À Anthéa
Daniel Benoin allume le jeu

Par Frank Davit, 15 octobre 2025 à 11:08

Arts en scène

Depuis des années, le directeur du théâtre antibois a fait de son fief une scène de référence dans le monde du spectacle hexagonal. Entre surprises du chef, valeurs sûres et figures libres de la création théâtrale, la nouvelle saison des lieux porte sa marque de fabrique.

À la fin de l’hiver, il présentera Ubu roi, d’Alfred Jarry, sa nouvelle création en forme de farce, brûlot anti-Trump et autres autocrates populistes, avec André Marcon dans le rôle-titre. Avant cela, dès cet automne, ce sera la reprise de l’un de ses grands succès, Inconnu à cette adresse, de Kressmann Taylor, qu’il jouera aux côtés de son ami Michel Boujenah.


À la fois directeur, metteur en scène et acteur, ici, le taulier, c’est lui ! Allumer le feu pour qu’Anthéa flambe, Daniel Benoin fait ça de main de maître, en proposant des spectacles coups de cœur, coups de poing selon les cas. Les siens et ceux des autres pour raconter le monde, dire l’humain, ce qu’il en reste du moins. Homme de théâtre chevronné, Benoin a une science du spectacle qui fait mouche et ses programmations coups d’éclat, par l’engouement qu’elles suscitent, sont un plébiscite pour son travail. Déjà plus d’un million de spectateurs depuis son ouverture en 2013. Rien que pour la saison dernière, 160 000 spectateurs et plus de 15 000 abonnés dans ses filets. Quatre-vingt spectacles programmés cette saison au gré de quelque deux cent vingt représentations.


Si Anthéa fait la course en tête dans le peloton des salles de spectacle les plus courues en France, juste après la Comédie-Française, c’est que l’établissement a résolument choisi de voler en altitude torride, sexy. Celle d’un brûlant objet de désir théâtral où le spectacle vivant s’effeuille dans toutes ses beautés, fait les yeux doux au public pour le faire rire, pleurer, rêver, réfléchir. En un mot, pour lui faire plaisir ! 


Ondes d’excitation


Scène capitale et capiteuse, Anthéa l’est à plus d’un titre. Lieu de création et de diffusion en hot de l’affiche avec des créateurs frondeurs comme les chorégraphes Philippe Decouflé, Sidi Larbi Cherkaoui ou Gabriela Carrizo de la compagnie Peeping Tom, ou bien encore les metteurs en scène Georges Lavaudant et Joël Pommerat. Chacun d’eux, à sa façon, cultive une pratique de la scène aiguisée, décapée, pour tailler dans le vif des spectacles fulgurants de vérité, d’inventivité singulière. La nouvelle saison leur ouvre ses portes, en propageant des ondes d’excitation autour de leurs opus. Le Misanthrope de Molière pour Lavaudant, Marius de Pagnol pour Pommerat. L’exubérance de Decouflé, prince sans rire d’une danse décalée avec Entre-temps. La grâce exacerbée de Cherkaoui pour 3S. La danse hallucinatoire et cartoonesque de Gabriela Carrizo au cœur de Chroniques. Tout cela n’est qu’une entrée en matière dans l’effervescence théâtrale des lieux, où la troupe de la Comédie-Française aura aussi son mot à dire avec Bérénice de Racine par Guy Cassiers. Où Swann Arlaud, après le film palmé d’or Anatomie d’une chute, se retrouvera dans une autre histoire de couple en eaux troubles pour Trahisons d’Harold Pinter. Où seront au rendez-vous les spectacles moliérisés que sont Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, La prochaine fois que tu mordras la poussière de Panayotis Pascot, 4211 km de Aïla Navidi et C’est pas facile d’être heureux quand on va mal de et avec Rudy Milstein. On l’aura compris : en classe Anthéa, on voyage en mode nec plus ultra !


De l’irrévérence élevée au rang des beaux-arts


Ce qui n’empêche pas de remuer le couteau dans la plaie ou, formulé différemment, de mettre la plaie sur le plateau. C’est le propos de Benoin avec son Ubu roi, qui va faire voler le public à bord d’un délectable air farce one.


