Ainsi font
et puis s’en vont

Par Frank Davit, 28 février 2024 à 11:23

Arts en scène

Quelques mots d’une comptine pour dire au revoir à la compagnie Arketal qui tire sa révérence, après plus de quarante ans d’intense créativité au service du théâtre de marionnettes…

Une pirouette et puis voilà… Sur les hauteurs de Cannes, un dernier tour dans l’atelier aux allures d’arche de Noé où une petite maison théâtrale, qui a tout d’une grande, avait installé ses pénates depuis trois décennies. C’est là qu’officiaient en duo Greta Bruggeman et Sylvie Osman, qu’elles y faisaient œuvre de manufacture marionnettique à des fins d’émerveillement, comme une fabrique de songes. Leur nom de scène, Arketal, comme un sésame vers un autre monde. Porte ouverte sur une dimension au parfum d’imaginaire. Ménagerie fantasque et farfelue d’un bestiaire allumé, créatures en tout genre qui pourraient sortir d’un film à la Tim Burton, qui ont été tour à tour héroïnes ou héros d’un spectacle de la compagnie. Pourtant, malgré l’exubérance de leur aspect, le jour de cette ultime visite, dans les lieux baignés d’une lumineuse quiétude, il y a de la mélancolie dans l’air. Juste le temps de prendre encore une fois Arketal dans nos bras et il faudra laisser tout ça s’envoler dans nos souvenirs, comme cette poussière d’or qu’on voit parfois s’éparpiller dans la lumière des fenêtres… Tout ça quoi ?


Double dames


Tout ça, c’est-à-dire une certaine vision de l’art de la marionnette. Moderne, éclairée, loin de toute forme de joliesse mièvre ou joviale. Du théâtre à part entière, affûté, polychrome et polymorphe à travers un prisme de spectacles inspirés, jamais les mêmes mais tous reliés entre eux par l’envie de faire du beau travail, entre poésie, émotion et intelligence du propos. Un esprit d’enfance qui parle aussi à un public adulte… Au fil de plus de quarante années d’activité et de 27 spectacles (et bien d’autres modules de représentation plus modestes) portés à incandescence sous les fuseaux de sa magie créative, tout ça, c’était Arketal ! C’était Greta Bruggeman et Sylvie Osman. Aventurières au long cours, dans les entrelacs de leur voyage artistique, elles ont tissé l’âme d’Arketal, lui ont façonné, brodé, cousu un manteau d’Arlequin comme une étoffe dont les rêves sont faits, dont elles étaient les fées ! Celles-ci ont décidé que le temps d’une retraite méritée était venu, qu’elles arrêtaient leur petit manège enchanté, pour le plus grand désenchantement de leurs admirateurs. Alors, être chagrin parce qu’elles vont nous manquer certes, parce que le paysage théâtral azuréen ne sera plus pareil sans la clairière et l’eau vive de leurs talents conjugués… mais pas trop non plus ! Avant de baisser le rideau, Greta Bruggeman et Sylvie Osman vont en effet nous emporter encore une fois dans leur sillage, sur les chemins d’Arketal et de son ultime printemps. Voici comment.



Arketal se fait la malle !


