Fanny et Chiara vont à Anthéa

Par Frank Davit, 28 août 2023 à 21:45

Arts en scène

Quoi ? Vous ignoriez que Fanny Ardant, Chiara Mastroianni et bien d’autres jouent sur la scène du premier théâtre azuréen cette saison ? Alors on va vous dire ce qu’il faut savoir de cette programmation sur le bout de vos dix doigts qui n’y suffiront pas, sur le bout de vos cœurs qui battront de plus belle…

C’est le grand chambardement dans votre tête, comme un représentant du sexe masculin (époque pré-#MeToo) perplexe et perdu devant les boutons d’une machine à laver ? Lavage à haute température. Essorage. Programme couleurs. Comment s’y retrouver au milieu de tout ce qui se machine dans les turbines d’Anthéa ? Vous voilà dans de beaux drames, et tout un tas de jolies comédies, sans oublier des tours de chant, des ballets et un opéra. Vous voilà chez Daniel Benoin, le directeur des lieux, qui, avec son équipe, a concocté une fois de plus une saison de spectacles ébouriffante, poilante, émouvante pour le théâtre Anthéa… En chiffres, cela donne 78 spectacles dont une quinzaine en création maison ou coproduction, 218 représentations, un nombre d’abonnés en passe de revenir à son niveau d’avant-covid (soit autour de 14 000 fidèles). Le compte est bon et mieux que ça encore ! 


Du souffle dans les branches d’Anthéa


On ne change pas une formule qui gagne. Panache, verve et pluralité des genres pour faire scintiller le spectacle vivant dans toute sa superbe : Anthéa fait tourner ses réjouissances tambour battant. Cette saison encore, les grands noms de la scène nationale vont s’y bousculer à la pelle. L’extravagant Michel Fau sera là en duo star avec Catherine Frot qui lui donne la réplique dans Lorsque l’enfant paraît d’André Roussin, grand succès parisien du théâtre de boulevard revisité moderne et malin. Grand manitou des planches plébiscité par la critique, David Bobée fera de même avec son dernier opus, un Dom Juan de Molière qui a fait sensation par ses audaces et sa relecture du mythe. Également à l’affiche, une Phèdre de Sénèque tissée de main de maître par Georges Lavaudant, l’une des signatures les plus cotées du monde théâtral. Il faudrait encore citer le Tartuffe de Molière mis en scène par Ivo van Hove sous les auspices de la Comédie-Française. L’impresario de Smyrne de Goldoni monté par Laurent Pelly avec l’ex-soprano Natalie Dessay qui joue ici… une soprano. Le ciel de Nantes de et par Christophe Honoré lequel, non content d’imaginer des créations qui font des étincelles sous les feux de la rampe, est aussi un cinéaste inspiré… Tant et tant de perspectives alléchantes dans ce grand coffre à « jouer » qu’est Anthéa et bien d’autres qui constellent la programmation de lueurs tutti frutti. Elles peuvent avoir le goût d’une danse affranchie dans le sillage du spectacle Trisha Brown chorégraphié par Noé Soulier et Trisha Brown herself. Prendre des saveurs incandescentes dans le halo d’une prima donna assoluta, Fanny Ardant, donnant âme et corps aux mots de l’écrivain Erri de Luca, avec son partenaire de jeu Carlo Brandt pour un spectacle à deux voix, Impossible. Autant de productions qui se suivent et ne se ressemblent pas mais qui séduisent déjà par leurs promesses, qui font dire que ça balance pas mal par ici... Bref, vous êtes à Anthéa !


Fées diverses


Par quel bout démêler l’écheveau de spectacles d’Anthéa ? On peut opter pour un aperçu de la programmation. On peut tout autrement choisir de déclarer sa flamme aux artistes qui vont se produire sur place et rappeler au passage quelle essence magnétique leur confère leur métier. Les mots du poète Saint-John Perse dans Amers, l’un de ses recueils, le font à merveille : « Les Tragédiennes sont venues, descendant les ruelles dans leurs habits de scène… Elles mêlaient aux événements du jour leurs vastes pupilles dilatées et leurs paupières fabuleuses... » Un effet spécial sans effets spéciaux : c’est sans doute quelque chose de cet ordre qui se donne à voir dans l’apparition d’une actrice ou d’un acteur sur une scène. Fanny Ardant, mais aussi Denis Podalydès, Andréa Ferréol, Natalie Dessay, Pierre Richard, Chiara Mastroianni, André Dussolier, Dominique Blanc, Ludivine Sagnier, Jacques Gamblin, Marina Hands, Catherine Frot, Micha Lescot, les effeuilleuses du Cabaret New Burlesque… Distribution de rêve d’une saison qui s’annonce faste, faisant déjà tourner de leurs noms tous les moulins de nos cœurs de spectateurs, ces comédiennes et comédiens seront au générique d’Anthéa comme pour mieux écarquiller nos yeux devant le mystère d’exister, « vastes pupilles et paupières fabuleuses »… 


Benoin met le feu aux poudres


Après le spectacle Disgraced en forme d’uppercut contre les préjugés de race et de classe qu’il avait mis en scène en 2021, Daniel Benoin n’en finit pas d’ausculter les maux de notre époque. On sent toujours chez lui, vivace comme à ses débuts, l'envie d'interroger le monde, de voir comment tout ça ne tourne guère rond. La meilleure preuve en est qu'il revient cette saison à l'une de ses créations passées, A.D.A. : l’Argent des autres. Une pièce de Jerry Sterner où il est question des méfaits de la haute finance et de son insatiable soif de profit. Dans un contexte sociétal refusant le joug d’un impérialisme néolibéral tout puissant, Benoin remonte ce spectacle avec l’acuité jubilatoire d’un fin observateur de l’air du temps… Il jouera aussi l’un des rôles principaux de la pièce aux côtés de l’humoriste Alex Vizorek. Où le directeur d’Anthéa, à ce stade de sa trajectoire de capitaine au long cours d’un riche périple théâtral, n’a rien perdu de son impact d’agitateur. Repoussant sans cesse la posture du vieux sage pour mieux se jeter dans la mêlée des turbulences de son art, il ressemble de plus en plus à un tendre voyou ou à un irrésistible embobineur se jouant des modes et des codes pour suivre sa voie. Véritable « allumeur » des feux de la rampe par la causticité suave de son propos. Enchanteur croyant dur comme fer à la magie du théâtre et du spectacle vivant (sa programmation en atteste). Ainsi va Daniel Benoin sous la bonne étoile d’Anthéa.     




Grande maison...


Qu’est-ce qui fait d’un théâtre un endroit où on a envie d’aller sans forcément vouloir changer le monde, juste parce qu’on a envie de passer un bon moment ? Un endroit qui donne « envie » en somme. Á Anthéa, l’équation a été résolue avec brio et succès, depuis plus de dix ans. Le lieu a été pensé comme une maison cossue. Des pièces à vivre avec tout le confort souhaitable pour se restaurer en cas de petits creux ou se désaltérer. Une terrasse panoramique à couper le souffle. Et bien sûr, les chambres d’enfants, grands enfants en l’occurrence que nous sommes les uns et les autres, public et artistes confondus. Autrement dit, ces chambres de jeux que sont les deux salles de spectacle d’Anthéa, chambres d’écho de nos démons et merveilles car à quoi bon jouer si ce n’est pour se faire peur ou se faire rire ? Aller au théâtre, pour faire des chatouilles aux enfants terribles planqués sous nos airs d’adultes. Anthéa est cette maison qui divague pour que l’humain reste debout…

Parution magazine N°42 (septembre, octobre, novembre)

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