« Je trouve que le monde actuel tourne tellement à l’envers, estime ce dernier, c’est comme une nouvelle chute de l’empire romain à laquelle nous sommes en train d’assister... Il faut parler de ce genre de choses. Ubu roi raconte ça très bien. Il y a tout dans Ubu, à commencer par son cri de ralliement « merdre », tout un programme ! »


Dans cette nouvelle mise en scène où toute similitude avec des personnages politiques réels ne sera pas du tout fortuite, une dizaine de comédiens donnera la réplique à André Marcon dans le rôle d’Ubu. Jubilatoire uppercut face à la montée en puissance des pouvoirs réactionnaires, le spectacle semble s’annoncer comme une joyeuse partie de punching-ball aux accents de pantomime absurde et satirique. On en découvrira la teneur exacte à partir du 3 mars. 


Sheila, Cluzet, Houellebecq et les autres


Ludmila Mikaël et Pierre Arditi, deux interprètes de légende qui forment un couple iconique dans Le Prix de Cyril Gely. Vincent Dedienne qui se faufile entre les lignes d’un auteur-culte, Jean-Luc Lagarce, pour Il ne m’est jamais rien arrivé. Sheila et Michel Houellebecq en concert (pas le même soir). Dans un contre-emploi dissonant, Benoit Solès en psychopathe sadique dans Killer Joe, adaptation d’une pièce américaine de Tracy Letts transposée au cinéma avec Matthew McConaughey. François Cluzet dans son retour au théâtre en solo avec Encore une journée divine de Denis Michelis…


Chaque année, Anthéa nous régale d’une saison aux petits oignons où figurent au menu les grands noms des productions les plus en vue. Cela se traduit par du beau monde au portillon et des agapes théâtrales sauce grands chefs des scènes parisiennes, mais pas seulement. L’équipe antiboise a pour ambition de donner envie aux gens d’aller au théâtre en jouant sur toute la gamme d’une offre grand public et plus si affinités, pour les emmener vers d’autres types de productions. Mélange des genres. Textes classiques et embardées modernes. Entrecroiser les tonalités. Favoriser les interférences entre les arts de la scène. Au bout du compte, que ce soit du théâtre populaire ou des spectacles plus iconoclastes, la programmation maison obéit au critère de casser la baraque, en portant au pinacle une vision du théâtre généreuse et diversifiée. 


Buffet show


Rayon « certains l’aiment show », Anthéa s’y connaît. La danse, l’humour, les concerts pop, les arts circassiens… Ces mouvances ont toujours trouvé leur place dans la programmation, elles déploient plus d’un motif dans la saison. En habituée des lieux, la chorégraphe Eugénie Andrin présentera ainsi sa dernière création, On n’est pas toutes des Cendrillons, avec les danseuses du Cannes Jeune Ballet, pour danser à cloche-pied entre escarpin et chausson, entre féminin et injonction à la féminité. La compagnie néerlandaise Le Club Guy and Roni, elle, laissera libre cours à sa Bad Nature, un pied dans notre boulimie de nouvelles technologies, l’autre dans notre culpabilité environnementale. Ces deux pièces s’inscrivent dans la sélection du Festival de Danse Cannes Côte d’Azur France.


Avec Thomas Lebrun et ses interprètes, changement de registre : ici, la danse fricote avec le chant, comme une revue de cabaret dont chaque numéro serait l’écrin d’une chanson D’amour, le titre du spectacle. Côté arts circassiens, on ne déchantera pas non plus, tant ils donnent lieu à des spectacles originaux, traversés, au-delà des prouesses, d’énergies poétiques et/ou loufoques. Yé ! (L’eau) par la compagnie Circus Baobab et Huellas par le duo Matias Pilet et Fernando Gonzáles Bahamóndez sont de ceux-là. Quant à Stomp, délire de percussions et de rythmes saccadés, succès phénomène de la scène anglaise qui a fait le tour du monde, sa nouvelle escale à Anthéa devrait faire grand tapage.


En guise de mot de la fin, vous prendrez bien une petite punchline ? Pour ses saveurs d’amuse-bouche, la saison est plutôt bien servie avec Valérie Lemercier, Bérengère Krief, Camille Chamoux, Waly Dia, Alex Vizorek (entre autres). On vous avait prévenu, Anthéa ne plaisante pas avec sa dose d’humour. Faites comme il vous plaira...

Parution magazine N°50 (septembre, octobre, novembre)

Qu’en pensez-vous ?

Donnez-nous votre avis

Pour vérifier que vous êtes une intelligence humaine, merci de répondre à ce questionnement lunaire.