Direction Mougins, à la Scène 55. En avril, l’endroit accueille chaque année le Printemps de la Marionnette et file une pelote de spectacles, sous les auspices des compagnies les plus en vue de cette forme théâtrale. Á l’invitation de René Corbier, le directeur artistique de la Scène 55, Arketal fait partie de la fête et se retrouve à l’honneur, via une exposition présentée sur place. Plutôt qu’une rétrospective des spectacles de la compagnie (racontée par un diaporama conçu pour l’exposition), en miroir des adieux d’Arketal, Greta Bruggeman a imaginé et créé pour l’occasion une troupe de marionnettes en partance, valises sous le bras. Le public découvrira ces personnages inédits, quatorze au total (certains ont vu le jour lors d’ateliers de formation mais n’ont pas figuré dans des spectacles de la compagnie), chacun prenant la pose entouré d’un cadre à la façon d’un tableau. « Céder à la nostalgie de ce qui n’est plus, ce n’est pas notre façon de voir les choses, confie Sylvie Osman. Á travers l’exposition de la Scène 55, Greta et moi avons souhaité célébrer un nouveau départ vers d’autres aventures, que nous vivrons sur d’autres rythmes. Arketal était comme une petite entreprise, nous lui avons consacré notre énergie bien au-delà de l’acte de création car il y avait aussi d’autres à-côtés à prendre en charge dans la gestion d’une compagnie. Après quarante ans de bonheur à la proue du navire, nous allons retrouver un sentiment de liberté et de légèreté… » Alors, ni une ni deux, la troupe fait ses bagages et s’en va vers d’autres destinées. C’est ce qu’illustre l’exposition, au titre explicite : « Les marionnettes d’Arketal en voyage ». « Greta a des mains qui parlent pour elle, poursuit Sylvie Osman. Elle a eu cette belle intuition de scénographier l’exposition avec des cadres pour présenter ses créations et elle leur a confectionné des valises miniature. Cela ressemble à des saynètes qui sont autant de petits poèmes pleins d’humanité. » Cela ressemble aussi à un dernier tour de piste cocasse et émouvant, a-t-on envie d’ajouter, comme la parade à la fin de Huit et demi de Fellini, avec tous les personnages du film qui défilent sur la musique de Nino Rota en prenant congé du spectateur. C’est cette musique-là qu’on entendra dans le cœur en voyant l’exposition d’Arketal.


L’inventaire merveilleux


Bien avant de faire ses bagages et de quitter la scène, Arketal a entrepris un inventaire de ses marionnettes. Depuis cinq ans, Greta Bruggeman a ainsi recensé plus de quatre cents marionnettes issues des spectacles maison et deux cents autres qui avaient été fabriquées pour des ateliers de formation ou des stages à l’ERACM (Ecole régionale d’Acteurs de Cannes et Marseille) dispensés par Arketal. Dans la foulée, un archivage numérique des puppets a été établi, avec nom des personnages, titre des spectacles. Tout un corpus de notes, dessins, photos sur la dramaturgie et la scénographie des productions a également été constitué. Finalité de cette opération de longue haleine : faire œuvre de transmission. L’héritage Arketal en quelque sorte. Précisément, pour que ces trésors de créativité ne soient pas relégués aux oubliettes, une grande partie des marionnettes de la compagnie va faire l’objet d’acquisition par des musées et autres instances culturelles, en France et en Espagne (les procédures « d’adoption » sont en cours). « Nous sommes très attachées à nos marionnettes bien sûr, conclut Sylvie Osman, elles vont continuer leur vie ailleurs, autrement, et nous en sommes heureuses. » Arketal, happy end !




Pour en savoir plus...


Exposition « Les marionnettes d’Arketal en voyage »

Scène 55, Mougins, du 2 avril au 15 juin / accès libre


Printemps de la Marionnette

Scène 55, Mougins, du 9 au 25 avril



Une compagnie s’en va, une autre arrive…


Á l’heure où ces lignes sont écrites, rien n’était encore acté mais les choses semblent aller dans le bon sens. Venus d’Aubagne, Sandrine Monier et Rémy Lambert, un tandem dédié à la marionnette, devraient bénéficier, après attribution par la mairie de Cannes, des locaux vacants d’Arketal. Le Théâtre Désaccordé, nom de la compagnie qu’ils ont créée, pourrait ainsi prendre ses foyers de création dans les lieux. Petite Touche, leur nouvel opus, sera à l’affiche du théâtre de la Licorne à Cannes les 12 et 13 avril et sera joué dans le cadre du Printemps de la Marionnette à la Scène 55 le 23 avril / www.desaccorde.org

Parution magazine N°44 (mars, avril, mai)

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