Si, Fe, Al, Na, Mg, P, S, Cl, F pour une part majeure, et, du Pb, Cd, Zn, Cu, Hg, As.


Selon le professeur Jacques Livage, ces matériaux sont frappés d’un risque de pénurie : sur les 118 éléments du tableau périodique de Mendeleïev, 42 (36 %) sont en tension dont une majorité nécessaire aux industries de l’électronique, des matériaux composites et alliages spéciaux. Ainsi, malgré cela, le MIOM n’est pas valorisé et sert principalement de complément de charge aux infrastructures routières, voire destiné à l’enfouissement.

Ces considérations appellent une nouvelle politique industrielle de valorisation de ce nouveau minerai urbain avec le soutien du développement des recherches en Chimie (i.e. science des sol-gels permettant de valoriser le MIOM). Elle répondrait à la rareté des matières premières et au risque de rupture d’approvisionnement pour nombres de matériaux stratégiques.


L’enjeu de souveraineté rejoint ainsi la combinaison des enjeux de décarbonation, de gestion des ressources hydrologiques, d’économie d’énergie et d’une nouvelle posture globale de frugalité quant aux modèles de développement des sociétés et de réponse au défi climatique.


Parution magazine N°38 (septembre, octobre, novembre)

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