Vers une chimie de confiance
grâce aux vertus des technologies IA

Par Jacques Jacquet-Stemmelen, 30 novembre 2023 à 21:49

De Tech à tech

En faisant paraître le 17 octobre 2023 son agenda de travail, la Commission européenne mettait au grand jour le report de la révision de son règlement REACH sur l’autorisation des substances chimiques. Ce délai ne compromet pourtant pas l’évolution inéluctable de l’industrie vers une chimie aux risques maîtrisés, protectrice des personnes et de l’environnement.

La révision du règlement REACH a été engagée en 2021 et devait initialement être tranchée fin 2023. Un tel planning conduisait inéluctablement à un conflit d’agendas entre réforme, campagne électorale et élections européennes début 2024.


Depuis avril 2023, un plan de restrictions planifié pèse déjà sur les produits les plus dangereux. L’approche reste toutefois discutable[1], la dangerosité est définie par familles de produits et l’élément chimique le plus nocif sert de palier pour déterminer les restrictions légales pour toute la famille. Sont concernées en premier lieu les substances comme les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS), ce qui correspond à environ 4 000 composés chimiques.


Les protestations suscitées par le report de la révision du règlement REACH ne doivent pas faire oublier qu’une autre réforme en cours, la règlementation « Classification, Labelling, Packaging » (CLP), concerne le devenir de 100 000 substances chimiques actuellement sur le marché. Parmi elles, 4 700 substances ont une utilisation supérieure à 100 tonnes par an et 22 600 ont une utilisation supérieure à 1 tonne. Or, sur cet ensemble de substances, seulement 10 500 environ sont qualifiées de « très largement » ou « relativement bien » décrites en termes de danger et d’exposition, 20 000 substances sont peu décrites et 70 000 sont qualifiées de « très mal » décrites[2].


Le Conseil européen des Fédérations de l’Industrie chimique (CEFIC) n’a pas manqué d’alerter sur les conséquences non maîtrisées d’une telle logique dans la mesure où les interdictions par familles de produits pour 10 000 substances pourraient déstructurer d’innombrables chaînes de valeur dans des secteurs stratégiques (électronique, énergie, bâtiment, agriculture, pharmaceutique et automobile).


C’est dire si une telle réforme n’aurait de toute façon pas pu être mise en œuvre avant le printemps 2024 sous l’autorité de l’actuelle Commission européenne appelée à être renouvelée au printemps 2024.

 


L’irréversibilité de l’horizon d’une chimie de confiance, protectrice des personnes et de l’environnement


L’aspiration à cette chimie nouvelle est irréversible. L’éducation des consommateurs disposant de systèmes d’information, les attentes sociétales en matière sanitaire, de préservation du vivant et de l’environnement et du climat forcent le pas. Parallèlement, cette aspiration bénéficie des progrès de la science (chimie, pharmacie, médicale, etc.) et la capacité de l’IA de corréler à grande échelle des bases de données relevant du domaine médical, de la santé, de l’environnement et celles relevant des caractéristiques chimiques et biochimiques des molécules.


Report ou pas, les autorités françaises ont mis en œuvre un plan de lutte contre les PFAS, édicté en janvier 2023 par le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.


Ce plan propose six axes d’action :


• disposer de normes pour guider l’action publique,


• porter au niveau européen une interdiction large pour supprimer les risques liés à l’utilisation ou la mise sur le marché des PFAS,


• améliorer la connaissance des rejets, ainsi que l’imprégnation des milieux pour réduire l’exposition des populations,


• réduire les émissions des industriels de façon significative,


• assurer une transparence complète sur les informations disponibles,


• intégrer les actions sur les PFAS dans le plan micropolluants.



L’IA, un outil de renouveau de la chimie et de restauration de la confiance dans son industrie


L’année 2023 demeurera l’année de l’émergence d’une IA spécifiquement dédiée à la chimie en tant que science et industrie.


Ces cinq dernières années ont été le théâtre d’une transformation irréversible impactant les pratiques industrielles (R&D, génie des procédés chimiques, industrialisation). L’offre de solutions logicielles IA s’étoffe en termes de traitement généraliste de données, de recherche documentaire spécifique sur la chimie, et plus encore, de projets logiciels appuyés sur des base de données qui offrent à tout industriel la possibilité d’explorer la propriété des molécules, leur toxicité, et la possibilité à terme de générer des molécules inédites sur la base d’un cahier des charges avec l’aide de l’IA générative et par IA d’apprentissage renforcé.


 

Entrée en force des grands industriels de la chimie éclairée par une avant-garde de startups


Les grands industriels de la chimie s’investissent de plus en plus dans l’IA. Aux premiers rangs BASF, Solvay, DSM, mais également les industriels des parfums et cosmétiques comme les sociétés Mane, Robertet, Givaudan, L’Oréal et bien d’autres, tout récemment l’équipementier De Dietrich Process Systems[3]. Tous ces industriels multiplient les initiatives pour apprivoiser et s’emparer des technologies de l’IA, convaincus désormais que la chimie du 21e siècle ne se fera pas sans IA.[4] Cette tendance de fond dispose d’une avant-garde de startups qui depuis les années 2016-2018 défrichent avec talent les différents champs d’application d’une IA/chimie.


