Robert Doisneau, les yeux doux

Par Frank Davit, 30 novembre 2023 à 19:59

Arts en scène

Photographe star, la postérité a fait de lui le chantre d’une France rétro. Sous l’image d’Epinal, n’en affleure pas moins, cependant, le travail d’un humaniste né, au regard sensible et délicat. Á Nice, la nouvelle exposition du musée de la photographie lui rend hommage.

Par son art des images, orfèvre d’un noir et blanc couleur joie de vivre, est-il un enjôleur, un conteur qui a fait jaillir de sa lampe des mille et un jours tant d’histoires racontées en un éclair par ses photos ? Dans le sillage du nom de Robert Doisneau, bien de célèbres clichés nous passent par la tête. Le baiser de l’Hôtel de Ville. Des enfants qui marchent sur les mains dans la rue. Un couple devant une péniche, un enfant dans les bras de la maman. Á chaque fois, Doisneau est comme un chanteur des rues d’antan, avec son orgue de barbarie, sauf que lui opère avec un appareil photo, un Rolleiflex. Il chante la complainte des pauvres gens, sans jamais s’apitoyer sur quelque chose de misérabiliste. Il saisit celles et ceux qu’il croise devant son objectif dans une majesté nue. Il en fait les héros d’une chanson de gestes qui court les rues comme si elle était écrite par un Trenet photographe, magnifiant ces femmes, hommes et enfants anonymes en ne perdant jamais de vue leur supplément d’âme, leurs quartiers de noblesse populaire. Doisneau composait-il une ode au monde ouvrier à travers ses photos qui, depuis, n’ont plus cessé de nous toucher, droit au cœur ? Dans une interview de 1990, lui préférait parler de son travail ainsi : « le monde que j’essayais de montrer était un monde où je me serais senti bien, où les gens seraient aimables, où je trouverais la tendresse que je souhaite recevoir. Mes photos étaient comme une preuve que ce monde peut exister. »


 

Entre Carné et Tati


Autant de brins de p’tits bonheurs qui viennent chatouiller la prunelle des visiteurs de l’exposition consacrée à Doisneau par le musée de la photographie de Nice. Conçue en collaboration avec l’Atelier Robert Doisneau, celle-ci regroupe 110 clichés. Dans une première séquence baptisée « Le Merveilleux quotidien », elle offre un aperçu de la carrière du photographe via une sélection de 78 tirages d’époque, des années 30 aux années 70 avec Paris et sa banlieue en ligne de mire. Autre séquence, en couleur cette fois, « Palm Springs 1960 ». Elle montre l’artiste en reportage pour le magazine Fortune. Dans son viseur, il assiste à la construction de golfs en plein cœur du désert du Colorado. De quoi donner matière à tout un autre pan de son inspiration, résolument farfelu. Là où son réalisme poétique en noir et blanc l’apparentait à un Marcel Carné de la photo, le voici qui se réinvente en Jacques Tati à la fantaisie gouailleuse et narquoise face à la modernité clinquante du rêve américain ! Á l’arrivée, ce voyage franco-américain dans les pas d’un géant de l’art photographique vous fera papillonner les yeux d’émotion et de plaisir.



Pour aller plus loin... Clin d’œil sur un béguin...


Comme un vrai baiser de cinéma en pleine rue ! Comme du pollen amoureux dans la ronde du jour… Cette photo de 1950 est si célèbre qu’elle est en quelque sorte un tube. Elle ressemble à une ritournelle qui est sur toutes les lèvres. Et pour cause puisqu’il s’agit d’une image de Doisneau qui a fait le tour du monde, « le baiser de la place de l’Hôtel de Ville ». Dans cet instantané d’une scène saisie au vol en plein Paris d’après-guerre, c’est tout un air du temps qui semble fredonner sa chanson légère. Un élan, un retour vers l’insouciance… Dans l’étreinte de deux jeunes passants anonymes qui s’embrassent en marchant, Doisneau laisse éclater la déflagration de bonheur de toute une époque qui se sent repousser des ailes, le renouveau du plaisir de vivre et de s’aimer en liberté. Mais derrière ce tableau à première vue idyllique, qu’en est-il vraiment de ce cliché peut-être trop beau pour être vrai ? Foudre aux yeux d’une passion de jeunes gens fougueux ou poudre aux yeux d’une photo soigneusement arrangée en amont ? En fait, tout avait été bidouillé entre le photographe et les deux tourtereaux, deux étudiants (en couple pour de vrai) d’une école de théâtre payés pour apparaître opportunément au moment de la prise de vue. Réalisé dans le cadre d’un reportage pour le magazine Life, le cliché passe à la postérité, sera reproduit à l’envi et tout le monde n’y verra que du feu. Une mystification pas bien méchante qu’il faut regarder pour ce qu’elle est bel et bien : un enchantement !



Exposition Robert Doisneau« Le Quotidien merveilleux »

au musée de la photographie Charles Nègre à Nice / jusqu’au 28 janvier / www.museephotographie.nice.fr

Parution magazine N°43 (décembre, janvier, février)

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