Cette période récente est marquée par deux grandes avancées. En premier lieu, la formation de bases de données avec notamment l’avènement de technologies matures d’encodage des molécules et des processus de collecte de données scientifiques dotant ces bases de données des ressources scientifiques qui rendent possibles les explorations profondes. En second lieu, la mise en œuvre des technologies éprouvées d’IA en machine learning, deep learning et deep reinforcement learning (Deep RL) et plus récemment l’IA générative. Reste la condition de réussite à savoir l’assemblage de ces technologies IA en stratégies cognitives exploratrices qui, selon les types d’assemblage, déterminent les résultats. À titre d’exemple, c’est grâce au développement de sa base de données ALChemAI et de sa maîtrise des technologies IA qu’Alysophil a réussi en décembre 2022 le pilotage par IA d’une réaction chimique stratégique après avoir testé près d’un millier d’agents IA.


 

Dès aujourd’hui le quantique pour horizon futur


Désormais, IA et chimie sont indissociables. Toutefois, les microprocesseurs disponibles trouvent leurs limites en termes de capacité de calcul alors que les polymères, et avec eux, la génération de nouveaux matériaux, réclament des capacités de calcul étendues auxquels le quantique peut répondre.


L’émergence du quantique est un nouvel univers de recherche et de développement qui apparaît dans le prolongement de l’état de l’art actuel de l’IA. Il implique des technologies nouvelles en termes d’informatique quantique et de technologies tout aussi nouvelles pour le stockage de données et la conception des algorithmes quantiques.


En matière d’ordinateur quantique, quatre technologies différentes sont sur le marché : l’ordinateur quantique d’IBM, de Google, celui de Pasqal développé par une spin-off de l’Institut d’Optique de Palaiseau, et l’ordinateur photonique de Quandela, dont la première usine de construction française a été inaugurée en juin dernier, en présence d’Alain Aspect, Prix Nobel 2022 de Physique.


Outre-Atlantique, l’IA quantique a donné naissance en 2022 à l’Institut quantique au sein de l’Université de Sherbrooke, au Canada, mettant à la disposition des équipes de recherche universitaires et d’une vingtaine de startups les trois ordinateurs quantiques d’IBM, de Pasqal et de Quandela. Cette mise en parallèle des trois types d’ordinateur vise à éprouver leur technologie et à multiplier les projets d’étude afin de s’acculturer à cette nouvelle IA. Le monde académique de l’Europe et des États-Unis converge vers l’Institut quantique de Sherbrooke, et notamment le CNRS et les principales universités et grandes écoles de France[5]. Indépendamment de cette convergence, dans le cadre de leur accord de coopération, Quandela et Alysophil proposent d’étendre aux industriels français leur démarche collaborative d’acculturation à la programmation d’applications d’IA quantique en utilisant l’ordinateur quantique de Quandela. Deux grandes entreprises industrielles françaises se sont déjà inscrites dans cette démarche collaborative.


 

Vers une chimie de confiance appuyée sur les vertus des technologies IA


Il est peu fréquent de faire référence aux vertus d’une technologie. Pourtant, en l’état et compte tenu des fruits générés par l’IA au bénéfice de la chimie en tant que science et industrie, les technologies IA décuplent les capacités de recherche et de développement et offrent de surcroît des capacités inégalées de pilotage des installations chimiques. Le consortium Alysophil – De Dietrich Process Systems – NovAlix - Bruker a mis en œuvre dans son concept PIPAC[6] d’installation chimique autonome la production d’un principe actif pharmaceutique entièrement pilotée par IA.[7]


À ces gains considérables de performance et d’extension des champs de connaissance et de prédiction en matière moléculaire, l’IA est un instrument de sécurisation des produits et de développement du biomimétisme (économie d’énergie et de ressources de matières premières) et de biosourcing[8]. De telles valeurs ajoutées permettent d’ouvrir la chimie aux horizons d’une chimie de confiance, au service de l’humanité, protectrice des hommes en matière de risques, respectueuse de l’environnement et économe des ressources énergétiques et de matière.





[1] À titre d’exemple, la lavande et la production d’huiles essentielles de lavande est un composé de différentes molécules. Parmi ces molécules, une pouvait entraîner la dangerosité de l’ensemble de la famille des huiles essentielles de lavande. Les producteurs de lavande et les fabricants d’huiles essentielles ont obtenu - à raison - le bénéfice d’une exemption de la lavande et de ses huiles essentielles dans ce projet de réglementation.


[2] Graphique de l’iceberg des risques chimiques - AEE, The European Environment – State and outlook report - 2020


[3] L’équipementier De Dietrich Process Systems est entré au capital d’Alysophil en juillet 2023.


[4] Les principaux gains de performance industrielle : maintenance prédictive, recherche de l’efficacité énergétique, contrôle de la qualité, réduction des erreurs, prédiction, utilisation de robots, sécurité des informations et des produits chimiques, conformité des produits, gain de temps, etc.


[5] Rapport annuel 2022-2023 de l’Institut quantique de Sherbrooke - https://www.usherbrooke.ca/iq/institut/rapports-annuels/


[6] Soutenu par BPI au titre du programme de France 2030 (Contribution de PIPAC à la souveraineté de la France en matière de principes actifs)


[7] La livraison est attendue pour le premier semestre 2024


[8] Matières premières d’origine végétale

Parution magazine N°43 (décembre, janvier, février)

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